L’ASEAN contre l’État islamique

Par Justine Prud’homme

Lorsqu’on parle du groupe terroriste État islamique, le premier endroit qui nous vient à l’esprit tend à être le Moyen-Orient, où l’on trouve leurs racines. Toutefois, l’État islamique est maintenant en recul en Irak et en Syrie[1] et convoiterait d’amplifier ses forces en Asie du Sud-Est. La région déjà concernée par la menace terroriste ne pourrait que le devenir davantage. L’ASEAN est-il prêt à répondre à une montée du fondamentalisme musulman qui nourrit une violence djihadiste ?

Au dernier sommet de l’ASEAN, la montée de l’islamisme était « la menace sécuritaire la plus importante », déclarait le ministre de la défense singapourien. On connaît le malheureux refrain : « l’objectif des terroristes est politique : multiplier les foyers de conflit dans le monde pour disperser les efforts internationaux et les ressources de la politique contreterroriste[2] ». L’Asie du Sud-Est est propice aux foyers de conflits, particulièrement l’Indonésie et les Philippines qui sont des lieux de choix, où la doctrine religieuse est facilement absorbée par une partie de la population, alors que l’autre partie résiste à ce fléau.

Des proies faciles

Cette menace inquiète tous les membres de l’ASEAN, mais certains États sont plus en danger que d’autres. Les promoteurs de l’État islamique recrutent facilement des adeptes chez les populations indonésiennes et Philippines les plus pauvres, se sentent délaissées par leur gouvernement et n’ayant pas d’opportunité d’emplois ni de perspectives d’avenir. Ces deux pays de l’ASEAN ont des populations très attachées aux croyances religieuses, ce qui facilite la tâche des propagandistes islamistes.

Avant les premiers attentats connus en Indonésie, cet État démocratique avait une réputation de tolérance envers les minorités religieuses. La majorité religieuse musulmane connaît toutefois un essor du radicalisme religieux, malgré l’opposition de groupes de musulmans modérés. Les forces armées tentent difficilement de contrer les djihadistes de la région, mais est-ce suffisant?

Comme un chercheur au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité le constate, la solution à long terme du problème passe par un changement politique. C’est-à-dire « une véritable politique économique visant à offrir des opportunités de subsistance autres que les activités illégales ou l’embrigadement dans des groupes armés[3] », conclut le chercheur Bruno Hellendorff. Une réforme des politiques économiques répondrait à plusieurs problèmes de sécurité au sein de l’ASEAN, surtout ceux des crimes transnationaux comme la piraterie ou le trafic de drogue.

La réponse de l’ASEAN

C’est peu avant les attentats de Bali en 2002 que l’ASEAN affirme l’ASEAN Declaration on Joint Action to Counter Terrorism. L’ASEAN s’applique à lutter contre le terrorisme et inclut tous les crimes transnationaux à son agenda politique. En effet, les menaces de sécurité non traditionnelles sont plus facilement traitables au sein de l’ASEAN que les menaces de sécurité traditionnelles puisque le consensus est facilement atteignable sur ses enjeux.

L’ASEAN possède des alliés importants dans la lutte contre le terrorisme. Outre les États-Unis, l’Union européenne est résolue à endiguer le terrorisme en Indonésie. En effet, l’Union européenne a contribué à former la police indonésienne à Jakarta pour le contrôle des frontières et la surveillance du financement du terrorisme.

La difficulté de combattre le fondamentalisme extrémiste demeure la mince ligne qui sépare l’islam modéré de l’extrémisme. Soutenir l’islam modéré serait une approche vouée à l’échec selon une étude publiée dans la revue Globalization and its Counter-Forces in Southeast Asia. En effet, « dans une approche qui part de l’idée de soutenir l’islam modéré et de combattre le fondamentalisme extrémiste, le problème qui se pose immédiatement est qu’extrémisme et fondamentalisme violent sont des concepts laïques qui supposent que l’engagement envers une religion est toujours un problème[4] ».

Mais comment ne pas soutenir l’islam modéré dans un pays comme l’Indonésie où la majorité de la population est de religion musulmane ? Quoi qu’il en soit, L’ASEAN « rejette toute tentative de lier le terrorisme à une religion ou à une race[5] » et concentre ses efforts dans la prévention, le contrôle et l’élimination du crime transnational.

 

Bibliographie

Association of Southeast Asian Nations. 2001. « ASEAN Declaration on Joint Action to Counter Terrorism ». En ligne. http://asean.org/?static_post=2001-asean-declaration-on-joint-action-to-counter-terrorism (page consultée le 12 juin 2018).

Bannier, Philippe. 2017. « État islamique : l’autre menace », Politique étrangère 2 (Été) : 117-128

Beaudoin, Danielle. 2017. « Danger réel d’un nouveau califat de l’EI en Asie du Sud-Est ». Dans Radio-Canada. En ligne. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1041295/danger-nouveau-califat-etat-islamique-asie-sud-est-marawi-philippines (page consultée le 12 juin 2018).  

Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la sécurité. En ligne. https://www.grip.org/

Kivimäki, Timo. 2008. « Competing Globalization: The Case of European Cooperation with Indonesia against International Terrorism ». In Globalization and its Counter-Forces in Southeast Asia : 231-255.

Martel, Stéphanie. 2017. Le rôle du discours dans la construction de l’ASEAN comme communauté de sécurité. Thèse de doctorat. Université de Montréal.

Thayer, Carlyle. 2008. « Radical Islam and Political Terrorism in Southeast Asia ». Dans Globalization and its Counter-Forces in Southeast Asia : 256-276.

[1] Bannier, Philippe. 2017. « État islamique : l’autre menace », Politique étrangère 2, p. 119

[2] Idem.

[3] Beaudoin, Danielle. 2017. « Danger réel d’un nouveau califat de l’EI en Asie du Sud-Est ». Dans Radio-Canada. En ligne. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1041295/danger-nouveau-califat-etat-islamique-asie-sud-est-marawi-philippines (page consultée le 12 juin 2018).

[4] Kivimäki, Timo. 2008. « Competing Globalization: The Case of European Cooperation with Indonesia against International Terrorism ». In Globalization and its Counter-Forces in Southeast Asia : 245.

[5] Association of Southeast Asian Nations. 2001. « ASEAN Declaration on Joint Action to Counter Terrorism ». En ligne. http://asean.org/?static_post=2001-asean-declaration-on-joint-action-to-counter-terrorism (page consultée le 12 juin 2018).

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