Singapour et crimes des mers: asymétrie dans la défense régionale?

Par Antony Masso-Lussier

« Singapour joue un rôle important en termes de patrouilles coordonnées avec ses voisins [la Malaisie et l’Indonésie] et doit [continuer] dans son propre intérêt »  précisait Musafumi Kuroki, directeur général au Centre de partage d’information du ReCAAP[1], le 16 janvier 2018 [2]  .

Dans le même souffle, le rapport de son organisation expose que « les raisons possibles de l’augmentation du nombre d’incidents [dans les détroits, de Malacca et de Singapour,] pourraient être une surveillance plus faible de la part des États côtiers […] » [3].

Comment expliquer que L’État singapourien s’implique davantage dans l’éradication du problème de piraterie ? L’implication de Singapour, comparée à la Malaisie et l’Indonésie, se lie à sa perception globale des menaces, sa position de vulnérabilité et l’efficience de sa défense.

Perception globale des menaces

Cet image présente l’importance du port de Singapour en termes de capacité d’entreposage.

Singapour lutte contre la piraterie dans une vision globalisée de sa sécurité. L’État singapourien intègre les normes internationales en matière de sécurité des mers. Dès lors, depuis l’application de l’ISPS[4], en 2004, le nombre d’incidents dans
les eaux de la cité-État diminue de moitié [5].

De plus, en relation avec les évènements du 11 septembre 2001, Singapour reconnait le lien entre la menace terroriste transnationale et la piraterie. En fait, « Tony Tan, alors vice-premier ministre de l’État singapourien, a averti […] [que] la menace du terrorisme pourrait se déplacer vers des cibles maritimes, en particulier la navigation commerciale » [6]. En résumé, sa perception des menaces dans un monde globalisé l’amène à accentuer sa lutte contre le crime des mers.

La Malaisie et l’Indonésie définissent la piraterie dans le cadre d’une vision locale. Les deux pays voient les normes internationales comme une forme d’ingérence dans leur politique. Dès lors, leurs efforts consistent principalement à empêcher l’intervention étrangère pour protéger le détroit de Malacca [7].

De plus, ils estiment exagérés les liens entre la piraterie et le terrorisme transnational. En ce sens, les deux États approchent la « menace » comme tout autre acte criminel [8]. En résumé, leur identification du problème dans un cadre régional freine leur implication contre les crimes des mers.

Position de vulnérabilité

L’État singapourien se voit en position de vulnérabilité contre les menaces de piraterie. Une fermeture de son port en raison de menaces sécuritaires se répercuterait sur son économie. Plus concrètement, l’activité portuaire compte pour 7 % de son produit intérieur brut [9].

De plus, la proximité des routes maritimes de la population les met en position de vulnérabilité. En fait, la cité-État prend au sérieux la possibilité de détourner un navire dans le but d’affecter la sécurité nationale [10]. En résumé, la position de vulnérabilité de Singapour l’incite à accroitre son implication.

Pour leur part, la Malaisie et l’Indonésie conçoivent la menace des mers en faible priorité comparée à leurs problèmes internes. Sur le plan économique, les autorités voient urgente la lutte contre l’exploitation illégale des ressources. Par exemple, « le gouvernement indonésien perd environ 2 milliards de dollars par an en pêche illégale » affirme Xu de l’École des relations internationales à l’Université de Xiamen en Chine. [11].

Sur le plan de la sécurité nationale, les crimes faits sur terre s’avèrent plus importants que sur mer. En effet, « le nombre d’incidents de piraterie en Malaisie [était] […] de 99 en 2002 […], [tandis que] le nombre de crimes graves en [était] de 21 000 », signale Mak chercheur à l’Université nationale de Singapour [12]. En bref, les deux États voient la lutte contre la piraterie de manière moins urgente que leurs autres problèmes intérieurs.

Efficience des capacités de défense

 

A combined U.S. Navy and Republic of Singapore Navy (RSN) task group steams together during the at-sea portion of the Singapore phase of exercise Cooperation Afloat Readiness and Training (CARAT) 2005.

Singapour détient une capacité de coordination de ses forces efficace. L’État singapourien renforce ses capacités militaires par sa coopération avec des puissances externes. En effet, Singapour reçoit de l’aide logistique et financière du Japon et des États-Unis dans ce domaine [13].

De plus, Singapour maintient un budget de défense lié à ses capacités financières d’économie développée. Ainsi, la cité-État peut investir dans le renouvèlement de ses flottes navales de manière récurrente [14]. En résumé, l’efficacité du dispositif de sécurité singapourien bénéficie de l’attitude stratégique du gouvernement.

La Malaisie et l’Indonésie détiennent une capacité de défense limitée. Les deux pays limitent leur coopération dans le domaine militaire. Par exemple, ils partagent seulement une partie de l’information, ce qui implique une diminution de leur capacité de coordination [15].

En outre, leurs besoins de défense maritime surpassent les capacités de leurs flottes. En fait, les États font face à un sous-investissement récurrent dans leurs budgets nationaux [16]. En résumé, la lutte contre la piraterie s’avère limitée aux capacités de défense des deux États.

Avantages du pragmatisme ?

À la hauteur de ses moyens et de ses ambitions, Singapour s’implique davantage que ses voisins dans sa défense maritime. Sa vision globale de l’enjeu lui donne le sentiment d’urgence d’agir. De plus, sa position de vulnérabilité met en premier plan l’importance de limiter l’impact de cette menace. Enfin, sa capacité militaire se lie avec son pragmatisme pour garantir une défense efficiente.

Malgré la pâle figure de la Malaisie et de l’Indonésie, ces pays semblent enclins à protéger les détroits. Néanmoins, leur priorité envers les questions de souveraineté restreint la portée de leurs actions. En fait, ces États ne bénéficieraient-ils pas d’une politique « pragmatique » à la singapourienne pour assurer leur souveraineté dans le détroit ?

 

 

Ce vidéo montre la lucrativité du marché de détournement de bateaux pour les pirates. En outre, il présente l’importance économique internationale de la voie maritime. [1]

[1] Al Jazeera English, Pirates of the Malacca Strait (1/2).

Ce vidéo met en lumière la perspective de la marine Malaisienne sur le problème de piraterie. En fait, les équipages devraient assurer leur sécurité nonobstant l’aide de la Malaisie. De plus, il présente la réticence de partage d’informations entre les corps indonésiens, singapouriens et malaisiens comme une autre partie du problème de coordination des efforts de défense. [1]

[1] Al Jazeera English, Pirates of the Malacca Strait (2/2).

 

[1] Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery against Ships in Asia.

[2] Lim, « More Piracy, Robbery Cases in Malacca and Singapore Straits in 2017, as in Rest of Asia ».

[3] Lim; ReCAAP Information Sharing Centre, « Piracy and Armed Robbery Against Ships in Asia », 20.

[4] International Ship and Port Facility Security Code (ISPS); En français : Code international pour la sécurité des navires et des installations portuaires

[5] Mak, « Securitizing Piracy in Southeast Asia: Malaysia, the International Maritime Bureau and Singapore », 83; Shemella, Global Responses to Maritime Violence, 237; Teo, « Target Malacca Straits », 544; Xu, « The Challenges of Maritime Security Cooperation in the Straits of Malacca », 23.

[6] Ho, « The Security of Sea Lanes in Southeast Asia », 564.

[7] Teo, « Target Malacca Straits », 544; Xu, « The Challenges of Maritime Security Cooperation in the Straits of Malacca ».

[8] Ho, « The Security of Sea Lanes in Southeast Asia », 565; Mak, « Securitizing Piracy in Southeast Asia: Malaysia, the International Maritime Bureau and Singapore », 85.

[9] Ho, « The Security of Sea Lanes in Southeast Asia », 563; Xu, « The Challenges of Maritime Security Cooperation in the Straits of Malacca », 86.

[10] Ho, « The Security of Sea Lanes in Southeast Asia », 563.

[11] Xu, « The Challenges of Maritime Security Cooperation in the Straits of Malacca ».

[12] Mak, « Securitizing Piracy in Southeast Asia: Malaysia, the International Maritime Bureau and Singapore », 68.

[13] Ho, « The Security of Sea Lanes in Southeast Asia », 565; Mak, « Securitizing Piracy in Southeast Asia: Malaysia, the International Maritime Bureau and Singapore », 83; Xu, « The Challenges of Maritime Security Cooperation in the Straits of Malacca », 87‑88.

[14] Xu, « The Challenges of Maritime Security Cooperation in the Straits of Malacca », 29.

[15] Teo, « Target Malacca Straits », 547; Xu, « The Challenges of Maritime Security Cooperation in the Straits of Malacca », 26.

[16] Mak, « Securitizing Piracy in Southeast Asia: Malaysia, the International Maritime Bureau and Singapore », 67; Xu, « The Challenges of Maritime Security Cooperation in the Straits of Malacca ».

 

Bibliographie

Al Jazeera English. Pirates of the Malacca Strait (1/2). Détroit de Malacca, 2015. https://www.youtube.com/watch?v=V68GgtFZBQs.

———. Pirates of the Malacca Strait (2/2). Détroit de Malacca, 2015. https://www.youtube.com/watch?v=XoAJj3DJsl8.

Ham, David J. South China Sea – A combined U.S. Navy and Republic of Singapore Navy (RSN). 6 juin 2005. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:US_Navy_050606-N-5663H-168_A_combined_U.S._Navy_and_Republic_of_Singapore_Navy_(RSN)_task_group_sails_in_formation_during_the_at-sea_portion_of_the_Singapore_phase_of_exercise_Cooperation_Afloat_Readiness_and_Training_(CARAT)_2.jpg.

Ho, Joshua H. « The Security of Sea Lanes in Southeast Asia ». Asian Survey 46, no 4 (2006): 558‑74. https://doi.org/10.1525/as.2006.46.4.558.

Lim, Min Zhang. « More Piracy, Robbery Cases in Malacca and Singapore Straits in 2017, as in Rest of Asia ». The Straits Times, 16 janvier 2018. https://www.straitstimes.com/singapore/more-piracy-robbery-cases-in-malacca-and-singapore-straits-in-2017-as-in-rest-of-asia.

Mak, JN. « Securitizing Piracy in Southeast Asia: Malaysia, the International Maritime Bureau and Singapore ». Dans Non-Traditional Security in Asia : Dilemmas in Securization, par Ralf Emmers, 292. Routledge, 2017. https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781351914369/chapters/10.4324%2F9781315247878-12.

ReCAAP Information Sharing Centre. « January – December 2017 Report ANNUAL Piracy and Armed Robbery Against Ships in Asia ». Annual Report. Singapour: ReCAAP Information Sharing Centre (ISC), 2017. http://www.recaap.org/resources/ck/files/reports/2018/01/ReCAAP%20ISC%20Annual%20Report%202017.pdf.

Schwarzbach, Uwe. Siloso Beach on Sentosa island, Singapore. 2 mars 2018. Photo. https://www.flickr.com/photos/uwebkk/39058474040/.

Shemella, Paul, éd. Global Responses to Maritime Violence: Cooperation and Collective Action. 1 edition. Stanford Security Studies, 2016.

Teo, Yun Yun. « Target Malacca Straits: Maritime Terrorism in Southeast Asia ». Studies in Conflict & Terrorism 30, no 6 (24 mai 2007): 541‑61. https://doi.org/10.1080/10576100701329568.

Xu, Ke. « The Challenges of Maritime Security Cooperation in the Straits of Malacca: Another Singapore Perspective ». Dans Maritime Security in East and Southeast Asia, 85‑106. Palgrave, Singapore, 2017. https://doi.org/10.1007/978-981-10-2588-4_5.

Zairon. Blick von The Pinnacle@Duxton auf einer der Häfen, Singapur. 3 novembre 2015. Own work. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Singapore_Port_viewed_from_The_Pinnacle@Duxton_07.jpg.

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