L’Indonésie est entrée dans le club des véritables démocraties

Par François Beauchamp

Depuis 1998, l’Indonésie est entrée dans le club des véritables démocraties.[1][Auteur in1] Par démocratie, de nos jours, on entend non seulement l’idée de participation populaire, de souveraineté populaire donc, mais aussi d’égalité des individus et le respect des droits humains. Comparativement aux régimes autoritaires donc, le système actuel de l’Indonésie est infiniment mieux que sous Suharto. Mais qu’en est-il de l’état de cette démocratie?

 Suharto

Suharto

Il faut d’abord comprendre les raisons qui ont poussé les gens à rejeter le régime du président Suharto. Certains auteurs ont qualifié ce genre de régimes de  »sultanique », c’est-à-dire que le régime est basé sur un seul leader, et la loyauté au chef est basée sur un  »mélange de peur et de récompenses ».[2] Aspinall rappelle que ces éléments étaient aussi présents au début du régime de l’Ordre Nouveau en 1966, mais dans une moindre mesure.[3] Il continue en disant que ces éléments étaient présents au début, mais que la structure du régime mis en place a minimisé cette importance : la structure était tout d’abord pluraliste, rassemblant les chefs de l’armée et des dirigeants civils. Puis, peu à peu, surtout à la fin des années 1970, on assista à la montée de la dominance de Suharto, et de son importance à l’intérieur de l’État lui-même. Il en est venu à jouer un rôle plus central, et les décisions étaient prises sans concertation.[Auteur in2] Avec le temps, il réprimait avec plus de hargne les oppositions, plaçait sa famille en position confortable dans l’économie et au parlement. Sa répression face aux mouvements étudiants fut importante, tellement qu’elle découragea l’adhésion à ces mouvements, et conduisit à une certaine accalmie de ce côté, au début des années 1980.[Auteur in3] Mais les abus de ses politiques de l’éducation (la dépolitisation du mouvement étudiant), la crise économique en 1997 et le mécontentement populaire urbain face à la corruption eurent raison de lui, et il démissionna en 1998.[4]

Alors que des élections existaient sous son régime (bien que surtout pour la forme, puisqu’il était toujours réélu), les années subséquentes donnèrent lieu à des élections populaires d’un genre nouveau, avec des idées réformatrices. Le successeur de Suharto, Habibie (nommé par Suharto lui-même), aurait relâché les prisonniers politiques, et levé la censure sur les médias de masse. Depuis 2004, un changement à la constitution permet aux électeurs de voter pour leur président à l’aide d’un suffrage universel direct (avant, la constitution stipulait que le président était choisi par l’assemblée des députés).

Mais qu’en est-il de la démocratie, quelques années après son implantation. Un sondage réalisé auprès des populations dans les pays asiatiques, dont l’Indonésie, démontre que les Indonésiens perçoivent leur pays comme démocratique (et plus comparativement aux autres) : 90% croient que la population est libre de dire ce qu’elle veut sans peur, 85% croient les élections précédentes libres et justes, 93% des répondants disent avoir voté, voici quelques-unes des réponses à un sondage réalisé par Asian Barometer.[5] Ces chiffres sont encourageants, et signifient que la population croit en son système électoral et fait confiance à la démocratie.

Les élections de 2009 ont par contre soulevé la controverse. Beaucoup de problèmes ont été relevés par les observateurs et certains groupes de la société civile : inexpérience du personnel électoral, mauvais envoi d’urnes d’une région à une autre, et liste d’électeurs incomplètes ou incluant des personnes décédées.[6] Malgré cela, les élections ont eu lieu, confirmant une montée du Parti Démocrate[7], et une réélection du Président Yudhoyono. Il semble que tout se soit déroulé dans l’ordre, et qu’on ait fait confiance à son travail du mandat de 2004 pour éliminer la corruption.

Cette démocratie n’est pas parfaite, cependant si l’on en croit le rapport[8] [Auteur in4] effectué par Human Rights Watchen 2007,  les policiers et les forces de sécurité commettent des exactions dans la région de la Papouasie, particulièrement dans les Hautes Terres. On déplore la non-transparence de ces opérations, et le fait que le gouvernement central n’obtient pas la bonne information au sujet de la région. On parle aussi de restrictions à la liberté d’expression, de réunion et d’association.

Un autre rapport[9][Auteur in5] de Human Rights Watch relève des manquements aux libertés civiles dans la province de Aceh, majoritairement musulmane et conservatrice, où la charia est instaurée. On note que deux lois, une sur le droit vestimentaire, qui porte atteinte surtout aux femmes, et celle sur la  »proximité intime », qui dicte les codes de conduites que doivent avoir les gens non mariés de sexe opposé. Selon l’organisme, ces lois sont appliquées dans certains cas de manières abusives, et contreviennent aux dispositions de la constitution indonésienne.

On peut donc constater que si l’on se penche sur la mécanique électorale, malgré certaines lacunes ou inexpériences, l’Indonésie est bel et bien un pays démocratique, et perçu comme tel par une bonne partie de ses habitants. Cependant, il ne faudrait pas que cette situation, qui est vue comme infiniment meilleure que celle qui a précédé, nous fasse oublier qu’il y a encore du chemin à faire pour garantir les libertés civiles complètes qui sont synonymes de démocratie. [i]


[1] ASPINALL, Opposing Suharto,2005, p.224

[2] LINZ, cité dans Aspinall, 2005, pp. 203-204

[3] ASPINALL, Opposing Suharto,2005, p.205

[4] Pour une description des événements qui ont mené à la chute de Suharto voir le très intéressant chapitre The Fall of Suharto, dans Opposing Suharto, ASPINALL, pp.202-238

[5] Voir Quality of Democracy and Regime Legitimacy in East Asia, 2007, sur www.asianbarometer.org

[6] SUKMA, Rizal, Indonesian politics in 2009 : defective elections, resilient democracy, 2009

[7] Partai Demokrat

[8] Policing Morality, Abuses in the Application of Sharia in Aceh, Indonesia, 1er décembre 2010,  site web de Human Rights Watch : http://www.hrw.org/reports/2010/12/01/policing-morality

[9] Out of Sight, Endemic Abuse and Impunity in Papua’s Central Highlands, 5 juillet 2007, site web de Human Rights Watch : http://www.hrw.org/en/reports/2007/07/04/out-sight


[i] Bibliographie

ASPINALL, Opposing Suharto,2005

SUKMA, Rizal, Indonesian politics in 2009 : defective elections, resilient democracy

Asian Barometer Quality of Democracy and Regime Legitimacy in East Asia, 2007, Tapei,

rédigé par Min-hua Huang, Yun-han Chu et Yu-tzung Chang

Human Rights Watch Indonésie: Exactions policières endémiques dans une région de Papouasie interdite d’accès

6 juillet 2007

Indonésie : Deux lois locales de la charia bafouent les droits des habitants de la province d’Aceh

2 décembre 2010

Policing Morality, Abuses in the Application of Sharia in Aceh, Indonesia

1er décembre 2010

Out of Sight, Endemic Abuse and Impunity in Papua’s Central Highlands

5 juillet 2007


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