Quels enjeux américains en Mer de Chine méridionale ?

Par Phan Quang Anh Bui

 

La Mer de Chine méridionale est une zone stratégique de grande importance pour de nombreux pays. Barry Wain de l’Institut d’études de l’Asie du Sud-Est à Singapour ira même jusqu’à affirmer que « la communauté internationale toute entière, qu’il s’agisse de corporations multinationales, de commerçants privés, de sociétés d’énergies ou de gouvernements de tous bords, a intérêt en son maintien en tant qu’un espace paisible et ouvert à la navigation » [1] .

 

Qu’en est-il des intérêts portés par les États-Unis dans la région ? La position officielle américaine demeure un refus de prendre parti sur la question des multiples revendications se chevauchant les uns sur les autres en Mer de Chine méridionale. Pourtant, étant donné l’annonce du « pivot » sous Obama, ils seront sans aucun doute encore appelés à jouer un rôle de premier plan dans les affaires de cette région.

 

Le destroyer américain Kidd transite à travers la Mer de Chine méridionale. Source : MC3 Class Kelsey J. Hockenberger/U.S. Navy via defensenews.com.

 

« Les États-Unis se trouvent à un point pivot. […] L’Asie-Pacifique est devenue un moteur clé de la politique mondiale », annonce la Secrétaire d’État Hillary Clinton dans un article du Foreign Policy le 11 octobre 2011 [2]  qui marquera le début de la politique de rééquilibrage menée par l’administration Obama. L’idée serait a priori que les États-Unis opèrent un retour en force dans une région qu’ils avaient pendant trop longtemps délaissé, notamment au profit du bourbier afghan ou irakien qu’est l’héritage de Bush.

 

Il faudrait faire remarquer que certains comme Bruce Cumings de l’Université de Chicago défendent la thèse selon laquelle l’idée d’une sorte de « retour » serait fallacieux dans la mesure où les États-Unis n’ont jamais vraiment quitté la région. En effet, Cumings argumente que la structure de défense mise en place par ces derniers en Asie après la Seconde Guerre mondiale composée d’un réseau d’alliances et de bases militaires persiste bel et bien jusqu’à nos jours [3] , réseau qui est garant d’un certain équilibre dans la région.

 

Tout en prenant cela en compte, quelle politique américaine alors en Mer de Chine méridionale dans ce contexte de rééquilibrage ? Li Mingjiang de l’Université de technologie de Nanyang affirme qu’il s’agit d’une politique dite de « neutralité active » : (1) neutre dans la mesure où les États-Unis ne comptent pas offrir de soutien aux revendications territoriales de quelconques partis, mais (2) active dans la mesure où « ils ont fortement découragé n’importe quel usage de la force qui risquerait d’entraver la liberté et la sécurité de navigation ainsi que la stabilité générale dans la région » [4] .

 

Pourquoi accorder un tel poids à la stabilité en Mer de Chine méridionale ? L’importance pour les États-Unis du maintien de la liberté de navigation provient d’une volonté de ne pas perturber le flux du commerce maritime essentiel à leur prospérité. Barry Wain rajoute à cela l’idée selon laquelle cette stabilité permet aussi un transit rapide et efficace de la flotte américaine à travers la région, élément garant de leur capacité de projection de puissance [5] .

 

Quelles réactions du côté chinois face à une telle politique américaine ? Richard Weixing Hu de l’Université de Hong Kong suggère « qu’il y a de plus en plus de discussions en Chine pour déterminer si Washington tentera de lancer une stratégie d’endiguement vis-à-vis (de celle-ci) » [6] .

 

Pour faire un retour sur la thèse de Bruce Cumings évoquée ci-dessus, les États-Unis ont établi à travers toute la Guerre Froide un réseau de bases militaires sur le territoire de la plupart des pays industriels qui lui sont alliés. Ceci se manifeste en Asie par la présence de 50 000 troupes américaines au Japon, 28 000 en Corée du Sud et cetera [7] , structure de pouvoir qui porte une influence non négligeable sur la région en tant que rappel constant de l’ombre américaine qui y plane.

 

L’USS Decatur traverse la Mer de Chine méridionale. Source : Diana Quinlan/U.S. Navy/Handout via Reuters.

 

À cela, il faudrait ajouter le passage fréquent des navires de guerre américains à travers les eaux de la Mer de Chine méridionale constituant un affront aux ambitions de contrôle chinoises sur l’étendue de ses revendications [8] . Depuis l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, on a pu assister à une intensification de ces opérations de « Freedom of Navigation », à la fois en fréquence [9] et en échelle [10] .

 

Devant une telle présence américaine en Mer de Chine méridionale, il ne serait pas étonnant que certains à Beijing se sentent pris dans une stratégie d’endiguement de la part des États-Unis. Pour l’instant, les dirigeants chinois ont généralement évité d’adopter une position trop conflictuelle à l’instar du rééquilibrage américain [11] . Jusqu’à quel point pourrait-on espérer que la Chine va se laisser faire ainsi ?

 

Notes

[1] Wain 2014, p. 247

[2] Voir Clinton 2011

[3] Cumings 2016, p. 20

[4] Mingjiang 2014, p. 137

[5] Wain 2014, p. 248

[6] Hu 2016, p. 70

[7] Cumings 2016, p. 20

[8] Voir Ali et Spetalnick 2016

[9] Voir Panda 2017

[10] Voir Panda 2018

[11] Hu 2016, p. 82

 

Bibliographie

Ali, Idrees et Matt Spetalnick. 2016. « U.S. warship challenges China’s claims in South China Sea ». Reuters. En ligne. https://www.reuters.com/article/us-southchinasea-usa-exclusive/u-s-warship-challenges-chinas-claims-in-south-china-sea-idUSKCN12L1O9 (page consultée le 5 juin 2018).

Clinton, Hillary. 2011. « America’s Pacific Century ». Foreign Policy. En ligne. http://foreignpolicy.com/2011/10/11/americas-pacific-century/ (page consultée le 5 juin 2018).

Cumings, Bruce. 2016. « The Obama « Pivot » to Asia in a Historical Context of American Hegemony ». Dans David W.F. Huang, dir., Asia Pacific Countries and the US Rebalancing Strategy. New York : Palgrave Macmillan, 11-30.

Hu, Richard Weixing. 2016. « The Chinese Response to the US Rebalancing Strategy : Sino-US Relations and Washington’s Pivot to Asia ». Dans David W.F. Huang, dir., Asia Pacific Countries and the US Rebalancing Strategy. New York : Palgrave Macmillan, 69-84.

Mingjiang, Li. 2014. « The Changing Contexts of China’s Policy on the South China Sea Dispute ». Dans Entering Uncharted Waters ? : ASEAN and the South China Sea. ISEAS-Yusof Ishak Institute, 129–50.

Panda, Ankit. 2017. « South China Sea: Fourth US FONOP in Five Months Suggests a New Operational Rhythm ». The Diplomat. En ligne. https://thediplomat.com/2017/10/south-china-sea-fourth-us-fonop-in-five-months-suggests-a-new-operational-rhythm/ (page consultée le 5 juin 2018).

Panda, Ankit. 2018. « South China Sea: Two US Navy Warships Conduct Freedom of Navigation Operation in Paracel Islands ». The Diplomat. En ligne. https://thediplomat.com/2018/05/south-china-sea-two-us-navy-destroyers-conduct-freedom-of-navigation-operation-in-paracel-islands/ (page consultée le 5 juin 2018).

Wain, Barry. 2014. « The U.S. Position in the South China Sea ». Dans Entering Uncharted Waters ? : ASEAN and the South China Sea. ISEAS-Yusof Ishak Institute, 247–62.

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