La pollution atmosphérique au septième ciel en Thaïlande ?

Par Jade Lee Kui

Vue de la ville de Bangkok, couverte par un smog épais (AP Photo/Sakchai Lalit, 30 Janvier 2019).

Selon Greenpeace, Bangkok est actuellement la dixième capitale la plus polluée au monde. Le 14 Janvier, Bangkok avait atteint des niveaux de qualité d’air « malsains », selon Air Visual, atteignant 156 IQA[1]. Avec son industrialisation croissante, la Thaïlande fait alors face à un sérieux problème de pollution atmosphérique. Quels sont les enjeux qui sous-tendent cette inquiétante situation ?


Les facteurs dégradant la qualité de l’air

De manière générale, les provinces du centre-nord sont davantage polluées que celles du sud de la Thaïlande[2]. Dans les zones urbaines, la pollution atmosphérique est principalement due aux émissions accrues de véhicules[3], en particulier ceux des moteurs diesel[4]. En effet, les responsables du Département de la Pollution de Thaïlande estiment que ces dernières représentent environ 60% du brouillard chimique de la ville[5]. Les rejets industriels dans les zones industrialisées concentrées[6], de même que la poussière des chantiers de construction[7], posent aussi problème.

Dans les zones rurales, ce sont les incendies agricoles et de forêt qui ont grandement contribué aux niveaux de pollution atmosphérique critiques depuis 2006[8], bien que les brouillards transfrontières[9] y ont aussi contribué. À cela s’ajoute les facteurs climatiques. Les vents faibles ne parviennent pas à chasser les grosses particules polluantes[10], puis les précipitations n’étant pas fréquentes, elles ne permettent pas de réduire la pollution de l’air[11].


Les impacts sur la santé

Selon le rapport de 2017 de l’Organisation Mondiale de la Santé, 58 903 personnes meurent annuellement en Thaïlande à cause de la pollution de l’air[12].

À Bangkok, l’augmentation de 23% de pollution de 1998 à 2016, conséquence de la croissance économique du pays, a entraîné la réduction de la vie des résidents de la ville de 2,4 ans. L’asthme a également atteint 15 à 20% au cours des deux dernières décennies, contre seulement 5% dans les années 1980[13]. Certaines personnes ont même reporté avoir du sang qui coule du nez tellement la qualité de l’air était mauvaise[14]. La situation se traduit par ailleurs par l’augmentation d’au moins 2,4 millions du nombre de patients souffrant de maladies respiratoires à Bangkok[15].

En outre, une étude de cas de Vichit-Vadakan et Vajanapoom a démontré que les résidents vivant à proximité d’une zone industrielle pétrochimique ont connu des risques plus élevés de problèmes neuropsychologiques et de grossesse. Par exemple, les mères résidant à moins de 4 km de la zone industrielle ont connu un important excès de risque de prématurité avant la 34ème semaine[16]. Un autre risque qu’elles encourent est celui de voir le développement cognitif et intellectuel de leur fœtus affecté négativement étant donné que les particules pénètrent dans le cerveau en développement de l’enfant, endommageant dès lors ses cellules cérébrales[17].


La lutte des autorités thaïlandaises contre ce fléau

En plus des impacts sur la santé, la pollution de l’air pourrait coûter jusqu’à 6,6 milliards de baht en pertes pour les secteurs de la santé et du tourisme en Thaïlande, selon le centre de recherche thaïlandais Kasikorn Bank[18].

Face à cette situation, le gouvernement a réagi rapidement en réprimant des véhicules très polluants, en déployant des policiers et des militaires pour inspecter les usines et les incinérateurs, en fermant des écoles pour protéger les enfants[19], en conseillant de porter des masques N-95[20], et même en déployant des drones[21] et des avions semeurs de nuages ​​pour forcer la pluie et vider l’air[22]. D’ailleurs, cette dernière mesure semble être efficace car une étude avait montré que les impacts de la pollution atmosphérique sur les risques de mortalité étaient principalement limités aux derniers jours d’exposition (de 0 à 5 jours) en Thaïlande[23].

La Thaïlande développe depuis 1969 une technologie supposée capable de faire pleuvoir sur commande, en dispersant certains produits chimiques dans les airs (Chaiwat Sardyaem / POST TODAY / Bangkok Post / AFP, s.d).

Or, force est de constater que ces mesures sont principalement temporaires, et pas à long terme. Cela peut s’expliquer par le fait que le gouvernement ne traite pas la pollution atmosphérique comme une crise de santé publique. En effet, actuellement, il ne prend pas au sérieux le problème et tente de rassurer la population en leur disant de ne pas paniquer et en leur partageant peu d’informations claires sur la situation. Or, sachant que l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que la pollution atmosphérique avait causé 4,2 millions de décès prématurés en 2016, faisant chaque année beaucoup plus de victimes que le sida, la tuberculose et le paludisme réunis, il est plus que cruciale de sensibiliser les gens à agir dès maintenant pour contrer ce fléau.

Ainsi, on peut remarquer que des efforts sont apparus. Par exemple, autour de Bangkok, le Département de Contrôle de la Pollution thaïlandais a installé de nombreux grands écrans LCD afin d’indiquer les niveaux de pollution avec des alertes rouges[24]. Le gouvernement doit donc continuer sur cette lancée en affirmant mieux sa volonté politique de contrer le fléau.

 

Bibliographie :

Beech, Hannah. 2019. “Bangkok Is Choking on Air Pollution. The Response? Water Cannons.” The New York Times. En ligne. https://www.nytimes.com/2019/01/30/world/asia/pollution-thailand-bangkok.html (page consultée le 01 Avril 2019).

Daniel, Rajesh et Diane Archer. 2019. « Ten things govt must do to stifle smog ». Bangkok Post. En ligne. https://www.bangkokpost.com/opinion/opinion/1614702/ten-things-govt-must-do-to-stifle-smog (page consultée le 25 avril 2019).

Energy Policy Institute at the University of Chicago (EPIC). 2019. Thailand Analysis: Air Pollution Cuts Lives Short by More Than Four Years in the Most Polluted Areas. En ligne. https://aqli.epic.uchicago.edu/news/air-pollution-cuts-lives-short-by-more-than-four-years-in-the-most-polluted-areas-of-thailand/ (page consultée le 25 avril 2019).

GardaWorld. 2019. Thailand: Air pollution to remain at hazardous level in Bangkok Jan. 14-15. En ligne. https://www.garda.com/fr/crisis24/alertes-de-securite/193436/thailand-air-pollution-to-remain-at-hazardous-level-in-bangkok-jan-14-15 (page consultée le 01 Avril 2019).

Guo, Yuming et al. 2014. “The Association between Air Pollution and Mortality in Thailand.” Scientific Reports 4: 1-8.

Hays, Jeffrey. 2014. « Air and Water Pollution and Environmental Issues in Thailand ». Facts and Details. http://factsanddetails.com/southeast-asia/Thailand/sub5_8h/entry-3326.html#chapter-3.

Khelifi, Naila. 2019. « 10 mesures pour réduire la pollution à Bangkok ». ThailandeFr. En ligne. https://www.thailande-fr.com/bangkok/74112-10-mesures-pour-reduire-la-pollution-a-bangkok (page consultée le 25 avril 2019).

UN Environment. 2019. Air Pollution Is Choking Bangkok, but a Solution Is in Reach. En ligne. http://www.unenvironment.org/news-and-stories/story/air-pollution-choking-bangkok-solution-reach (page consultée le 01 Avril 2019).

UNICEF. 2019. UNICEF Thailand Statement on the Unhealthy Level of Air Pollution and Its Impact on Children. En ligne. https://www.unicef.org/thailand/press-releases/unicef-thailand-statement-unhealthy-level-air-pollution-and-its-impact-children (page consultée le 01 Avril 2019).

Vejpongsa, Tassanee. 2019. “Thai Government Scrambles to Respond as Bangkok Choked by Smog.” The Diplomat. En ligne. https://thediplomat.com/2019/02/thai-government-scrambles-to-respond-as-bangkok-choked-by-smog/ (page consultée le 01 Avril 2019).

Vichit-Vadakan, Nuntavarn, et Nitaya Vajanapoom. 2011. “Health Impact from Air Pollution in Thailand: Current and Future Challenges.” Environmental Health Perspectives 119(5): A197–98.

 

Notes de bas de page:

[1] GardaWorld, 2019.

[2] Guo et al., 2014, 2.

[3] Ibid., 6.

[4]  Vejpongsa, 2019.

[5] Beech, 2019.

[6] Vichit-Vadakan et Vajanapoom, 2011, A197.

[7]  Vejpongsa, 2019.

[8] Guo et al., 2014, 1.

[9] Vichit-Vadakan et Vajanapoom, 2011, A197.

[10] Vejpongsa, 2019.

[11] Guo et al., 2014, 7.

[12] Khelifi, 2019.

[13] Hays, 2014.

[14] Energy Policy Institute at the University of Chicago (EPIC), 2019.

[15] Daniel et Archer, 2019.

[16] Vichit-Vadakan et Vajanapoom, 2011, A197‑98.

[17] UNICEF, 2019.

[18] Daniel et Archer, 2019.

[19] UN Environment, 2019.

[20] Daniel et Archer, 2019.

[21] Vejpongsa, 2019.

[22] UN Environment, 2019.

[23] Guo et al., 2014, 7.

[24] Daniel et Archer, 2019.

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