Lorsque développement numérique ne rime pas nécessaire avec liberté d’expression : Malaisie

Melissa Emmanuel

Située en plein milieu de l’ASEAN, la Malaisie est connue pour être l’une des destinations les plus touristiques d’Asie du Sud-Est (Gollain, 2017). Pourtant, il semble qu’elle n’attire plus seulement les touristes, mais également les investisseurs du monde entier.
Sa position stratégique offre une opportunité peu couteuse de conquérir la zone économique de l’ASEAN tant convoitée, avec ses 620 millions d’habitants et son PIB de 2 400 milliards $US. Sans compter le fait qu’y ouvrir une entreprise est d’une facilité déconcertante comparativement au reste de la région. Ces 2 principaux facteurs font de la Malaisie la porte d’entrée idéale pour atteindre le marché de l’ASEAN.

Sans surprise, l’économie numérique est l’un des secteur qui connait la plus forte croissance au sein du pays. En effet, en 2016 ce secteur représentait 18,2% de l’économie du pays soit 54 milliards $US. La part du secteur de l’ICT dans le PIB malaisien a doublé entre 2000 et 2014 et représente aujourd’hui 6%. Les femmes dans le secteur des nouvelles technologies ne représentaient même pas 1% en 2013 et sont aujourd’hui en train de conquérir tout doucement les métiers de l’informatique. (Fréant et Abitan, 2015)
Le développement de l’économie malaisienne n’est pas un hasard puisque comme les autres pays de l’ASEAN, le gouvernement se tourne vers le numérique pour rendre le pays plus productif et compétitif. C’est notamment pour cette raison que le ministère des Communications et du Multimedia a mis en place la Malaysia Digital Economy (MDEC) dans le but de stimuler les investissements, promouvoir leur main-d’œuvre et le développement numérique.
En 2016, le Gouvernement mettra en place le National E-commerce Strategic Roadmap, conduit notamment par le MDEC afin de doubler la part du e-commerce dans le PIB pour 2020.
En effet, la Malaisie est 3e dans le classement des destinations phares pour les investissements dans le numérique selon l’indice AT Kearney’s Global Services Location. (AT Kearney, 2017)
En 2017, le Gouvernement lancera la Digital Free Trade Zone, une zone de libre-échange numérique permettant d’atteindre tout l’ASEAN et propulsant la Malaisie au centre de la logistique des marchés mondiaux. (ASEAN Briefing, 2018).
De même le gouvernement investira dans le Multimedia Super Corridor, une mini Silicon Valley au centre de Kuala Lumpur afin d’attirer les plus grosses compagnies technologiques.
Ayant pleinement conscience de l’importance que représente le secteur des nouvelles technologies, le gouvernement avait déjà pris des dispositions en 1996, en promettant de ne pas censurer les contenus sur Internet pour ne pas freiner les investissements étrangers. En 2011, le Premier Ministre Najib Razak promit à son tour qu’Internet ne serait jamais censuré afin de perpétuer cette idéologie libre et prit également l’engagement de supprimer la loi sur la sédition [1] qui limitait la liberté d’expression (Amnesty International, 2016). L’article 3 de la Loi sur la communication et le multimédia viendra appuyer cette vision en interdisant la censure d’Internet, bien qu’il soit relativement simple de la contourner.
Sans surprise ces promesses ne seront pas tenues et Internet sera finalement drastiquement censuré. Mais il faudra attendre 2015 pour que le gouvernement reconnaisse publiquement sa censure du web. La Commission malaisienne des communications et du multimédia ordonnera la fermeture du site Internet Sarawak Report après avoir publié des allégations de transfert bancaire. La loi sur la sédition est l’outil le plus utilisé pour exercer la répression. Il permet d’appliquer une amende allant jusqu’à 1236 euros et jusqu’à trois ans de prison, a toute publication provocante et source de rébellion. En 2015, 91 personnes furent arrêtées et jugées pour sédition, 5 fois plus que dans les 50 premières années suivant l’application cette loi (Amnesty International, 2016). Cette loi sera modifiée en 2015 afin d’ajouter la critique de la religion comme infraction, l’obligation d’appliquer entre trois et sept ans de prison et ajouter les médias numériques et les médias sociaux à la loi (Amnesty International, 2016).

Dessin du caricaturiste Zunar illustrant le recours parfois abusif à la loi sur la sédition

En 2015, le dessinateur Zunar risquait jusqu’à 43ans prison pour sédition suite à des tweets critiques envers le gouvernement et Khalid Ismath, militant étudiant victime de trois accusations de sédition en raison d’une publication sur Facebook dénonçant l’abus de pouvoir exercé par la police malaisienne (Amnesty International, 2016).

Le gouvernement mène désormais une bataille sur Internet depuis 2016 contre ses dissidents et toutes critiques à son égard. Notamment à l’encontre de ceux qui couvrent les scandales de corruption constante dans lesquels le 1e ministre semble impliqué. En 2018, Reporters sans Frontières classait la Malaisie 145e dans l’index mondial de la liberté de la presse et de la liberté d’expression (RSF, 2018).
À titre d’exemple, le gouvernement veut voter une loi des plus restrictives: établir une responsabilité directe des sites vis-à-vis des utilisateurs. Un site sera donc directement tenu responsable de toutes publications: si un internaute critique le gouvernement sur Facebook alors Facebook sera directement tenu responsable allant jusqu’à interdit le site sur le territoire.
En 2018, une nouvelle loi concernant la diffusion de fausses informations verra le jour. Elle vise à protéger l’opinion publique de la propagation de fausses nouvelles. Celle-ci viendra alourdir considérablement les peines pouvant aller jusqu’à 100 000 euros d’amende et six ans de prison. Plus encore, elle ne s’appliquera pas seulement aux citoyens malaisiens, mais également aux étrangers et touristes propageant des «fakes news», ce qui soulève encore plus les inquiétudes quant à l’avenir de la liberté d’expression en Malaisie (LesEchos, 2018).
Tags : Malaisie, développement numérique, économie numérique, Facebook, médias, censure, liberté d’expression, Internet, Digital Free Trade Zone, Najib Razak

[1] Loi qui vient limiter la liberté d’expression concernant tous les sujets politiques sensibles.

Bibliographie

Amnesty International. 2016. « Malaisie : Il faut mettre fin à la répression sans précédent visant des centaines de personnes ». 11 mars. En ligne. https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/03/malaysia-end-unprecedented-crackdown-on-hundreds-of-critics-through-sedition-act/
Arjun Sethi and Johan Gott. 2017. The Widening Impact of Automation Top 20. AT Kearney. En ligne. https://www.atkearney.com/digital-transformation/gsli
Dezan Shira and Associates. 2018. « Malaisie: Zone de Libre Échange Numérique ». ASEAN Briefing. 17 septembre. En ligne. https://www.aseanbriefing.com/news/2018/09/17/malaisie-zone-de-libre-echange-numerique.html
Fréant Anne-Laure et Aubrey Abitan. 2015. « Femmes & Numériques : une réponse aux enjeux économiques mondiaux ». La Tribune. 10 avril. En ligne. https://www.latribune.fr/loisirs/la-tribune-now/femmes-numerique-une-reponse-aux-enjeux-economiques-mondiaux-467897.html
Reporters Sans Frontière. Classement mondial de la liberté de presse 2018. https://rsf.org/fr/classement#
Vincent Gollain. 2017. Classement mondial 2017 des destinations touristiques selon MasterCard. Overblog. 23 octobre. http://www.marketing-territorial.org/2017/10/classement-mondial-2017-des-destinations-touristiques-selon-mastercard.html
Yann Rousseau. 2018. « Cette nuit en Asie : en Malaisie, six ans de prison pour les diffuseurs de ‘fake news’ ». Les Échos. 30 juin. En ligne. https://www.lesechos.fr/2018/03/cette-nuit-en-asie-en-malaisie-six-ans-de-prison-pour-les-diffuseurs-de-fake-news-987856

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