Thaïlande : retour ephémère d’un régime élu démocratiquement ?

Par Camille Gaudreault

L’histoire politique de la Thaïlande est depuis longtemps façonnée par l’alternance entre élections démocratiques et coups d’État orchestrés par les militaires thaïlandais. Le dernier coup d’État, celui de 2006, est le 19e que le pays ait connu depuis 1932 (Marier 2007).

Le coup d’État du 19 septembre 2006 est la conséquence d’une crise politique qui secouait le pays et impliquait son Premier ministre Thaksin Shinawatra qui avait été élu démocratiquement en 2001 et en 2005. Des Thaïlandais dénonçaient la corruption et le fait que Shinawatra avait «réussi à neutraliser les mécanismes de contrôle exécutif, notamment en intervenant dans le choix des membres des agences indépendantes» (Dubus 2007) pour placer des gens qui lui étaient favorables.

La crise politique a débuté en janvier 2006, elle est attribuable entre autres à la vente de la Shin Corp  (compagnie fondée par Shinawatra) par la famille du Premier ministre sans que cette vente suive les règles de la fiscalité thaïlandaise. Ceci permit à la famille d’épargner une somme considérable.

les militaires se perçoivent comme «les chiens de garde» devant préserver un système où les gouvernements élus ne sont pas trop «corrompus». Le coup d’État fomenté par les généraux a reçu l’appui de la population et du roi Bhumibol Abdulyadej. Ces appuis ont obtenu grâce à la promesse de la junte militaire et du gouvernement intérimaire de Surayud Chulanont de tenir des élections démocratiques dans un délai d’un an et d’un retour à un régime plus transparent, moins corrompu.

La junte bien présente dans le paysage politique, voulait un retour à la démocratie, mais sans que leurs pouvoirs et influences soient amoindris. Dès leur prise de pouvoir, en 2006, les militaires ont aboli la Constitution de 1997,  la plus démocratique que le pays ait connue (« responsabilité démocratique accrue, transparence, consolidation des partis politiques, renforcement des mesures anticorruption, intérêt accru pour les Droits de l’Homme » (Funston 2001)).

La nouvelle Constitution a été approuvée par les Thaïlandais, lors d’un référendum à l’été 2007. Par la Constitution, les militaires se sont donné un plus grand pouvoir et se sont assurés d’un certain contrôle de la sphère politique thaïlandaise. Dans la nouvelle Constitution où les membres du Sénat, auparavant élus, doivent dorénavant en partie être nommés. Le parti politique de Thaksin Shinawatra, Thai Rak Thai (TRT) a été dissous par un Tribunal constitutionnel constitué par la junte.

Les élections législatives promises par la junte eurent lieu le 23 décembre 2007. En vue de ce scrutin, les dirigeants du TRT se sont fait enlever le droit de se présenter aux élections pour une période de cinq ans (Dubus 2007), évitant ainsi le retour de Shinawatra.

Les militaires ont toutefois subi un important revers. Les hommes politiques proches de l’ancien Premier ministre Shinawatra ont formé un nouveau parti, Power People Party (PPP). Ce parti jouï d’une grande popularité auprès de la population (surtout au nord) et le PPP a gagné les élections. Cependant, il n’a pas obtenu suffisamment de voix pour former un gouvernement majoritaire. Le nouveau Premier ministre, Samak Sundaravej a été élu par les députés le 28 janvier 2008 et a constitué un gouvernement de coalition «pro-Thaksin».

L’élection du PPP n’augure pas un retour durable la stabilité politique et laisse présager des relations tendues entre généraux et élus. La cohabitation entre l’institution militaire et le gouvernement sera difficile et le roi Abdulyadej devra tempérer la situation s’il veut éviter un nouveau putsch. Plusieurs Thaïlandais souhaitent que Thaksin soit jugé pour ses actes de corruption et depuis le début de l’année, il y a des manifestations contre les «pro-Thaksin». Mais au début de 2008, il y a un important revirement de situation : la junte militaire qui avait orchestré le coup d’État s’est autodissoute. Le gouvernement Sundaravej, proche de Thaksin, pourra gouverner dans une certaine stabilité politique. Mais il ne devra pas trop déplaire aux militaires et à certains groupes de la société civile «anti-Thaksin».

Références

Bouchaud Alain et Louis Bouchaud. « En Thaïlande, la chute d’un milliardaire devenu politicien ». En ligne.  (page consultée le 14 juin 2008)

Dubus, Arnaud. 2007. « Crise politique prolongée » Dans Badie Bertrand et Sandrine Tolotti, dir., L’État du monde 2008 ». Montréal : Les Éditions du Boréal

Funston, John. 2001. « La politique thaïe : mondialisation, régionalisme et crise économique ». Revue internationale de politique comparée 8 (no.3) : 419-434.

Marier, Yoan. 2007. Élections législatives en Thaïlande : d’élections en coups d’État. En ligne. (page consultée le 13 juin 2008)

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