Le militarisme en Indonésie sous Sukarno

Par Marie-Anitha Jaotody

Pour comprendre le rôle de l’armée comme force socio-politique en Indonésie, il faut revenir à la période révolutionnaire entre 1945 et 1949 où celle-ci joue un rôle central dans la lutte pour l’indépendance. Durant cette période,  des raisons patriotiques motivaient l’armée ; les luttes militaires étaient directement liées aux luttes politiques. De plus, celle-ci fonctionnait d’ailleurs  comme une guérilla et en plus de lutter contre l’occupation, elle organisait la vie politique et civile. Une fois l’indépendance acquise, l’armée se perçoit  donc comme une force politique centrale et essentielle à la naissance de la nation et toutes les interventions futures seront expliquées et légitimées par le rôle que l’armée a joué dans la lutte pour l’indépendance [1].

Les causes de la prépondérance de l’armée

L’autre raison qui explique la montée en force de l’armée indonésienne est la faiblesse des institutions civiles mises en place suite à l’indépendance. En effet, les institutions civiles ont très vite montré leur limite dans le contrôle des autres îles de l’archipel et de la société civile. L’armée se présente alors comme la seule institution qualifiée pour assumer le leadership national grâce à ses capacités organisationnelles [2].

Sous Sukarno, l’armée indonésienne constitue une institution qui représente bien plus qu’une force militaire avec une structure de commandement qui vise la défense nationale. Dans son œuvre sur l’Indonésie parue en 1993, Michael Vatikiotis parle  de la « double fonction » de l’armée pour qualifier son rôle militaire mais aussi son rôle civil. Cette double fonction est d’ailleurs institutionnalisée par une loi [3]. En effet, outre sa fonction de base qui est la défense nationale, l’armée a une solide structure idéologique qui est bien enracinée dans la société civile. Par exemple, dans le secteur économique, on note le développement d’activités extra-militaires et semi légales comme la taxation, le contrôle du marché noir ou encore l’émission de permis. Ces activités, qui vont bien au-delà du rôle de l’armée traditionnelle, élargissent les champs d’action des militaires, renforcent leur pouvoir et réduisent le contrôle du pouvoir central.

C’est dans la politique que l’intervention de l’armée se fait le plus sentir car dans le cadre de la « Démocratie Guidée » qui a pour but d’ « assister » la mise en place de la démocratie en Indonésie, Sukarno déclare la Loi Martiale en 1957. Ceci fait du corps militaire un joueur politique incontournable car des officiers bénéficieront de postes stratégiques au sein du gouvernement central et régional. Enfin, le rôle des militaires dans le massacre du 30 septembre 1965 en guise de soutien à Sukarno confirme bien le rôle prépondérant de l’armée dans la vie politique indonésienne sous Sukarno.

Le contexte international permet aussi le maintien d’un régime militarisé, car les principaux opposants au régime de Sukarno sont les communistes (PKI) et dans le cadre de la Guerre Froide, les américains soutiennent et financent les régimes qui luttent contre le communisme dans la région. Cette aide américaine permet le développement de l’Indonésie jusqu’au début des années 90 mais par ricochet, elle permet aussi le maintien d’un régime répressif et militarisé.

La place de l’Armée dans la société indonésienne : un choix qui lui revient seul

La rivalité au sein du corps militaire est aussi à l’origine de l’armée comme une force socio-politique. Le conflit interne qui oppose les jeunes technocrates aux « vieux-routards » de l’armée aboutit à la « victoire » des « vieux routards » qui réussissent à influencer les choix politiques de Sukarno. Leur « victoire » sur les jeunes technocrates, qui aspirent à une professionnalisation de l’armée et donc, une moindre intervention dans la vie politique, signifie que dès lors, l’armée sera plus présente que jamais [4], et son rôle dans le massacre de 1965 (qui fait plus d’un million de morts) le prouve.

Si, sous la présidence de Suharto on tend vers une discrétion de l’armée dans la politique, les années 2000 voit le retour des généraux dans la politique dans le cadre de la lutte contre le terrorisme de l’après 11 septembre 2001. Cette forte présence de l’armée dans la vie socio-politique et économique révèle l’échec de l’armée indonésienne à faire la transition entre une guérilla, qui apparaît dans un contexte pour une raison spécifique (indépendance, etc) à une armée professionnelle qui sauvegarde les intérêts de l’État [5].

Références

[1] Journeyman Pictures, « Indonesian Military » sur Youtube.

[2] Boudreau, Vincent. 2004. «  Authoritarian Attack and dictatorial Rise ». Dans Resisting Dictarship : Repression ans Protest in Southeast Asia. Cambridge : Cambridge University Press, 37-83.

[3] Vatikiotis, Michael. 1993. Indonesian Politics under Suharto. London and New York : Routledge.

[4] Idem.

[5] David Kilcullen, « The political consequences of military operations in Indonesia 1945-99 :a fieldwork analysis of the political power-diffusion effects of guerilla conflict » (Australian Defence Force Academy, University of New South Wales, 2000).

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés