Les minorités ethniques en Birmanie – l’exemple kachin

Par Matthieu John

À travers cet article, j’aimerais vous plonger au cœur d’un pays asiatique si riche en diversité mais si fragile politiquement : la Birmanie. Si en Janvier 1948 naît l’Union birmane, il est aujourd’hui toujours impossible de parler d’unité dans un pays si divisé dans sa diversité. La mosaïque inachevée, comme la surnomme Jean-Claude Courdy, est un regroupement de 135 ethnies, 8 groupes nationaux et autant de langues et dialectes (COURDY, 2004, p. 17). Ce qui est inachevé, c’est ce projet d’union fédérale birmane qui fut très vite mis de côté. La gestion des minorités est une problématique qui perdure, et qui mena à de nombreux conflits. En 2011, alors que le régime semble en phase de démocratisation, la Kachin Independence Army (KIA), branche armée de l’organisation représentant le peuple kachin, reprend les combats contre l’armée Birmane. Cette reprise des hostilités survient 17 années après l’établissement d’un cessez-le-feu, signe que la problématique ethnique subsiste. Afin d’illustrer la situation des minorités ethniques en Birmanie, nous allons nous demander de quelle manière l’évolution politique de la période postindépendance a influencé la situation des minorités. Nous allons revenir sur les évènements politiques qui ont menés aux différents conflits entre le gouvernement central et les groupes ethniques ; puis, nous nous intéresserons au cas du peuple kachin.

 

Carte minorités Birmanie             Avant même l’indépendance de la Birmanie, survenue le 4 Janvier 1948, la question de l’hétérogénéité ethnique se pose. Les Anglais déjà avaient distingué la majorité birmane de l’ensemble des groupes ethniques, majoritairement frontaliers. Alors en pleine émancipation politique, Aung San, personnage clef de l’indépendance birmane et père de l’actuelle opposante politique Aung San Suu Kyi, se préoccupe du sort des groupes ethniques. Il souhaite ainsi faire reconnaitre dans la constitution les États représentant les minorités ethniques. S’engagent alors des discussions entre le Royaume-Uni et le gouvernement provisoire birman. En 1947, Aung San sort satisfait de la conférence de Panglong, qui propose des solutions de coexistence entre les différentes ethnies de Birmanie (COURDY, p. 41). Malheureusement, les années qui suivirent virent la Birmanie affectée politiquement et ne furent pas en faveur des minorités ethniques. Tout d’abord, le symbole de l’union du pays, Aung San, et certains de ses partisans sont assassinés en 1947 par leurs opposants. Ensuite, dans la constitution nouvellement adoptée, seuls les États Shan, Kachin et Karenni sont reconnus, excluant ainsi bon nombre d’autres groupes ethniques. Pour finir, la nouvelle assemblée constituante sous-représente les minorités : elle ne comprend que 45 sièges pour les minorités sur les 255 prévus, nombre jugé insuffisant. L’ethnie majoritaire du pays, les Bamar, semble concentrer l’ensemble des pouvoirs depuis l’indépendance. L’accès au pouvoir de Ne Win ne fait que renforcer la centralisation dans le pays, il nationalise l’économie. Encore une fois, cela met à mal les espoirs du fédéralisme vu par Aung San et souhaité par les minorités ethniques. Sans grandes réussites, les minorités tentent de s’unifier en 1975 pour luter contre Ne Win. À travers l’armée mais aussi le bouddhisme (malgré qu’il ait perdu de son importance sous Ne Win), les deux « colonnes » de la Birmanie, le régime de Yangon parvient progressivement à imposer une forme d’autorité sur le territoire birman. Les divergences perdurent et il est toujours difficile de parler d’Union birmane en Birmanie.

            La situation des Kachin illustre bien la raison pour laquelle Courdy parle de mosaïque inachevée et désigne la pièce manquante : le ciment démocratique. Les Kachin forment une des nombreuses ethnies de Birmanie. Ils vivent majoritairement dans l’État homonyme qui se situe au nord du pays (en vert sur la carte), mais aussi en minorité dans l’État Shan. Suite à l’indépendance, les Kachin entrent rapidement en conflit avec le pouvoir birman, voyant leurs intérêts menacés : leur culture, leur religion et leurs terres.

Le reportage Un oeil sur la planète sur la Birmanie étudie la question kachin ; il offre l’opportunité d’entendre différentes perspectives sur les conflits opposant le gouvernement aux ethnies. Si l’année 2011 est une année d’espoir pour la Birmanie, elle marque aussi un tournant dans la situation Kachin. D’un côté, cette année marque une transition politique avec le départ de Than Shwe, qui mena la junte militaire durant 2 décennies, et l’arrivée de Thein Sein, suscitant les espoirs progressistes. La Birmanie semble s’ouvrir politiquement, et prêter attention à différentes causes jusque là étouffées. Mais l’année 2011 marque aussi la reprise des combats entre la Kachin Independence Army (KIA) et l’armée birmane, malgré le cessez-le-feu conclu en 1994. La KIA serait composée d’environ 20 000 individus. Outre sa volonté de faire respecter les droits des kachin, la KIA cherche à protéger certaines zones stratégiques convoitées par l’armée birmane. Ainsi, lorsqu’en Juin 2011, l’armée birmane tente de prendre le contrôle d’un barrage hydroélectrique, de bois précieux, de mines de jade, d’or et autres terres rares, les hostilités reprennent. Plus qu’un conflit interethnique, c’est une crise humanitaire qui se déroule aujourd’hui en territoires kachin : depuis 2011, 75 000 civils auraient fuit leurs villages et les combats perdurent encore (Myanmar Peace Center).

            Nous assistons à un réel paradoxe car les dernières années marquent aussi l’ouverture des négociations entre le président et les autorités kachin. Selon Sumlut Gam, membre du comité central de la KIO, le gouvernement semble prendre conscience que tant que le fédéralisme souhaité par les minorités ethniques ne sera pas accordé, ce qui permettrait une autonomie vis-à-vis du gouvernement, la paix en Birmanie ne sera pas envisageable.


Références :

 Références scientifiques :

  • COURDY, J-C., (2004). Birmanie (Myanmar) : la mosaïque inachevée. Paris : Éditions Belin.
  • LEACH, E., (1972). Les systèmes politiques des hautes terres de Birmanie; analyse des structures sociales kachin. Paris : Librairie Francois Maspero.

Références non-scientifiques:

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