La Birmanie et le nationalisme anti-colonial: Le rôle des intellectuels

Par Nathalie Catillon

Au début du 20ième  siècle, la Birmanie est sous la direction de la couronne anglaise. Installée depuis 1886, quand le pays est annexé à l’Inde Britannique, l’administration anglaise impose un gouvernement qui leur est favorable. Elle fait face, quelques années plus tard, à un mouvement nationaliste important: John Breuilly, professeur à la London School of Economics, parle de ‘’nationalisme anti-colonial de séparation’’, c’est-à-dire lorsque l’État colonisé tente de se séparer des empires qui le dirigent. Il est nécessaire de mettre en exergue le contexte sud asiatique : nous nous trouvons dans une époque où les empires coloniaux ne peuvent plus contrer les nationalistes intellectuels et agnostiques. Les colonies souffrent de l’absence d’un État-nation, ce qui va amener les élites locales à  revendiquer une identité politique, économique ou culturelle qui n’est pas assez mise en valeur.

Au cœur de cette contestation, il est intéressant de connaître l’importance du rôle de l’intelligentzia birmane dans l’émergence du nationalisme anti-colonial en Birmanie, un pays qui a toujours connu une influence intellectuelle importante. Pour cela, nous nous devons d’observer l’importance des intellectuels lors de l’émergence du nationalisme anti-colonial birman en deux parties : la première synthétise l’importance de ces intellectuels dans ce processus et la deuxième met en valeur les actes concrets réalisés par cette classe pour appeler à la protestation populaire.

Comme dans le cas des Philippines, l’ère coloniale a contribué à l’émergence d’une élite locale, c’est-à-dire birmane, qui a l’occasion de voyager et étudier. A ces opportunités, s’ajoutent les bénéfices des nouvelles technologies, qui vont contribuer à accroître la mobilité de ces élites. Dans une époque où l’éducation va de pair avec l’ouverture vers l’extérieur et vers de nouvelles idées, les intellectuels locaux observent rapidement l’écart entre les idées théoriques (liberté, égalité et droits fondamentaux) et la réalité coloniale. Tin Moe, journaliste birman, écrit lors d’un voyage aux EUA: ‘’ Ici les moteurs toussent en démarrant, je suis arrivé par les airs au seuil du continent nord-américain ’’. Cette phrase met en valeur l’opportunité de voyage que permettent les nouvelles technologies. C’est également lors de ce voyage qu’il se familiarise avec les valeurs démocratiques américaines, qu’il décrit dans son recueil New Pages. Ainsi, comme dans le cas des Philippines, l’accès à de nouvelles idées va permettre à une élite intellectuelle de jouer un rôle important dans l’émergence et la promotion du nationalisme birman.

L’intelligentzia locale a vite compris que les idées pourraient se répandre à travers leurs écrits, tant littéraires que poétiques. Des Tikas, ou pamphlets sont diffusés au sein du pays. L’élite intellectuelle devient un axe ‘’combattant’’ contre le pouvoir colonial. L’auteur Thakin Kodau Hmaing est probablement le plus connu : dans ses œuvres (dont son fameux roman Hmaing), où il met en valeur son style à la fois lyrique, épique et polémique, il explore et expose la grandeur de la Birmanie tout en ridiculisant l’administration anglaise et en dénonçant certains aspects du gouvernent colonial, tels que l’intolérance religieuse et la corruption. Ce moyen littéraire va servir de propagande et va lui permettre, ainsi qu’à d’autres auteurs birmans, de revendiquer l’indépendance territoriale et ethnique de la Birmanie. Maha Hswé, un écrivain birman, va lui aussi décrire l’asservissement de la Birmanie dans ses œuvres. Deux de ses romans, Le Rebelle et La Maison des Rebelles, mettent en valeur un appel à la protestation du peuple à l’administration anglaise. On remarque deux niveaux de ce courant nationaliste: le premier représente les élites, qui adoptent et transmettent les idées par écrits, et le deuxième, le peuple qui lutte pour ces idées transmises, par rébellion ou manifestation.

Bien que la mobilisation de l’ensemble de la population fût lente, l’identité birmane devient rapidement une question substantielle du nationalisme birman. Le mouvement est donc amorcé par la classe intellectuelle : Thakin Kodaw Hmaing fonde l’association Do Bama Asiayone (« Nous les Birmans »), en 1930. Cet événement constitue une étape importante du nationalisme birman et montre leur volonté de diriger eux même leur pays, hors de l’emprise des Britanniques. « La Birmanie est notre pays ; la littérature birmane est notre littérature ; le Birman est notre langue. Aimons notre pays, améliorons notre littérature, respectons notre langue. »[1]. Au sein de ce groupe se retrouve la majorité de l’élite intellectuelle birmane, dont le Premier Ministre de la Birmanie indépendante, U Nu. Les récits deviennent une manière légitime de transmettre des idées à un peuple peu éduqué. La fusion des deux cultures, c’est-à-dire de la littérature anglaise et de la littérature birmane,  a permis de créer un style intéressant pour la population birmane : les pamphlets écrits en langue nationale donnent un caractère agréable et intéressant à la lecture. Thein Pe Myint, par exemple, écrivain birman, écrit en 1937, une version nationale du roman ‘’Roméo et Juliette’’ : à travers un romantisme dramatique, l’auteur prône implicitement a la lutte pour l’indépendance du pays.

De plus, il est possible d’observer la force de la littérature dans le mouvement nationaliste birman grâce à un second événement. La crise économique de 1929 a un impact dur sur la Birmanie et les revendications populaires se font de plus en plus fréquentes. En 1937, alors que les mouvements des intellectuels ‘’anciens’’ ne réussissent pas à se débarrasser des Britanniques, U Nu fonde avec une partie de cette élite, le Naga Ni Club (Club du Dragon Rouge), ou la Ligue Antifasciste du Peuple Libre, c’est-à-dire un mouvement indépendantiste  penchant vers le communisme. Ce mouvement se donne comme mission de rééduquer le peuple birman et se voit porter un succès considérable, grâce à la publication de nombreux articles et écrits. La littérature devient alors un instrument politique pour cette élite.  En 1941, l’impact des écrits sur la population est tel que Thakin Kodaw Hmaing devient un ‘’enemy of the state’’.  Après des années caractérisées par le désir d’indépendance, celle-ci est acquise en 1947. Cependant, en 1962, la guerre civile amène la junte militaire à s’emparer du pouvoir grâce à un coup d’État. Bien que l’indépendance favorise l’expansion de la littérature et de la culture birmanes, et sa force au niveau politique amène les dirigeants de la nouvelle dictature militaire à instaurer un système de censure.

Les intellectuels, encore une fois, mettent en place une sorte de contre-pouvoir grâce à leurs écrits. De plus, si l’indépendance est suivie  d’un pouvoir autoritaire, La Ligue Nationale pour la Démocratie nous montre que les idées prônées par les intellectuels pendant le courant nationaliste anti-colonial ont eu un impact important sur la population birmane.

[1] Slogan de l’association Dobama Asiayone.

Bibliographie

The Irriwaddy. 2000. « Thakin Kodaw Hmaing (1876-1964) ». The Irriwaddy. En ligne. http://www.irrawaddymedia.com/article.php?art_id=1836. (page consultée le 14 novembre 2009).

Steuckers, Robert. 1997. « Pour une nouvelle définition du nationalisme». Conférence à Bruxelles. En Ligne. http://foster.20megsfree.com/310.htm. (page consultée le 12 novembre 2009)

Philip Dore, Ronald. 1964. « Le réveil religieux et la politique ». En ligne. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/assr_0003-9659_1964_num_17_1_1752. (page consultée le 14 novembre 2009).

Htway, Tin. 1972. « The Role of Literature in Nation Building : Special Reference to Burma c. Journal of Burma Research Society LV (décembre).

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