Le trafic humain à Singapour

Par Marc-André Bilodeau
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La situation géographique de Singapour fait de ce pays une place de choix pour le trafic d’êtres humains, autant pour le transit que comme destination. En effet, Singapour est située au centre de la région sud-est asiatique et est desservie par un grand nombre de vols peu coûteux, en plus que les immigrants aient la possibilité d’entrer facilement sur le territoire, et ce, sans visa [1]. La croissance économique rapide de Singapour en fait aussi une destination prisée, alors que la demande de travailleurs est élevée [2].
Les personnes visées par ce trafic sont principalement les femmes et les enfants et ils sont par la suite soumis aux travaux forcés ou à la prostitution lorsqu’ils arrivent à Singapour [3]. La plupart des victimes proviennent des Philippines, de la Thaïlande, de l’Indonésie ou du Népal, alors que la majorité des trafiquants ne sont pas originaires de Singapour [4]. Pour faire émigrer ces personnes à Singapour, certains groupes organisés, comme c’est le cas aux Philippines, font croire à des femmes qu’elles auront du travail comme servantes domestiques [5]. Toutefois, lorsqu’elles arrivent au pays, elles sont alors dans un état de servitude, puisqu’elles doivent rembourser d’énormes dettes aux trafiquants. La prostitution devient souvent la seule issue pour ces femmes.
En plus de l’aspect géographique, Singapour est une destination intéressante pour les trafiquants, tandis que la prostitution est légale et que seulement la sollicitation ne l’est pas [6]. De ce fait, certaines personnes immigrent volontairement à Singapour pour se prostituer, mais doivent ensuite le faire de force, encore une fois pour rembourser des dettes astronomiques [7]. Il y a aussi des cas où l’immigration se fait par des groupes criminels organisés qui ont fréquemment des réseaux de recrutements et de trafics dans plusieurs pays, ce qui explique comment ils réussissent à enrôler de futures victimes [8]. Par ailleurs, lorsque l’immigration se fait avec l’aide de ces groupes et qu’il y a des cas d’exploitations plus tard, les victimes ne peuvent pas aller voir les autorités gouvernementales pour un cas de trafic humain. En effet, selon la loi, lorsque l’immigration est faite de façon volontaire à l’origine, alors le trafic n’est pas reconnu par la suite [9].
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De plus, les droits des immigrants sont limités, alors qu’ils peuvent difficilement changer de travail à cause des nombreuses contraintes qui viennent avec leur visa [10]. Ainsi, cela donne encore plus pouvoir aux employeurs, alors qu’ils peuvent menacer un travailleur de le déporter s’il ne se pli pas à leurs exigences et celui-ci ne pourra pas se trouver un autre emploi, son visa ne le permettant pas.
Ces différents exemples montrent bien les failles qu’il y a dans la législation singapourienne, mais celles-ci tirent leur origine du même endroit. En effet, le principal problème qui empêche la mise en place d’un plan d’action pour enrayer le trafic est l’absence d’une définition claire de ce qu’est le trafic humain. Ainsi, la définition du trafic dans le Code criminel singapourien n’est pas la même que celle des Nations Unies et ne couvre pas autant d’aspects du problème que cette dernière [11]. Cela a comme effet d’empêcher le gouvernement de prendre de réelles actions en justice contre les trafiquants, mais aussi de pouvoir porter aide aux victimes [12]. Par exemple, la loi singapourienne interdit que des femmes soient forcées physiquement à se prostituer, mais il n’y a pas de mesures contre les formes de contraintes qui ne sont pas physiques, comme les dettes élevées qu’elles doivent à leur proxénète ou les menaces, par exemple [13]. De plus, les structures défaillantes qui sont en place n’incitent pas les victimes à porter plainte, alors que les procès sont longs, que la peur de la déportation reste présente et le fait que, jusqu’à présent, l’État n’ait jamais condamné de trafiquant [14]. Ainsi, ces femmes ont difficilement accès à l’aide du gouvernement et ne sont pas tentées de porter plainte, alors que les autorités ne reconnaîtront pas qu’il y a eu un cas de trafic ou, si elles portent plainte, les procédures qui vont suivre vont être longues et ardues.
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Malgré tout, la situation c’est tout de même améliorée dans les dernières années à Singapour, alors que depuis 2011 le pays est dans le second tiers du classement fait par le gouvernement américain par rapport à la problématique du trafic humain (le troisième tiers étant la note la plus négative), ce qui est une augmentation par rapport à 2010 [15]. Cet accroissement s’explique en partie par différentes mesures que le gouvernement a prises, par exemple en attribuant, pour la première fois, de l’argent dans la lutte contre le trafic d’êtres humains, ainsi qu’en aidant un nombre grandissant de victimes d’année en année [16]. De plus, en 2012, sous la recommandation de plusieurs organisations non gouvernementales, le gouvernement singapourien a modifié certaines lois pour être en mesure de mieux protéger les travailleurs immigrants, par exemple pour éviter qu’ils soient pris avec une dette énorme envers leur employeur [17].
Bref, malgré les efforts du gouvernement dans les dernières années pour réduire les cas de trafics d’êtres humains, il semble clair que tant que les lois de Singapour ne se soumettront pas aux normes internationales, le progrès va rester extrêmement limité.

[1] Johns Hopkins University. The Protection Project. 2011. A Human Rights Report on Trafficking in Persons, Especially Women and Children : Singapore. Baltimore : The Protection Project.
[2] Larsen, Jacqueline Joudo. 2010. « Migration and People Trafficking in Southeast Asia ». Trends and Issues in Crime and Criminal Justice 401 (novembre) : 1-6.
[3] Organisation des Nations Unies. Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime. 2012. Global Report on Trafficking in Persons. Vienne : Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime.
[4] Organisation des Nations Unies. Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime. 2012. Global Report on Trafficking in Persons. Vienne : Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime.
[5] Johns Hopkins University. The Protection Project. 2011. A Human Rights Report on Trafficking in Persons, Especially Women and Children : Singapore. Baltimore : The Protection Project.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Larsen, Jacqueline Joudo. 2010. « Migration and People Trafficking in Southeast Asia ». Trends and Issues in Crime and Criminal Justice 401 (novembre) : 1-6.
[10] États-Unis. Department of State. 2014. Trafficking in Persons Report 2014. Washington : Department of State.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Ibid.
[17] Ibid.

Bibliographie

États-Unis. Department of State. 2014. Trafficking in Persons Report 2014. Washington : Department of State.

Johns Hopkins University. The Protection Project. 2011. A Human Rights Report on Trafficking in Persons, Especially Women and Children : Singapore. Baltimore : The Protection Project.

Larsen, Jacqueline Joudo. 2010. « Migration and People Trafficking in Southeast Asia ». Trends and Issues in Crime and Criminal Justice 401 (novembre) : 1-6.

Organisation des Nations Unies. Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime. 2012. Global Report on Trafficking in Persons. Vienne : Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime.

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