Le phénomène de déforestation au Vietnam : conséquences pour les populations et l’environnement

PJ Orsini

Entre 1990 et 2005, le Vietnam a perdu plus de 78% en superficie de ses forêts vierges, ne laissant le pays qu’avec 85,000 hectares de forêt encore préservés (CIA World Factbook) : la déforestation est un enjeu environnemental et social extrêmement préoccupant en Asie du Sud-Est, et le Vietnam n’en est pas exempt. Mais pourquoi ce pays voit-il donc sa forêt défrichée à toute allure ?

La cause première est le développement économique accéléré, qui outre l’environnement affecte également les populations autochtones. Ce développement économique a en effet comme manne, entre autres, l’agriculture intensive et le commerce du bois, une denrée rare et convoitée qui s’arrache à prix d’or, et ce à travers toute l’Asie du Sud-Est (Meyfroidt et Lambin 2009). De la sorte, ces ressources se trouvent au cœur d’un grand réseau de transport de bois vers le Vietnam. Ainsi, le commerce de bois, outre ses conséquences environnementales et sociales désastreuses dans le pays, est devenu un enjeu financier impliquant plusieurs voisins et partenaires du Vietnam, qui, procédant de même, ne font qu’aggraver un phénomène déjà largement existant en Asie du Sud-Est (Meyfroidt et Lambin 2009)…

Illustration d’un défrichage au Vietnam

Le développement économique du pays advient au dépend de l’écosystème et des populations.

Situé sur le plateau continental de l’Asie du Sud-Est, le Vietnam est l’un des pays les moins forestiers de toute la région (Consulat de France 2017), en comparaison notamment avec la Malaisie et ses immenses forêts vierges de Bornéo. Pour autant, son territoire présente des conditions naturelles favorables au développement d’une forêt tropicale humide (Roche et De Koninck 2002).

Or, cette forêt vierge – déjà grandement affectée par les armes chimiques durant la guerre du Vietnam – est menacée par le développement économique du pays. En effet, depuis que le pays a entrepris son ouverture économique, sous la doctrine du doi moi, les zones forestières sont au cœur de la mécanique de développement, abriant ressources et potentielles zones d’agriculture intensive. Or, même si les politiques gouvernementales sont depuis quelques dizaines d’années en faveur d’une meilleure gestion des ressources forestières (Van Khuca et al. 2018), les préoccupations environnementales ne sont pas l’enjeu principal des autorités (Consulat de France 2017). Néanmoins, entre 2000 et 2005, près de 2,4 millions d’hectares de forêts furent rasés, et entre 2005 et 2010, ce sont 1,7 millions d’hectares qui ont été défrichés (Van Khuca et al. 2018).

Outre les espèces endémiques et centenaires (Roche et De Koninck 2002), lesdites activités ont des conséquences possiblement désastreuses : cette déforestation peut entrainer des glissements de terrain en raison des fortes pluies. Autrefois retenues par l’immense densité de la forêt tropicale, les eaux se déversent désormais sur des sols meubles qui ultimement glissent, finissant leur course sur les prochaines zones habitées en contrebas (Dang Nguyen, Leonardelli, et Dipierri 2016). En outre, pour la même raison, lorsque viennent les crues, leur force est d’autant plus importante que plus rien ne les régule (Roche et De Koninck 2002).

En plus de ces enjeux environnementaux, les populations natives des zones forestières sont les premières victimes de ces activités de déforestation. En effet, des groupes ethniques, minoritaires face aux 87% de Viet, tel que les Hmong, sont punis de la double peine. Ainsi, ils perdent leur habitat ancestral, car beaucoup d’entre-eux vivaient toujours dans les zones forestières isolées, dorénavant la proie des activités de défrichage. En outre, la déforestation leur a longtemps été reprochée, en raison d’une supposée agriculture intensive qu’ils pratiqueraient (ibid.).

Illustration de la disparition de forêts vierges sur la partie continentale de l’Asie du Sud-Est

La racine même de la déforestation : les ressources de bois, au cœur d’un engrenage régional ?

La déforestation intensive au Vietnam est donc le résultat d’une coupe des bois afin d’exploiter les bénéfices qu’ils engendrent, phénomène qui par-dessus le marché laisse libre de nouvelles terres à cultiver, mais aussi des ravages de la guerre…

On estime depuis les dernières années que près de 23% des forets boisées vietnamiennes ont été ravagées par les jets de napalm durant la guerre du Vietnam (Roche et De Koninck 2002). Ces jets chimiques ont profondément altéré la végétation, comme en témoigne l’absence de repousse dans ces zones sinistrées (ibid.)

Face à cette disparation rapide de pans entier de forêts vierges au Vietnam, qui déjà n’est pas un pays très forestier, le gouvernement a mis en place certaines mesures visant à freiner la déforestation, du moins officiellement (Meyfroidt et Lambin 2009).

Néanmoins, les efforts « officiels » du gouvernement ne permettent pas de faire disparaitre le défrichage, loin de là. Et pour cause, la corruption est, elle, profondément enracinée dans le fonctionnariat local. En effet, les représentants de l’État dans ces régions reculées disposent d’une ribambelle de prérogatives que le parti leur a concédé dans sa démarche de développement économique accéléré. En conséquence, certains responsables locaux appuient ces défrichages illégaux… (ibid.).

En outre, ces mêmes efforts du gouvernement veillent à ce que les ressources en bois soient utilisées à des fins domestiques. Or, durant le même moment, le pays a développé une fructueuse activité de manufactures de pièces boisées à exporter. Le pays n’est cependant absolument pas enclin à freiner toute activité d’ouverture potentiellement lucrative depuis le doi moi (ibid.).

Conséquence fatale, les secteurs d’activité concernés au Vietnam importent désormais le bois des pays voisins. Inexorablement, cela n’est pas sans accroitre le phénomène de déforestation dans une région déjà affectée par ce fléau. Ainsi, le Laos, ou encore le Cambodge, voient eux leur déforestation s’accroître d’autant plus que le Vietnam freine ses exportations de bois local non-transformé et que son besoin en ladite ressource croît exponentiellement (ibid.).

Somme toute, les forêts vierges d’Asie du Sud-Est sont plus que jamais menacées…

 

Bibliographie

CIA (Central Intelligence Agency). 2017. Vietnam: Country profile – World Factbook. En ligne https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/vm.html via http://factsanddetails.com/southeast-asia/Vietnam/sub5_9h/entry-3493.html  (pages consultées le 22 mai 2018).

Consulat de France à Ho Chi Minh Ville. 2017. « Grand angle – La déforestation au Vietnam ». Actualités consulaires. En ligne https://ho-chi-minh-ville.consulfrance.org/Grand-angle-La-deforestation-au-Vietnam (page consultée 23 mai 2018).

Dang Nguyen, Anh; Leonardelli, Irene et Dipierri, Ana Alicia. 2016. “Assessing the Evidence: Migration, Environment and Climate Change in Viet Nam”. Rapport de l’Organisation Internationale des Migrations (Genève).

Meyfroidt, Patrick et Lambin, Eric F. 2009. “Forest transition in Vietnam and displacement of deforestation abroad”. Proc Natl Acad Sci USA 106 (38): 16139–16144.

Roche, Yann et De Koninck, Rodolphe. 2002. « Les enjeux de la déforestation au Vietnam ». VertigO 3 (1) :  1-27.

Van Khuca, Quy; Quang, Tranb Bao; Meyfroidt, Patrick et Paschkea, Mark W. 2018. “Drivers of deforestation and forest degradation in Vietnam: An exploratory analysis at the
national level”. Forest Policy and Economics 90: 128-141.

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