Entre aigle et dragon : La stratégie équilibriste de l’Indonésie

Par Claudia Serrano

 

Le cas de l’Indonésie et de sa politique étrangère est particulièrement intéressant, puisqu’elle est très représentative de l’importance de la stratégie de « hedging » en Asie du Sud-est. En ce sens, la diversité des politiques internes ainsi que les changements de gouvernement en Indonésie depuis les 70 dernières années ont nécessité une adaptation de ses relations internationales.

Ainsi, l’Indonésie a habilement su modeler ses relations avec la Chine et les États-Unis selon ses propres besoins nationaux, mais également selon les besoins de la région. Le présent article explore le va-et-vient indonésien entre la puissance chinoise et la puissance américaine depuis les années 1950, tout en faisant un parallèle avec la situation politique interne du pays.

 

La Chine en Indonésie : une relation amour-haine stratégique

Le président indonésien Joko Widodo serrant la main au président chinois Xi Jinping

Dès la conférence de Bandung, Indonésie en 1955 mise en place entre autres par le président Sukarno, le pays sud-est asiatique opte pour la voie de non-alignement face au conflit idéologique au cœur de la guerre froide. Toutefois, comme l’explique Lanti, la politique étrangère indonésienne semblait être dirigée davantage vers le bloc de l’Est, étant donné que « Sukarno’s dislike of Nikita Khrushchev, and his personal proximity to Nyoto, a pro-Beijing PKI leader, were at least partly responsible for Indonesia’s close relationship with China » [1].

Cependant, l’arrivée au pouvoir de Suharto en 1967 entraîne un changement de direction de l’Indonésie face à la Chine, notamment en raison de la tentative de coup d’État de 1965 par des communistes rapidement suspects d’avoir été soutenus par l’Empire du Milieu [2]. La volonté de geler les relations diplomatiques avec la Chine est rapidement accueillie positivement par les musulmans conservateurs du pays en raison des nombreuses tensions historiques entre les deux groupes au sein de l’Indonésie principalement en matière d’économie, les Sino-Indonésiens ayant davantage tendance à être de grands entrepreneurs versus les Indonésiens étant majoritairement de petits et moyens entrepreneurs, sans compter la rivalité indonésienne historique entre musulmans et communiste [3].

Tout au long du règne de son « Ordre nouveau », Suharto maintiendra la « peur fantôme » d’une potentielle attaque chinoise et d’un retour du communisme dans le pays [4]. Un changement de direction sera toutefois effectué par l’Indonésie dans ses relations internationales d’abord après le départ de Suharto en 1998 puis en raison des attentats terroristes du 9/11 aux États-Unis [5].

Les musulmans conservateurs en Indonésie, bien que n’étant généralement pas friands des Chinois, deviennent favorables à l’amélioration des relations avec cette dernière principalement dans le but d’établir un équilibre régional et de pouvoir ainsi contrebalancer la présence américaine, mais également dans le but de créer des partenariats pouvant leur être avantageux en raison de la « Global War on Terrorism » (GWOT) de l’administration Bush [6].

En symbole du rapprochement de la Chine et de l’Indonésie et pour assurer la coopération future, le China-Indonesia Strategic Partnership Agreement est signé par le président chinois Hu Jintao et le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono en 2005. La Chine est ainsi passée de la première menace de l’Indonésie à son cinquième plus grand partenaire commercial en 2004 [7].

 

Les États-Unis en Asie du Sud-est : la valse indonésienne

Le président américain Kennedy et le président indonésien Sukarno avant d’être replacé par Suharto

En plein contexte de guerre froide et dans sa crainte frénétique de l’effet domino, les États-Unis ont très positivement accueilli l’arrivée de Suharto au pouvoir en Indonésie en 1967. Cependant, dès son départ en 1998, la relation États-Unis–Indonésie s’est grandement refroidie. D’abord, à cette époque, « The US involvement in the region is seen as a remnant of the Cold War and such involvement is therefore seen not as a regionally inherent need but rather as an external force driven by self-interest » [8].

De plus, un embargo sur les armes de la part des États-Unis comme conséquence des violences effectuées par le grand pays sud-est asiatique dans le Timor-Leste après le référendum de 1999 a poussé l’Indonésie à chercher de nouvelles alternatives en matière d’armements, ne pouvant plus se contenter de dépendre d’un seul pays [9].

Par ailleurs, suite à l’émergence de groupes islamistes, les États-Unis avaient de fortes attentes envers l’Indonésie qui semblait se démocratiser et deviendrait ainsi un modèle exemplaire mondial prouvant que l’islam et la démocratie sont compatibles [10]. Mais la guerre contre le terrorisme, perçue par Jakarta comme étant une guerre contre l’islam en raison du comportement douteux des Américains en Iraq puis en Palestine ainsi qu’en raison des nombreux scandales de profilage racial envers les musulmans aux États-Unis, alimente les tensions entre les deux États [11].

Cependant, à la suite d’attentats terroristes en Indonésie, l’État asiatique accepte de collaborer avec Washington dans sa GWOT [12]. L’arrivée de Obama au pouvoir en 2008, étant d’origine afro-américaine, fut bien accueillie ce qui, d’après Novotny, « a été particulièrement vrai en Indonésie où Obama était vu comme l’incarnation d’une coupure radicale avec la position agressive et unilatéraliste de l’administration de George W. Bush puis grâce aux connexions personnelles qu’avait Obama avec l’Indonésie » [13]. D’ailleurs, un US-Indonesian Comprehensive Partenership sera signé en 2010 entre les deux gouvernements, le pivot asiatique sous l’administration Obama ayant très bien été perçu par l’Indonésie et favorisant l’équilibrisme et la multipolarité dans la région [14].

Toutefois, en raison de l’arrivée du président Trump à Washington, la relation entre les États-Unis et l’Indonésie redevient incertaine, sans oublier la réémergence de conflits en Mer de Chine Méridionale (MCM) en 2009 qui crée un climat très sensible en Asie du Sud-est, la volonté générale des États de la région étant de contenir autant la puissance américaine que la puissance chinoise en pleine montée.

 

 

 

 

Références

[1] Lanti 2007, 130, 4

[2] Lanti 2007, 130

[3] Lanti 2007, 131

[4] Lanti 2007, 132

[5] Lanti 2007, 132

[6] Lanti 2007, 132

[7] Lanti 2007, 132-3

[8] Lanti 2007, 134

[9] Lanti 2007, 133

[10] Lanti 2007, 134

[11] Lanti 2007, 135-6

[12] Wei Boon Chua 2017, 272

[13] (Traduction personnelle) Novotny 2010, 5-6

[14] Novotny 2010, 346-7 ; Wei Boon Chua 2017, 273

 

 

 

Bibliographie

Lanti, Irman. 2007. « Indonesia in triangular relations with China and the United States. » Dans E. Goh et S. W. Simon, dir. China, the United States, and South-East Asia : Contending Perspectives on Politics, Security, and Economics. London : Routledfge.

Novotny, Daniel. 2010. Torn between America and China : Elite Perceptions and Indonesian Foreign Policy. Singapour : Institute of Southeast Asian Studies.

Wei Boon Chua, Daniel. 2017. «United States’ pivot and Southeast Asia.» Dans S. Ganguly, J. Liow et A. Scobell, dir.The Routledge Handbook of Asian Security Studies. London : Routledge.

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