Cambodge : Un contrôle drastique des médias locaux et étrangers

Par Rym Limam

Peut-on parler de liberté de presse dans un régime dictatorial ? Hun Sen, Premier ministre du Cambodge, n’est pas le premier et ne sera certainement pas le dernier à user de son pouvoir pour contrôler la presse qu’elle soit locale ou étrangère. De même, les médias pouvant lui causer du tort avec leur publication souvent révélatrice des actes infâmes pratiqués par le leader en question sont dans la ligne de mire de ce dernier. En effet, le Cambodia Daily, un quotidien anglais fondé par un journaliste américain du nom de Bernard Krisher[1], est un cas récent de répression contre les médias (étrangers). Ce dernier a été une cible, compte tenu de ses enquêtes sur le népotisme du régime. Pour le faire plier bagage après de longue répression

 

, le gouvernement réclame des arriérés d’impôts de 6,3 millions de dollars.[2] Cette demande extravagante était sans fondement. Le quotidien anglophone représentait « une banche spéciale et singulière de la presse libre au Cambodge »[3], malheureusement, le gouvernement s’en est débarrassé après 24 ans, un mois et 15 jours faute de s’être intéressé de trop près aux activités de celui-ci.

Cambodia Daily Rejects Tax Debt Claim Amid Shutdown Threats, 2017

Effectivement, la grande majorité des médias cambodgiens sont souvent politisés, contrôlés et biaisés. Or, il existe toutefois quelques journaux et radios, financés par l’étranger, qui sont libres et neutres ; permettant ainsi à la population de jouir de son droit à l’information.

Par ailleurs, il s’avère que la langue d’écriture à un poids important dans la liberté de diffusion de l’information. En effet, les médias locaux écrivent en langue Khmer, la langue officielle du pays, autrement dit tout le monde a accès à l’information. Cela dit, les médias étrangers publient en anglais et sont en mesure de produire ce qu’ils veulent. Il en est de même pour la langue française, puisque Christophe Gargiulo, rédacteur en chef du Cambodge Mag, a décidé de rédiger ses articles en français pour profiter de cette même liberté, il annonce ainsi : « La presse étrangère anglophone a plus de liberté de manœuvre pour traiter des sujets qui ne plaisent pas au pouvoir ».[4] Effectivement, les journalistes étrangers jouissent d’une plus grande liberté que les journalistes locaux. La population cambodgienne peut donc se tenir informée sur les problématiques d’intérêt public. Le Phnom Penh Post et le Cambodia Daily sont les deux principaux journaux étrangers anglophones offrant cette possibilité sans se faire prendre par les autorités. Par ailleurs, Lauren Crothers, journaliste australienne ayant déjà travaillé au Cambodia Daily pendant quatre ans confirme avoir « produit sans restriction ou contrainte. Le journal veut traiter toute information utile pour l’intérêt public. En tant que journaliste en freelance, [Lauren Crothers], travaille librement. »[5].

Au Cambodge, les journalistes étrangers et leurs médias possèdent un statut particulier ainsi qu’une carte de presse permettant de les reconnaître et les différencier des journalistes cambodgiens. Ce qui nous amène à nous questionner sur l’importance de la langue de publication. Le gouvernement tolère-t-il une presse anglophone pensant que l’information sera incomprise par la majorité de la population ? Malheureusement cette tolérance ne dura pas longtemps.

En effet, des mesures drastiques sont mises en place contre les journaux et radios étrangers, qui critiquent ou énoncent un point de vue différent de celui du gouvernement comme le cas du Cambodia Daily[6] qui a finalement fermé ses portes. Ce dernier n’est pas le seul à avoir subi des répressions de la part du gouvernement, en effet, les médias Radio Free Asia (RFA) et Voice of America (VOA) financés par les États-Unis subissent le même sort, bien qu’ils affirment respecter les lois locales.[7] Connues comme étant l’une des plus anciennes radios américaines, elles sont également traquées par le département des taxes. De plus, deux anciens reporters : Oun Chhin et Yeang Sothearin, de cette même radio se sont fait emprisonnés accusés d’espionnage.[8] Dans les faits, ce ne sont que des excuses formulées par le gouvernement qui maintient un contrôle omniprésent sur les médias tant locaux qu’étrangers.

En effet, il se permet d’user de tous les moyens à sa disposition pour assurer le maintien de son post : Assassinats, menaces de mort, corruption, poursuites judiciaires, censure, etc. les journalistes craignant pour leur vie s’autocensure.[9] Ainsi, le Cambodge est « Classé 139e sur 180 dans le dernier rapport de Reporters sans Frontières sur la liberté de la presse, [confirmant les faits que — le pays exerce un contrôle sévère des médias. »[10]

Cette montée soudaine de restrictions à l’encontre des médias étrangers indépendants est liée, entre-autres, aux prochaines élections générales qui se tiendront en juillet.[11] En effet, pour garantir sa réélection, mise à part la corruption employée à l’encontre de la population, il s’assure qu’aucun journal ne divulguerait d’information pouvant lui coûter son poste.

Certes, les marges de liberté d’expression et d’opinion sont des aspects grandement défendus par les mouvements sociaux, puisque pour qu’une démocratie soit saine, elle se doit de s’appuyer sur une population bien informée. Malheureusement le gouvernement au pouvoir sous la direction du dictateur Hun Sen ne laisse guère place à la liberté d’expression ni à la circulation d’informations…

BIBLIOGRAPHIE :

[1]The Cambodia Daily. 2018. Section « À propos ». En ligne. https://www.cambodiadaily.com/about-us/ (page consultée le 28 mai 2018)

[2] Suy Se. 2007.« Arrestation du chef de l’opposition et fermeture d’un journal indépendant au Cambodge ». Dans Le Devoir. En ligne. https://www.ledevoir.com/monde/asie/507203/arrestation-du-chef-de-l-opposition-et-fermeture-d-un-journal-independant-au-cambodge (page consultée le 28 mai 2018)

[3] Ibid

[4]Buzzles. 2016. « [Cambodge 2/5] Un contrôle des médias à deux vitesses au Cambodge ». En ligne. https://buzzles.org/2016/05/15/cambodge-25-un-controle-des-medias-a-deux-vitesses-au-cambodge/ (page consultée le 28 mai 2018)

[5] Buzzles. 2016. « [Cambodge 2/5] Un contrôle des médias à deux vitesses au Cambodge ». En ligne. https://buzzles.org/2016/05/15/cambodge-25-un-controle-des-medias-a-deux-vitesses-au-cambodge/ (page consultée le 28 mai 2018)

[6] Scherer, Sabine. 1999. « Jennar, Raoul Marc. Cambodge : une presse sous pression. Paris, Éd. Reporters sans frontières, 1997, 104 p. ». Études internationales 30 (no 4), p :841-43.

[7]Suy Se. 2007.« Arrestation du chef de l’opposition et fermeture d’un journal indépendant au Cambodge ». Dans Le Devoir. En ligne. https://www.ledevoir.com/monde/asie/507203/arrestation-du-chef-de-l-opposition-et-fermeture-d-un-journal-independant-au-cambodge (page consultée le 28 mai 2018)

[8] Reporters sans frontières. « RSF publie un rapport sur les attaques contre la presse libre au Cambodge ». 2018. En ligne. https://rsf.org/fr/actualites/rsf-publie-un-rapport-sur-les-attaques-contre-la-presse-libre-au-cambodge (page consultée le 28 mai 2018)

[9] Agbobli, Christian, Jean-Jacques Bogui et Katia Maria Belisario. 2017. « Technologies numériques et diffusion de l’information pendant les périodes de conflits et de crise dans le monde ». Communication, technologie et développement (no 4)

[10] Bussles. 2016. « [CAMBODGE 1/5] Médias sous contrôle et journalistes sous pression ». En ligne. https://buzzles.org/2016/05/13/cambodge-15-medias-sous-controle-et-journalistes-sous-pression/amp/ (page consultée le 28 mai 2018)

[11]Crothers, Lauren. 2017. « La presse libre du Cambodge muselée après la fermeture d’un journal critique ». En ligne. https://www.equaltimes.org/la-presse-libre-du-cambodge?lang=fr#.Ww2AeJPwbEY (page consultée le 28 mai 2018)

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