La sécurité humaine et les droits de la personne : Des aspects secondaires à la croissance économique au Laos?

Par Samuel Morneau

Des militants manifestant pour le retour de Sombath Somphone, enlevé en 2012 à Vientiane et qui n’a jamais été revu depuis 

 

Quand la sécurité humaine passe par la possession de terres

La femme de Sombath Somphone luttant pour le retour de son mari

Le gouvernement laotien encourage le développement économique, qui survient de façon marquée bien que le Laos demeure un des pays les plus pauvres de l’Asie du Sud-Est. Mais ce désir de faire croitre l’économie, qui est central aux mesures prises par le gouvernement laotien depuis longtemps, entraîne des risques variés parmi lesquels s’inscrivent l’atteinte à la sécurité humaine et le non-respect des droits humains fondamentaux. Le gouvernement laotien fait donc face à des défis dans ces deux aspects, certains étant causés par le gouvernement lui-même, d’autres par des facteurs partiellement extérieurs. Les problèmes provenant de la recherche de croissance économique sont multiples, mais plusieurs passent par une mauvaise gestion de terres, ressources ou conditions humaines. Ainsi, la corruption gouvernementale qui mène à la vente de ressources ou droits d’exploitation à des compagnies extérieures sans compensations ou retours pour les populations locales mène à la diminution des ressources disponibles pour ces populations et s’ajoute à la pauvreté encore élevée au Laos (23% en situation de pauvreté absolue), et mènent à ou exacerbent les problèmes d’infrastructures inadéquates, de mauvais accès à l’emploi ou seulement à des emplois à faible valeur ajoutée et dans de mauvaises conditions de travail, d’insécurité alimentaire, de trafic humain et de consommation de drogues (Howe et Kearrin, 2011, p. 338). De plus, le gouvernement saisit ouvertement des terres appartenant à des minorités ethniques et des populations autochtones avec peu voire pas de compensation, ou en promettant de l’aide à travers des programmes de réinstallations lents et inefficaces, ce qui augmente la pauvreté et la mortalité, parfois jusqu’à 30% du niveau initial (Howe et Park, 2015, p. 175). En dehors des saisies, le gouvernement utilise aussi son pouvoir politique et économique absolu afin d’avancer des projets, indépendamment de leurs impacts environnementaux et humains, comme la construction de barrages sur la rivière Mékong, dont un seul projet, le barrage de Xayaburi, a entraîné des risques de sécurité pour 200000 personnes, sans compensation décente équivalente aux bénéfices apportés par l’accès à la rivière, et la relocalisation forcée d’environ 2100 personnes (Howe et Park, 2015, p. 174).

La sécurité humaine quasi-inexistante pour une forte part de la population rurale

La malnutrition au Laos touche une très forte part d’enfants

La mauvaise gestion des déplacements de populations causés par ce type de projet, combinés à la pauvreté affectant souvent les régions choisies pour ces projets causent rapidement des problèmes de sécurité alimentaire et de dégradation environnementale (Howe et Park, 2015, p. 174). Les conditions d’insécurité alimentaire quant à elles sont telles que, dans le 2/3 des zones rurales, la population est à risque de pénurie alimentaire en cas d’imprévus comme des catastrophes naturelles ou des imprévus causés par des munitions non explosées (Howe et Kearrin, 2011, p. 341), qui sont si fréquentes qu’elles font partie des causes principales de difficultés socio-économiques, ces bombes empêchant en effet entièrement l’accès à certaines terres autrement fertiles, ralentissant le développement d’infrastructure et entraînant une augmentation des risques à la sécurité humaine en général. Les districts les plus affectés par les munitions non explosées, celles-ci limitant grandement le développement social et économique, sont donc aussi souvent les districts les plus pauvres (Howe et Kearrin, 2011, p. 345). Tous ces éléments, qui limitent déjà les possibilités de développement social et économique dans une optique qui protège également la sécurité humaine, sont combinés à un système routier mal développé, qui à certains endroits est inexistant ou peu accessible, parfois même à plus de 6 kilomètres de certains villages, qui aide à garder les taux d’éducation et l’accès aux services de base comme le système de santé à des minimums décevants (Howe, 2012, p. 153). Ces facteurs signifient donc que le Laos est parmi les pires pays au monde pour la mortalité infante, avec 61 morts aux 1000 naissances chez les enfants de moins de 5 ans et 403 morts maternelles aux 100000 naissances, et détient également des scores terribles concernant la malnutrition (Howe et Kearrin, 2011, p. 343). En effet, il était estimé qu’en 2011 44.2% des enfants en bas de 5 ans souffraient d’un retard de croissance dû à la malnutrition, alors que 17.1% de la population en 2014 était toujours en situation de sous-alimentation (Asian Development Bank, 2019). S’ajoutent à ces facteurs de danger pour la sécurité humaine les problèmes de non-respect des droits fondamentaux qui est rampant au Laos. Ainsi, malgré la signature de documents et conventions divers au niveau international, il arrive tout de même qu’il y ait des problèmes de disparitions soudaines, principalement vis-à-vis de membres de la société civile et d’activistes sociaux, principalement parce qu’il y a un fort contrôle des libertés d’expression, d’association et d’assemblée, que le gouvernement contrôle à travers des arrestations arbitraires et la censure (Howe et Park, 2015, p. 178). L’Article 23 de la Constitution laotienne permet même ouvertement au gouvernement de pratiquer la censure des journaux, télévisions et autres médias si les points de vue présentés sont contraires « aux intérêts nationaux ou la culture et dignité du peuple lao » (Constitution of the Lao People’s Democratic Republic, 2015). Le traitement des prisonniers aussi souffre des lacunes du gouvernement en droits humains, la torture et le manque de nourriture et d’eau étant communs face aux vendeurs de drogue, et les dissidents politiques étant enfermés sans procès, puis battus ou condamnés de façon injuste (Amnesty International, 2018). Finalement, les droits des travailleurs sont généralement faibles, et les compensations face aux ouvriers qui se blessent ou perdent leur emploi pratiquement inexistantes, le clientélisme au gouvernement étant tellement fort que plusieurs grandes compagnies privées sont protégées contre les interventions qui pourraient les forcer à offrir une forme de filet social à leurs employés (Howe et Park, 2015, p. 178). Ces aspects de manque de sécurité humaine se mélangent à la forte corruption, le Laos possédant un score de perception de corruption parmi les pires au monde afin de créer une situation où les interventions politiques ne sont généralement pas effectuées dans le but de protéger les droits humains, mais penchent plutôt vers l’inverse (Howe, 2012, p. 151).

Bibliographie:

Amnesty International, 2018. « Laos 2017/2018 », disponible en ligne au https://www.amnesty.org/en/countries/asia-and-the-pacific/laos/report-laos/.

Asian Development Bank, 2019. « Basic Statistics, Asia and the Pacific » dans ADB Data Library, ADB’s Economic Research and Regional Cooperation Department (ERCD), disponible en ligne au https://data.adb.org/dataset/basic-statistics-asia-and-pacific.

Howe, Brendan et Sims Kearrin. 2011. « Human Security and Development in the Lao PDR ». Asian Survey, Berkeley, vol. 51, no. 2, p. 333-355.

Howe, Brendan. 2013. « Laos in 2012 : Growth, Challenges, and Human Insecurity ». Asian Survey, vol. 53, no. 1, p. 150-155.

Howe, Brendan et Seo Hyun Rachelle Park. 2015. « Laos The Dangers of Developmentalism? ». Southeast Asian Affairs, p. 167-185.

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