Quelles perspectives d’avenir pour les revendications vietnamiennes en Mer de Chine méridionale ?

Par Phan Quang Anh Bui

 

Le Vietnam a développé des intérêts en Mer de Chine méridionale en 1975 lorsque que le pays a hérité les revendications territoriales sud-vietnamiennes portant sur les îles Spratleys et Paracels (respectivement Truong Sa et Hoang Sa en vietnamien) [1]. Qu’elles soient principalement de nature politique ou économique, ces revendications ont connues d’importantes évolutions dans les décennies depuis. Quels furent les épisodes qui ont marqué les tentatives de redéfinition du gouvernement, et à quelles perspectives d’avenir pourrait-on s’attendre ?

 

 

Do Thanh Hai parvient à délimiter une première période en politique maritime vietnamienne, entre l’unification du pays en 1975 et les grandes réformes économiques du Doi Moi mises en place en 1986 [2]. Cette période se trouve caractérisée par un effort de maximisation des territoires revendiqués en Mer de Chine méridionale ainsi qu’un respect relatif du droit international établi par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (mieux connu en anglais sous l’acronyme UNCLOS) malgré la présence de certaines exceptions notables.

 

Tout d’abord, le Vietnam de l’époque revendiquait une zone économique exclusive (ZEE) sur les structures présentes dans les Spratleys et Paracels alors que leur statut d’îles était encore un sujet controversé. En effet, l’article 121 de l’UNCLOS prévoit que « les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre » n’étaient pas considérées comme des îles et ainsi « [n’avaient] pas de zone économique exclusive ni de plateau continental » [3]. Secondement, Hanoi revendiquait des droits historiques dans la zone du Golfe du Tonkin alors que ceux-ci ne furent pas définis par l’UNCLOS. Troisièmement, l’application par le Vietnam de la méthode de la ligne de base droite pour établir ses revendications territoriales fut un sujet fortement controversé. Finalement, Hanoi restreignait la libre circulation des navires étrangers sur ses eaux territoriales malgré l’existence d’après l’UNCLOS d’un droit de passage inoffensif.

 

Le 6e Congrès du Parti Communiste de 1986 et ses réformes de Doi Moi apporta avec lui un changement dans la politique étrangère du pays, qui s’efforça de participer de manière plus proactive aux négociations bilatérales et multilatérales et d’aligner davantage ses revendications avec le droit international établi par l’UNCLOS [4]. À partir de cette époque, la poursuite plus ou moins agressive des revendications territoriales fut mise de côté en faveur du développement économique et du renforcement des relations avec les pays voisins.

 

Par exemple, « le 5 juin 1992, un accord a été conclu entre la Malaisie et le Vietnam pour développer conjointement les zones de chevauchement des revendications au niveau du plateau continental au sud-ouest du Vietnam et au nord-est de la partie péninsulaire de la Malaisie »  [5]. De plus, le Vietnam conduit en 1994 des discussions bilatérales avec la Chine lors de l’ASEAN Regional Forum (ARF) tenu à Bangkok. Les Ministres des Affaires Étrangères des deux pays se mirent d’accord sur la nécessité de résoudre la question des revendications par la voie de négociations pacifiques. Quelques mois plus tard, les deux pays annoncèrent aussi que les disputes territoriales ne devraient pas avoir un impact négatif sur le cours normal des relations bilatérales [6].

 

La priorité stratégique passe au maintien de l’accès à l’exploitation économique de la Mer de Chine méridionale, étant donné la présence dans cette zone de ressources halieutiques et d’hydrocarbures d’importance capitale.

 

 

En effet, le secteur pétrolier et gazier fait partie intégrale de l’économie vietnamienne. En 2010, le directeur général de la compagnie pétrolière nationale PetroVietnam Phung Dinh Thuc avait annoncé en présence du PM de l’époque Nguyen Tan Dung qu’elle constituait entre 18-20% du PIB national et 28-30% des revenus gouvernementaux [7]. Avec un tel poids, il n’est pas bien surprenant que le pays cherche à sécuriser son approvisionnement en hydrocarbures, notamment auprès de sources se situant en Mer de Chine méridionale. En 2012, la compagnie avait déjà entrepris jusqu’à 60 projets d’exploration et de forage de gaz et de pétrole en mer avec des partenaires étrangers [8].

 

Dans un sens plus large, l’économie maritime du Vietnam sert de moteur de premier plan pour sa croissance économique. En 2013, le Ministre adjoint des Ressources naturelles et de l’Environnement Chu Pham Ngoc Hien avait déclaré l’intention du gouvernement de faire en sorte que le secteur puisse occuper de 53-55% du PIB national d’ici l’horizon 2020 [9]. Do Thanh Hai fait remarquer que cet objectif s’inscrit au sein d’une stratégie plus globale de réorientation de l’économie de la culture des rizières du Fleuve Rouge et du Mékong vers une exploitation plus poussée du secteur maritime dans la « Mer de l’Est » [10].

 

Quelles perspectives aujourd’hui pour les revendications territoriales vietnamiennes en Mer de Chine méridionale ? Le Vietnam fait face à une situation de plus en plus complexe et à des revendications chinoises qui ne font que s’intensifier depuis 2009, année à laquelle la « ligne des neufs points » fut officiellement soulevée pour la première fois [11]. Il serait dans l’intérêt vietnamien de maintenir son respect du droit international établi par l’UNCLOS et du processus de résolution des conflits dans un cadre multilatéral. Maintenir une politique de transparence et continuer de clarifier les modalités de ses revendications permettra au pays de s’établir en tant qu’acteur responsable et engagé aux yeux de la communauté internationale.

 

Notes

[1] Do 2015, p. 83

[2] Ibid., p. 87

[3] Organisation des Nations unies 1982, article 121

[4] Do 2015, p. 87

[5] Amer et Hong 2005, p. 430

[6] Amer 1999, p. 79

[7] PetroVietnam 2010, en ligne

[8] Buszynski 2012, p. 141

[9] Dan Tri 2013, en ligne

[10] Do 2015, p. 90

[11] Organisation des Nations unies 2009

 

Bibliographie

Amer, Ramses. 1999. « Sino-Vietnamese Relations: Past, Present and Future ». Dans Carlyle A. Thayer et Ramses Amer, dir., Vietnamese Foreign Policy in Transition. Singapore : Institute of Southeast Asian Studies, 74-87.

Amer, Ramses et Thao Nguyen Hong. 2005. « The Management of Vietnam’s Border Disputes: What Impact on its Sovereignty and Regional Integration? ». Contemporary Southeast Asia 27 (no 3), 429-52.

Buszynski, Leszek. 2012. « The South China Sea : Oil, Maritime Claims, and U.S.-China Strategic Rivalry ». The Washington Quarterly 35 (no 2) : 139-56.

Dan Tri. 2013. « Kinh tế biển sẽ đóng góp 53 – 55% GDP ». En ligne. http://dantri.com.vn/kinh-doanh/kinh-te-bien-se-dong-gop-53-55-gdp-1371111841.htm (page consultée le 21 mai 2018).

Do, Thanh Hai. 2015. « Vietnam’s evolving claims ». Dans Leszek Buszynski et Christopher B. Roberts, dir., The South China Sea Maritime Dispute : Political, Legal and Regional Perspectives. London : Routledge, 83-104.

Martel, Stéphanie. 2018. Conflits en mer de Chine méridionale : vue d’ensemble et développements récents, conférence tenue le 8 mai 2018 à l’Université de Montréal par Stéphanie Martel, professeure adjointe au Département d’Études politique de Queen’s University.

Organisation des Nations unies. 1982. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

Organisation des Nations unies. 2009. CML/17/2009 Notes Verbale by the Permanent Mission of the People’s Republic of China to the United Nations.

PetroVietnam. 2010. Thủ tướng Nguyễn Tấn Dũng trao tặng Huân chương Sao vàng cho Tập đoàn Dầu khí Quốc gia Việt Nam. En ligne. http://www.pvi.com.vn/tin-tuc-new/tin-hoat-dong-pvi/news-471.html (page consultée le 21 mai 2018).

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