Les femmes en Indonésie face à l’exploitation et l’accaparement vert

Par Clara Leroy

En Indonésie, 61 % des femmes vivant en milieu rural travaillent dans des plantations d’huile de palme[1]. Ces plantations sont connues pour offrir des conditions de travail dangereuses, et ce particulièrement pour les femmes. De plus, le pays connait un phénomène « d’accaparement vert » qui empêche les indonésiennes de cueillir des plantes sauvages dans la forêt. Elles sont de plus en plus dépendantes de l’aide alimentaire étatique pour nourrir leur famille, et perdent leur savoir-faire. À quels dangers et difficultés spécifiques les femmes font-elle face dans les palmeraies ? Et comment se battent-elles pour regagner leur souveraineté alimentaire ?

 

travailleuse agricole dans une plantation d'huile de palme

Travailleuse agricole dans une plantation d’huile de palme

Exploitation des femmes dans les plantations d’huile de palme

13 Millions d’hectares sont consacrés à la plantation d’huile de palme en Indonésie[2]. Ce marché en pleine expansion a un effet dévastateur sur l’environnement, en raison de la culture sur brûlis pratiquée par les compagnies. Mais il a également un effet dévastateur sur ses employés : ils sont exploités, endettés, et leur santé est mise en danger.

Les femmes qui travaillent dans ces plantations sont soumises à des conditions encore plus difficiles que leurs collègues masculins. Il leur faut non seulement accomplir leur travail à la plantation 7 heures par jour, mais aussi s’occuper des enfants et du foyer. Pourtant, la compagnie ne les considèrent jamais comme travailleuses à temps pleins, et ce même si elles consacrent autant de temps à la plantation que les hommes. Leur rôle est de répandre des fertilisants, d’appliquer des pesticides, de ramasser les fruits, de remplir et transporter les sacs d’engrais, etc[3].

Puisqu’elles ont un statut de travailleuses à mi-temps, les femmes n’ont pas la possibilité d’accéder à des augmentations salariales ni à de meilleures conditions de vie. Elles n’ont pas non plus accès aux réunions syndicales (moins de 1 % de femmes y sont présentes), car leurs maris refusent la majorité du temps qu’elles y participent[4]. Cette mise à l’écart des négociations a un impact très lourd : elles n’ont pas connaissance des lois qui les protègent, et sont plus facilement victimes d’abus et de violences de la part de leurs supérieurs. Par exemple, les « Principes et critères » du RSPO (roundtable on sustainable palm oil) qui spécifient les droits des travailleuses ne sont pas respectés selon l’organisme lui-même[5].

Enfin, la santé des agricultrices indonésiennes est mise en danger par le travail dans les plantations. Le principal problème vient du fait qu’elles transportent des charges trop lourdes sur leurs dos : elles doivent porter des sacs de 20 à 90 kilos de fertilisants et les répandre dans les champs. Beaucoup de femmes développent alors des problèmes de dos, d’infertilité et des maladies gynécologiques (prolaps uteri). Enfin, à Kalimantan, les femmes ne sont pas protégées du soleil, ce qui provoque coups de soleils, insolations et brûlures[6].

Les conditions de vie des travailleuses agricoles dans les plantations d’huile de palme sont donc inférieures à celles des hommes, et mettent en danger leur santé. Mais il existe également un autre problème pour beaucoup de femmes en Indonésie rurale, que l’on appelle le Green Grabbing (l’accaparement vert).

 

Les indonésiennes victimes de l’accaparement vert

L’accaparement vert, c’est le fait qu’un État ou un organisme privé s’approprient des terres et des ressources dans un but environnemental[7]. Souvent, c’est dans l’objectif de créer des zones de conservation et de stock de carbone. Mais parfois, cet accaparement se fait au détriment des habitants.

 

La foret située à Java Est, devenue un site de conservation

La foret située à Java Est, devenue un site de conservation

 

Ce fut par exemple le cas d’un des quartiers les plus pauvres de Java Est, dans le village de Galengdowo. En 1992, le gouvernement a déclaré que la forêt était devenue une zone de conservation naturelle, et que les habitants n’y auraient plus accès[8]. Cependant, c’est dans cette forêt que les femmes allaient cueillir des plantes sauvages et des baies qu’elles utilisaient ensuite comme denrée de base pour leurs repas. Cette décision a donc conduit à une transformation du mode d’alimentation des habitants, qui sont devenus dépendants de l’aide alimentaire étatique. Selon une étude menée par Hayu Dyah Patria, les femmes âgées de 18 à 35 ans en 2009 préparaient à 80 % des plats instantanés pour leur famille, et considéraient qu’il était honteux de préparer des plantes sauvages[9]. Pourtant, ces plantes jouent un rôle crucial pour la sécurité alimentaire. Leurs caractéristiques nutritionnelles les rendent très intéressantes, notamment concernant leur apport en oméga 3 et en vitamines A, B et C. L’accaparement vert a ainsi appauvri le régime alimentaire des habitants du village, créant ainsi des problèmes de malnutrition.

L’association Mantasa a travaillé avec les femmes du village afin de trouver des solutions à ce problème de malnutrition. Les jeunes femmes ont du créer un lien intergénérationnel avec leurs ainées pour regagner cette connaissance des plantes sauvages. Elles ont mis sur pied une petite entreprise pour vendre ces plantes et faire la promotion de leurs apports nutritionnels[10]. Ce fut donc pour ces femmes une façon de lutter contre les conséquences de l’accaparement vert tout s’émancipant de leur dépendance envers l’état.

L’Indonésie a donc beaucoup misé et investit sur les plantations d’huile de palme, mais les conditions de travail y sont difficiles et dangereuses, particulièrement pour les femmes. Le pays a également cherché à développer des réserves écologiques, mais cela s’est parfois fait au détriment des habitants. Les femmes de certains villages, comme à Galengdowo, ont tout de même choisi de lutter contre cet accaparement vert.

 

 

[1] Grantmyre, Hilary. 24 décembre 2015. Women’s role in the Palm Oil Industry in Indonesia, Programme des nations unis pour le développement, http://www.id.undp.org/content/indonesia/en/home/presscenter/articles/2015/12/24/-blog-women-s-role-in-the-palm-oil-industry-in-indonesia-.html

[2] Renata Sandhi Libraswulan, 2014. “Palm Oil plantations: nowhere to escape”, Asian journal of women’s studies, 20:4, p123.

[3] Renata Sandhi Libraswulan, 2014. “Palm Oil plantations: nowhere to escape”, Asian journal of women’s studies, 20:4, p127

[4] Renata Sandhi Libraswulan, 2014. “Palm Oil plantations: nowhere to escape”, Asian journal of women’s studies, 20:4, p128

[5] Renata Sandhi Libraswulan, 2014. “Palm Oil plantations: nowhere to escape”, Asian journal of women’s studies, 20:4, p129

[6] Renata Sandhi Libraswulan, 2014. “Palm Oil plantations: nowhere to escape”, Asian journal of women’s studies, 20:4, p127

[7] James Fairhead , Melissa Leach & Ian Scoones, 2012. “Green Grabbing: a new appropriation of nature?”, The Journal of Peasant Studies, 39:2, p237

[8] Hayu Dyah Patria, 2013. “Uncultivated biodiversity in women’s hand: how to create food sovereignty”, Asian journal of women’s studies, 19:2, p154.

[9] Hayu Dyah Patria, 2013. “Uncultivated biodiversity in women’s hand: how to create food sovereignty”, Asian journal of women’s studies, 19:2, p154

[10] Hayu Dyah Patria, 2013. “Uncultivated biodiversity in women’s hand: how to create food sovereignty”, Asian journal of women’s studies, 19:2, p157

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