La corruption dans la fonction publique au Vietnam

PJ Orsini 

Le Vietnam est le pays d’Asie du Sud-Est le plus touché par les allégations de corruption [4]…

Après l’unification du pays sous l’égide communiste, en 1975, suivie par une longue période d’instabilité économique, le Vietnam est passé dans les années 1990 à travers une période de renouveau, connue sous le nom de Doi Moi [3 & 6]. Cette doctrine est parvenue à créer une économie plus productive et résiliente : le Vietnam est depuis cette période qualifié de nouveau « Tigre asiatique » [6]. Ainsi, cette rapide montée économique, ouverte et plus libérale, a entrainé d’importantes transformations, notamment une élévation des conditions de vie de la population [6]. Néanmoins, il y a un revers de la médaille. Cette période de libéralisation ne coïncide pas avec un retrait de l’État, bien au contraire : les fonctionnaires et autres agents de l’état, mêmes politiques, ont pris avantage de cette situation, et la corruption s’est durablement installée dans le secteur public [6]. Et malgré les dénonciations des leaders du parti communiste, la corruption de disparait pas, et pour cause, elle ne diminue même pas ! [5]

Mais alors, pourquoi et comment advient la corruption dans le secteur public ? Quelles en sont les répercussions sur le développement du pays sur et les relations internationales, en particulier quant aux investissements étrangers ?

Illustration des allégations de corruption dans certains pays de l’Asie du Sud-Est [2]

1) La corruption dans la fonction publique

Ce fléau qu’est la corruption au Vietnam est le résultat d’une relation intéressée entre fonctionnaires gérant les budgets publics d’un côté, et les groupes d’intérêts de l’autre, bien destinés à faire pressions sur les serviteurs de l’État [1].

 

La forte croissance qui a suivi le Doi Moi accorda un plus grand nombre de prérogatives dévolues aux fonctionnaires, afin de mieux contrôler le processus de développement. Ainsi, bureaucrates et élites politiques ont acquis des actifs, créé des sociétés, accumulé des richesses et distribué des rentes au moyen de la privatisation et de la diversification des entreprises publiques [3 & 6]. Les réseaux de patronage se sont développés progressivement au fur et à mesure que la prérogative des fonctionnaires augmentait. Cet élargissement des droits inclut l’accès et la distribution du budget de l’État, le pouvoir de décider comment dépenser l’argent public, et celui de délivrer des licences et gérer d’autres droits de propriété importants [6].

C’est là qu’entrent en scène les groupes d’intérêts, qui cherchent à influencer les politiques et politiciens dans la défense de leurs intérêts [6]. Il faut savoir qu’au Vietnam, défendre dans la sphère publique des intérêts particuliers est limité par la loi. Ainsi, les groupes d’intérêts sont bien plus étroitement liés aux hauts fonctionnaires, qui détiennent le pouvoir de dépenser, plutôt qu’aux petits et moyens fonctionnaires octroyant des sommes bien moindres [6].

 

Ce schéma de pression peut être illustré par un cas de corruption datant de 2006, un des plus importants au pays. Un projet d’infrastructures, géré par le Ministère des Transports, et financé par des fonds japonais, a vu le détournement de plusieurs millions de dollars qui lui étaient alloués. Ces sommes considérables sont tombées entre les mains d’entrepreneurs affiliés à certains politiciens, particulièrement dans le Ministère des Transports. Le ministre des transports fut remercié et incarcéré une fois l’affaire révélée [6].

Même les plus haut tombent : Trinh Xuan Thanh, ancien chef du PCV, arrêté pour corruption

2) Conséquences de la corruption sur le développement et sur les relations transnationales

Les épisodes de corruption révélés au grand jour ont durablement affecté l’image du Vietnam auprès des firmes transnationales : ces épisodes de corruption ont un impact assurément négatif [1]. Freinant la croissance du PIB, l’emploi et le revenu par habitant au niveau provincial, et brimant l’innovation des entreprises, ils posent surtout problème dans le cas des investissements étrangers [6]…

 

Un frein aux investissements étrangers

Différentes études suggèrent qu’il est plus difficile pour les entreprises étrangères de délibérément investir dans un pays ne pouvant gérer ses problèmes de corruption [1]. Fait intéressant toutefois, les études mentionnent qu’il est possible pour certaines firmes multinationales, toutefois non-nommées, de livrer des pots de vin stratégiquement [1], devenant ainsi les groupes d’intérêt dans le schéma de la corruption que nous avons vu précédemment…

 

A fortiori, un frein au développement…

Quoi qu’il en soit, la corruption est une véritable barrière quant à la croissance des petites et moyennes entreprises, qui, à la différence de certaines firmes transnationales, ne peuvent pas se développer sans obligatoirement engraisser les responsables locaux [1 & 3].

En outre, plusieurs auteurs notent que la corruption éloigne les investisseurs, réduit l’efficience des dépenses publiques, et par conséquent, elle réduit la croissance économique [1].

 

Face à ces menaces, le gouvernement du Vietnam reconnait la menace que la corruption pose quant à la légitimité de son système politique, et de la sorte a sanctionné quelques mesures visant à résoudre le problème, comme la loi anticorruption de 2005 [5]. Le gouvernement cherche ainsi à faire des exemples des cas de corruption mis au jour dans un but dissuasif [2]. Néanmoins, la plupart des cas de corruption ne sont jamais révélé [2]…

Ainsi, certains auteurs disent que le problème ne peut être réglé selon le modèle politique actuel, et que le Doi Moi lui-même est un catalyseur de corruption, car il accorde toujours plus de prérogatives aux fonctionnaires dans le cadre de ce développement économique accéléré [6]. Par-dessus le marché, nous n’avons aucun moyen de mesure de quelque baisse que ce soit de la corruption, le Vietnam n’étant pas un exemple de transparence sur le sujet [3]…

 

 

Bibliographie

 

[1] Anh, Nguyen; Minh, Nguyen et Tran-Nam, Binh. 2016. “Corruption and economic growth, with a focus on Vietnam”. Crime, Law and Social Change 65 (4): 307-324.

 

[2] Burke, Maurice ; Kawai, Wataru et Gargaro, David. 2017. “Anti-corruption enforcement in the ASEAN region – What does ASEAN anti-corruption enforcement look like under the microscope?” Global Investigation Review. En ligne :  https://globalinvestigationsreview.com/chapter/1147518/anti-corruption-enforcement-in-the-asean-region (page consultée le 2 juin 2018).

 

[3] Nguyen, Thuy Thu et Van Dijk, Mathijs A. 2012. “Corruption, growth, and governance: Private vs. state-owned firms in Vietnam”. Journal of Banking and Finance 36 (11): 2935-2948.

 

[4] Nguyen, Ngan Hong.       2012. “Fighting corruption in Vietnam: the question is how, not why”. The World Bank. En ligne : http://blogs.worldbank.org/eastasiapacific/fighting-corruption-in-vietnam-the-question-is-how-not-why (page consultée le 1er juin 2018).

 

[5] Nguyen, Ngoc Anh ; Doan, Quang Hung ; Nguyen, Ngoc Minh et Tran-Nam, Binh. 2016. “The impact of petty corruption on firm innovation in Vietnam”. MPRA Paper 71902 (février).

 

[6] Tromme, Mathieu. 2016. “Corruption and corruption research in Vietnam – an overview”. Crime, Law and Social Change 65 (4): 287-306.

 

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