La minorité chinoise en Indonésie


Par Kenta Mouphas

Depuis l’époque coloniale, alors que l’Indonésie était sous la gouvernance des Néerlandais, la minorité chinoise du pays a souvent été victime de violence, en plus de jouer le rôle de souffre-douleur lorsque l’économie et la situation politique du pays n’étaient pas à leur meilleur. Le président Suharto a d’ailleurs fortement manipulé l’image de cette dernière pour accentuer leur marginalisation dans la société. Pourtant, en 1988, suite aux émeutes et à la démission forcée du président, une nouvelle identité commença à émerger au sein de la communauté chinoise.

À la fin de l’ère coloniale, les pays de l’Asie du Sud-Est ont été nombreux à avoir choisit le «selective nation-building» (Tan, 2001: 949) pour leur pays devenu indépendant. Le «selective nation-building» serait basé sur mise en évidence de la majorité ethnique par l’État.

Ce favoritisme s’est manifesté par la mise en place d’institutions, de lois ou encore de programmes qui ont été bénéfiques pour la majorité ethnique, ce qui a eu comme conséquence l’exclusion et la marginalisation des minorités ethniques. L’Indonésie est l’un des pays qui aurait opté pour cette politique, la majorité étant les Indonésiens pribumis, qui signifie «sons/princes of the land». (Tan, 2001: 950)

La minorité chinoise indonésienne serait la minorité la moins favorisée de l’État. Elle a souvent joué le rôle de bouc-émissaire. Les chinois ne représenteraient que 3 à 4% de la population indonésienne, tandis que les javanais représenteraient environ 42%.

L’État indonésien cherche à légitimer une dominance ethnique dans le pays. Le tout s’est traduit par une négociation entre les bumis et la minorité chinoise lors de la demande de citoyenneté de ces derniers. Les bumis accordaient la citoyenneté indonésienne et la promesse que la dominance chinoise sur l’économie du pays restera intouchée. Toutefois, les chinois devaient quant à eux promettre de ne pas questionner la dominance politique des bumis lorsqu’ils obtiendront leurs citoyenneté.

En effet, l’ethnie chinoise est celle qui est la plus dominante sur le plan économique. Même en n’étant que 4% de la population du pays, ils seraient propriétaires de la majorité de la richesse privée de l’Indonésie. Une grande partie de la population indonésienne serait envieuse de cette richesse. Ils justifient ce sentiment en pensant que la richesse des chinois serait liée à leur relation avec les hollandais lors de la période coloniale, car ils avaient une relation privilégiée avec eux.

Dans les années 80, la minorité chinoise s’était alliée avec Suharto pour se protéger contre toute agression motivée par la jalousie de leur richesse (Paris, 1998: 20).

Cette alliance était motivée par le bénéfice que rapporterait les commerces chinois. D’ailleurs, cet intérêt n’aurait pas empêché le politicien de promouvoir l’opinion selon laquelle la minorité chinoise était un obstacle à l’unité nationale du pays. ( Tan, 2001: 953).

Pourtant, cette alliance aura été vaine puisqu’en mai 1998, à Jakarta, des émeutes contestaient le nouvel ordre de Suharto et visaient à le renvoyer du pouvoir. Ces émeutes furent marquées par de la violence envers les chinois indonésiens. Des maisons ainsi que des commerces furent pillés, et de nombreuses femmes furent violées (Panggabean, 2011: 231).

Ces émeutes auraient été causées par la frustration et le manque de confiance des pribumis envers la minorité chinoise (Turner, 2003: 344).

En conséquence, une grande partie des chinois riches quitta le pays, emportant avec eux leurs capitaux. D’autres, au contraire, auraient quitté Jakarta pour s’installer dans une autre ville, gardant ainsi leurs capitaux dans le pays.

La politique du «selective nation-building» n’aurait pas facilité la tâche des chinois pour s’intégrer dans la société indonésienne. En plus de l’envie causée par leur immense richesse, et leurs alliances passées, une grande partie de la population indonésienne les verrait comme des étrangers à cause de leurs origines non-indonésienne.

La religion serait aussi un autre facteur qui diviserait les deux ethnies. Malgré le fait qu’ils parlent la langue officielle du pays et que leurs noms sont à consonance musulmane, ils ne se sont jamais convertis à l’islam. Et même s’ils se convertissaient, ils ne seraient jamais considérés comme des bumi (Tan, 2001: 951).

Aujourd’hui, la minorité chinoise essaierait de promouvoir sa nouvelle identité. Auparavant, ils n’étaient pas impliqués dans la vie politique du pays. Cependant, quelques chinois commencèrent à rejoindre des partis politiques tel que le National Mandate Party ou le Partai Demokrasi Indonesia, des partis favorables aux différences ethniques et religieuses.

Des organisations non-gouvernementales leur viendraient aussi en aide tel que le Perhimpunan Indonesia Keturunan Tionghoa (INTI) pour apprendre aux organisations les meilleures façons de promouvoir les intérêts des chinois.

Des séries télévisées et des œuvres littéraires contribueraient aussi à cette nouvelle identité chinoise en leur permettant de s’exprimer sur leur vision future d’une Indonésie où la diversité religieuse et ethnique seraient acceptées (Turner, 2003: 351).

Discriminée et enviée par les bumi, la minorité chinoise ne fut jamais défaitiste. Les émeutes de 1998 ont été l’élément déclencheur de leur initiative pour se doter d’une nouvelle identité. Ils s’impliqueraient plus dans le domaine politique où ils étaient absents auparavant. Des ONG les aideraient dans la promotion de leurs intérêts pendant que les auteurs et réalisateurs chinois indonésiens partagent leurs idéologies d’une Indonésie unie malgré la diversité.

 

Bibliographie

Panggabean, Samsu et Smith, Benjamin. 2011, « Explaining Anti-Chinese Riots in Late 20th Century » World Development, Vol 39: p.231- 242

Paris, Jonathan. 1998.  » How Indonesia’s Chinese can survive: minority rules » The New Republic, Vol.219: p.20

Tan, Eugene K.B. 2001. « From sojourners to citizens: managing the ethnic Chinese minority in Indonesia and Malaysia » Ethnic and Racial Studies, Vol 24: p.949-978

Turner, Sarah. 2003. « Setting the Scene Speaking out: Chinese Indonesians After Suharto » Asian Ethnicity, Vol 4(3): p.337-352

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