Indonésie : médiateur entre le monde musulman et l’Occident

Par Camila Valencia

Premier pays musulman et troisième plus grande démocratie du monde, l’Indonésie fournit sur la scène internationale un exemple de cohabitation harmonieuse entre la religion, la démocratie et la modernité. Tel qu’avancé par la journaliste française Solenn Honorine, depuis la démocratisation du régime politique à la fin du 20e siècle, l’archipel indonésien « a fait de la tolérance un crédo officiel et du dialogue interreligieux, un pilier de sa politique internationale »[1]

Aujourd’hui, la démocratie et l’islam politique forment ensemble l’essentiel des atouts du « soft power » de l’archipel[2]. En diffusant l’idée d’un islam modéré et tolérant et en se positionnant comme championne des droits de l’homme et de la démocratie en Asie, l’Indonésie vise à s’affirmer sur la scène internationale comme un « pont » entre les mondes musulman et non-musulman. Or, si à travers la formulation de diverses initiatives, l’Indonésie s’engage de plus en plus à promouvoir son image de médiateur, l’archipel éprouve aujourd’hui des difficultés à consolider son rôle de connecteur de « civilisations » sur la scène internationale[3].

Consolidation de son image de médiateur entre le monde musulman et l’Occident

1. Logo de la neuvième édition du Forum pour la démocratie de Bali qui s’est tenu du 8 au 9 décembre 2016 à Nusa Dua, Bali.

Dans le but de consolider son image de médiateur entre le monde musulman et l’Occident, l’Indonésie s’engage non seulement à promouvoir la démocratie et les droits humains au sein de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), mais vise à s’affirmer de plus en plus aux niveaux régional et international comme un pays musulman moderne et modéré.

Tout d’abord, depuis les années 2002, l’Indonésie s’est donné comme mission de transformer l’ANASE en une organisation fondée sur des valeurs démocratiques et le respect des droits humains[4]. En effet, outre ses efforts pour introduire des normes démocratiques dans les mécanismes et les objectifs de l’ANASE durant l’année de sa présidence (2002-2003), l’Indonésie a lancé en 2008 le Forum pour la démocratie de Bali, « le premier forum intergouvernemental en Asie-Pacifique qui se concentre sur la coopération régionale dans le domaine de la démocratie et du développement politique »[5].

Ce forum qui est ouvert à d’autres pays d’Afrique, d’Amérique et d’Europe fut lancé par l’Indonésie avec l’objectif de promouvoir activement les principes démocratiques en Asie-Pacifique. Cette initiative de l’Indonésie pour promouvoir la démocratie au sein de l’ANASE s’inscrit notamment dans une volonté de restaurer son rôle de leader régional et de renforcer son image d’un pays modéré capable de faire le pont entre différentes valeurs et traditions[6].

En outre, dans le but de consolider son image de médiateur entre l’Islam et l’Occident, l’Indonésie s’est posée, selon le spécialiste de l’Asie du Sud-Est Rémy Madinier, « en fer de lance du dialogue de civilisations »[7]. Depuis 2003, l’Indonésie s’est engagée activement à organiser des forums de dialogue interreligieux. Dans le but d’accorder une tribune aux acteurs religieux et de renforcer les liens entre ceux-ci, l’archipel a lancé en 2004, le premier Forum de dialogue Asie-Pacifique à Yogkakarta. Aujourd’hui, compte tenu de son succès, ce Forum est organisé annuellement dans un pays de la région et regroupe un nombre croissant de participants[8].

De plus, l’Indonésie s’est engagée en tant que médiateur dans divers conflits de nature politique et religieuse. En effet, en 2007, le gouvernement indonésien Susilo Bambang Yudhoyono s’est proposé comme médiateur entre les communautés chiites et sunnites en Irak, puis entre les factions palestiniennes Hamas et Fatah[9]. Ainsi, à travers sa participation en tant que médiateur dans divers enjeux de nature religieuse et ses initiatives en matière de dialogue interreligieux, l’Indonésie vise à affirmer son rôle de « connecter de civilisations ».

Limites et remise en question du rôle de médiateur…

2. Mémorial construit en l’honneur des victimes de l’attentat de Bali au bar Paddy’s Pub de 2002.

Malgré les initiatives mises en place par l’Indonésie dans le but de promouvoir et consolider son rôle de médiateur entre les mondes musulman et non-musulman, divers enjeux sur le plan interne nuisent considérablement au rôle de l’archipel sur la scène internationale. En effet, l’ambition de l’Indonésie de se positionner comme un pays modéré dépend largement de la crédibilité du pays sur la scène internationale[10]. Or, aujourd’hui, l’Indonésie est confrontée à des enjeux d’ordre politique et social qui remettent en question sa légitimité en tant que pont entre le monde musulman et l’Occident.

Tout d’abord, si formellement l’Indonésie a rejoint le camp des démocraties parlementaires à la fin du 20e siècle, le système démocratique indonésien reste encore fragile aujourd’hui[11]. En effet, bien que sur la scène internationale, l’Indonésie se vante de respecter les droits fondamentaux et la diversité culturelle, la liberté religieuse a été souvent bafouée par les gouvernements indonésiens. Selon le rapport annuel de 2013 d’Amnesty International, les minorités religieuses, incluant les Ahmadis, chiites et chrétiens, font actuellement face à des phénomènes de discrimination et d’attaques[12]. De plus, la limite de la liberté d’expression et le contrôle de l’État sur les médias, tout comme l’exclusion d’emblée des partis qui se réclament de la tradition de gauche[13], témoignent de la fragilité et des limites du système démocratique indonésien.

En outre, même si l’Indonésie tente de diffuser un islam pluraliste, tolérant et ouvert, l’islam indonésien est loin d’être unanime et totalement modéré. En effet, les milieux musulmans dans l’archipel sont assez divisés. Politiquement et idéologiquement, « ils se répartissent sur une échelle assez large qui va de la modernisation prodémocratique à l’extrémisme fondamentaliste »[14], affirme notamment Philippe Raggi, directeur du département Asie du Sud Est à l’Académie Internationale de Géopolitique.

Ainsi, cette réalité fut confirmée en 2002, lorsqu’un vaste réseau, principalement indonésien, connu sous le nom de Jemaah Islamiyah (JI), qui vise à créer un califat islamique en Asie du Sud-Est, mena un attentat dans la ville touristique de Bali, faisant plus de 200 morts[15]. Cet attentat, qui marqua le début d’une série d’attaques terroristes, tout comme les manquements au sein du système démocratique indonésien, affaiblit de manière non négligeable son statut de médiateur entre le monde musulman et l’Occident.

 

[1] Honorine, Indonésie : Histoire, société et culture, 133.

[2] Hellendorff et Schmitz, « L’Indonésie : une puissance régionale aux ambitions mondiales ». Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, 19.

[3] Hellendorff et Schmitz, « L’Indonésie : une puissance régionale aux ambitions mondiales ». Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, 17-20.

[4] Moch Faisal, « Role Conflict and the Limits of State Identity: the Case of Indonesia in Democracy Promotion », 12-17.

[5] Moch Faisal, « Role Conflict and the Limits of State Identity: the Case of Indonesia in Democracy Promotion », 12-17.

[6] Madinier, Indonésie contemporaine, 234-237.

[7] Madinier, Indonésie contemporaine, 235.

[8] Alles, « Le dialogue interreligieux en Indonésie : de la réinvention d’une tradition à sa projection internationale »145-146.

[9] Madinier, Indonésie contemporaine, 235.

[10] Hellendorff et Schmitz, « L’Indonésie : une puissance régionale aux ambitions mondiales ». Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, 17

[11] Riquier, L’Indonésie : De la préhistoire à la présidence de Jokowi, 214-217.

[12] Hellendorff et Schmitz, « L’Indonésie : une puissance régionale aux ambitions mondiales ». Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, 20.

[13] Riquier, L’Indonésie : De la préhistoire à la présidence de Jokowi, 214.

[14] Raggi, Indonésie : La nouvelle donne, 174.

[15] Raggi, Indonésie : La nouvelle donne.

Bibliographie 

Alles, Delphine. 2015. « Le dialogue interreligieux en Indonésie : de la réinvention d’une tradition à sa projection internationale ». Les Champs de Mars 1 (no 26) : 136-151.

Honorine, Solenn. 2012. Indonésie : Histoire, société et culture. Paris : La Découverte.

Hellendorff, Bruno et Manuel Schmitz. 2014. « L’Indonésie : une puissance régionale aux   ambitions mondiales ». Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité.

Moch Faisal, Karim. 2016. « Role Conflict and the Limits of State Identity: the Case of Indonesia in Democracy Promotion ». The Pacific Review 30 : 1-33.

Madinier, Rémy. 2016. Indonésie contemporaine. Paris : Irasec et Les Indes savantes.

Riquier, Alain. 2016. L’Indonésie : De la préhistoire à la présidence de Jokowi. Paris : L’Harmattan.

Raggi, Philippe. 2000. Indonésie : La nouvelle donne. Paris : L’Harmattan.

 

Iconographie

  1. http://mediaindonesia.com/read/detail/81576-bali-democracy-forum-dan-demokrasi-indonesia
  2. https://en.wikipedia.org/wiki/2002_Bali_bombings

 

 

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