La Malaisie, un marché sous domination chinoise

Par Hugo Ballesteros

La Malaisie est probablement le meilleur exemple pour illustrer la présence des capitaux chinois en Asie du Sud-Est. Les « Chinese Kongsi » sont aujourd’hui omniprésents dans les affaires malaisiennes. Mais de quelle manière les grands entrepreneurs chinois sont-ils parvenus à dominer le marché malaisien ? Tout d’abord, nous verrons que les capitaux chinois se sont imposés face aux entreprises britanniques et malaisiennes. Ensuite, nous étudierons la stratégie de réseautage politique qui a permis aux entrepreneurs chinois de s’implanter durablement. Enfin, nous nous intéresserons au profil de ces grands entrepreneurs sino-malais.

 

Une place de leader de marché gagnée au détriment des entreprises britanniques et malaises

L’économie a longuement été sous l’emprise des capitaux britanniques, et ce depuis l’ère de la période coloniale et jusque dans les années 70 (Mackie, 1992). Ce n’est que tardivement que le pays a coupé les ponts avec son héritage colonial, du moins bien après ses voisins d’Asie du Sud-Est. En effet, la Malaisie a décidé de définitivement geler les contrats publics partagés avec les Britanniques au début des années 90, de gros multiconglomérats en ont été affectés : Rolls-Royce, British Gas ou encore Trafalgar House (Les Échos, 1994). Dans le même temps, les capitaux chinois ont progressivement fusionné avec ces Firmes Multinationales Britanniques, jusqu’à carrément prendre leur place : ils sont passés du statut de « comprador », à celui de « senior partner », pour finalement dominer l’essentiel des parts de marché de l’économie malaisienne (Mackie, 1992).

Par ailleurs, bien qu’ayant traditionnellement commencé en tant que commerçants, les Chinois ont pris place dans le commerce d’importation et d’exportation en grignotant le marché dominé par les sociétés européennes(Koon Heng Pen, 1992). Les Chinois ont aussi eu l’initiative d’exploiter en premier les mines d’étain en Malaisie (Martin, 1962). Ce sont cependant des gains qui ont été obtenus au gré de luttes intenses entre les Malais et les Chinois et entre les Chinois eux-mêmes car ces mines ont la particularité d’être très prospectives.

Lorsque le gouvernement malais a lancé la NEP (New Economic Policy) en 1971, il s’agissait d’un programme qui visait essentiellement à réduire la pauvreté, mais aussi à favoriser les entreprises malaises. Ainsi sous la NEP, les gouvernements malais sont successivement parvenus à octroyer de plus grosses parts de gâteau aux entreprises nationales (Koon Heng Pen, 1992).

Cependant, cette politique a laissé la porte ouverte à l’enrichissement des entrepreneurs chinois en forgeant des liens forts avec le pouvoir central malais et en développant des activités dans une économie « chinatown » traditionnelle avec des industries manufacturières, de petits commerces, ou de services comme des hôtels et des restaurants (Koon Heng Pen, 1992).

 

Des liens étroits entre le monde des affaires et le pouvoir malais

Les firmes chinoises se sont confortablement installées aux commandes du monde des affaires malais. Si leur incrustation dans le paysage s’est si bien réalisée, ce n’est que parce que les dirigeants chinois sont parvenus à placer leurs intérêts au premier plan dans les relations de lobbying auprès du gouvernement malais.

En fait, c’est avec le déclin du communisme que les Chinois ont pu s’unir sur le plan politique et défendre leur intérêt commun. (Martin, 1962) Avec la création de la « Malaysian Chinese Association » (MCA) en 1949, les entrepreneurs extraterritoriaux chinois ont eu la possibilité d’influencer les affaires politiques. Et vice-versa, les dirigeants politiques ont commencé à prendre en compte les intérêts des investisseurs sino-malais pour gouverner (Martin, 1962). D’ailleurs, les firmes chinoises ont deux grandes chambres de commerce à leur disposition sur le territoire malais. En guise de comparaison, il n’y en a qu’une pour les sociétés européennes.

En développant d’intenses liens avec le pouvoir politique, les dirigeants importants de l’UMNO, l’aristocratie, la bureaucratie, les militaires, et les autres centres de pouvoir malais, les hommes d’affaires chinois ont précautionneusement pu construire leur empire. D’ailleurs, de nombreux membres de la famille royale, de la fonction publique et des rangs militaires ont obtenu des postes privilégiés dans les conseils d’administration des FMN chinoises (Koon Heng Pen, 1992).

Bien que dans la plupart des sociétés capitalistes les performances économiques et les politiques soient normalement dictées par des facteurs économiques rationnels tels que la loi de l’offre et la demande, en Malaisie de telles considérations ne peuvent être comprises qu’en mesurant l’importance de l’influence des décisions politiques (Koon Heng Pen, 1992).

 

Des Tycoons sino-malais au profil typique

Les Tycoons, ce sont ces grands entrepreneurs qui dominent le marché malais. Sur les 11 grands Tycoons de Malaisie, 5 sont des natifs chinois : H.S Lee, Chong Kok Lim, Lim Loh Boon Siew, Goh Tong, et Teo Soo Cheng (Koon Heng Pen, 1992).

Ils partagent certaines caractéristiques: ils sont orientés vers le commerce international, ils sont étroitement liés aux grands patrons malais qui leur ont donné l’opportunité de s’implanter dans le pays et ils représentent le « nouvel argent » dans le sens où ils ont bénéficié du début de la Nouvelle Politique Economique pour démarrer leurs entreprises (Koon Heng Pen). Leurs sources de richesse sont diverses, mais la plupart de ces hommes n’ont pas hérités de leur fortune, ils sont parvenus à faire fructifier un capital grâce à la conjoncture économique favorable (Koon Heng Pen, 1992).

De plus, les FMN sino-malaisiennes ont toutes la particularité d’être organisées de manière familiale. Elles sont dominées par des membres d’une même famille, parfois même en désaccord les uns les autres, mais à moins que des moyens aient été trouvés pour disperser les responsabilités et octroyer des postes à des professionnels extérieurs, seuls les membres de la famille ont l’opportunité d’occuper des postes de commande. Toutefois, cette tradition est mal vue par le pouvoir politique malais, elle a été même comparer aux pratiques des lieutenants britanniques du temps de l’empire colonial. En ce sens, la gouvernance par la famille est progressivement en train de céder la place à une gouvernance technocratique plus conforme aux normes internationales, et surtout aux objectifs de long terme du pays (Koon Heng Pen, 1992).

Enfin, il semble que les Tycoons se tournent de plus en plus vers la communauté majoritaire malaisienne et qu’ils jouent un rôle plus modeste auprès de la communauté chinoise. Ils s’identifient désormais avec l’ensemble de la population (Caouette, 2017).

 

Bibliographie

Andrews, Tim G. Nartalin Chompusri, and Bryan J. Baldwin. « Chapter 2 : Rise of Multinationals » The Changing Face of Multinationals in Southeast Asia. London : Routledge, 2003 : pp.28-52

Caouette, Dominique. 8 Juin 2017. “Diasporas Chinoises et Firmes Multinationales en Asie du Sud-Est” Cours 11, Asie du Sud-Est. Montréal : Université de Montréal

Koon, Heng Pek. « The Chinese Business Elite of Malaysia ». Southeast Asian Capitalists. Edited by Ruth McVey. Ithaca : Southeast Asia Program Publications, Cornell University, 1992 : pp. 127-144.

Les Echos (1994). La Malaisie ferme ses portes aux entreprises britanniques. https://www.lesechos.fr/28/02/1994/LesEchos/16592-024-ECH_la-malaisie-ferme-ses-portes-aux-entreprises-britanniques.htm#BWRHMi82HUotX7Iy.99

Mackie, Jamie, « Changing Patterns of Chinese Big Business in Southeast Asia », Southeast Asian Capitalists. (sous la dir.) Ruth McVey. Ithaca : Southeast Asia Program Publications, Cornell University, 1992 : pp.161-190

Martin, P. (1962). Aspects de la présence chinoise en Malaisie. Politique étrangère, 27(6), 581-598.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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