Le Vietnam face à ses minorités autochtones

Par Benjamin Labrecque

Depuis la fin de la guerre froide, les politiques du gouvernement vietnamien à l’égard de ses minorités autochtones vont souvent à l’encontre du mode de vie traditionnel de ces populations. La politique de culture et de résidence fixes, la question de la propriété de la terre, l’augmentation de la migration des basses terres vers les hautes terres et la méconnaissance gouvernementale du mode de vie autochtone sont les quatre aspects les plus probants à cet égard.


Un aspect central du Doi moi, processus par lequel le Vietnam passa d’une économie collectiviste à une économie de marché, était l’octroi de droits de location à long terme de terres agricoles pour les familles autochtones [1]. Cette prise de contrôle des terres par des familles donna lieu à une augmentation en flèche de la productivité puisque les décisions ne devaient plus être prises par une coopérative gouvernementale [2]. Toutefois, cette nouvelle politique n’a pas réglé tous les problèmes liés à l’exploitation des terres : des questions comme la consolidation de la terre à l’intérieur des plus petites tribus et l’accès égal des différentes minorités aux terres restent encore en suspend. De plus, les terres disputées donnent parfois lieu à des conflits violents.

Les minorités autochtones du pays pratiquent une variété de techniques agricoles comme l’agriculture rotative (en friche) sur de vastes étendues qui sont laissées en régénération. De plus, ils préservent et protègent les espaces forestiers dans un but de subsistance ainsi que pour des raisons spirituelles. Les autorités étatiques considèrent généralement ces terres comme n’appartenant à personne; les revendications historiques des terres sont rarement reconnues. S’ajoute à cela le problème d’appropriations et de spéculation sur les terres autochtones. Comme aucun certificat de bail ne leur avait déjà été alloué, il existe beaucoup de confusion à propos de leur sujet. Dans plusieurs cas, les minorités ont involontairement vendu leurs droits d’utilisation des terres à des spéculateurs

La principale menace affectant les territoires des hautes terres (où vivent les autochtones) est l’augmentation de l’immigration non contrôlée en provenance des basses terres. Dans les faits, actuellement les migrations spontanées dépassent largement les migrations planifiées. Par exemple, entre 1976 et 1996, la province de Dac Lac a reçu environ 311 000 migrants planifiés pour la NZE (Nouvelle Zone Économique) tandis qu’elle a accueilli 350 000 migrants spontanés durant la même période [3]. Cette situation débuta avec le relâchement des règles de résidence dans les années 1980 [4] et se poursuivit avec l’augmentation mondiale du prix du café dans les années 1990, car ceci conduisit des milliers de personnes à chercher fortune dans les hautes terres centrales [5]. L’arrivée massive de migrants a aussi des conséquences désastreuses sur l’environnement. La moyenne des terres forestière utilisée par les nouveaux migrants varie entre deux et dix hectares par famille. On estime que la province du Dac Lac a perdue plus de la moitié de sa forêt primaire entre 1990 et 1998 seulement [6].

Le gouvernement voit encore les hautes terres comme une zone frontière avec un potentiel inexploité. Ainsi, presque tous les plans socioéconomiques appellent à l’accroissement de la production dans la région. Sans surprises, l’expansion de la superficie des plantations de café et de caoutchouc ainsi que celles des cultures commerciales de toutes sortes [7] a des conséquences néfastes sur le plan social et environnemental.

Le gouvernement croit qu’un développement à grande échelle va bénéficier aux autochtones, mais les minorités autochtones ayant pratiqué une culture de subsistance pendant des siècles sont souvent méfiantes face à la monoculture ainsi qu’à l’agriculture commerciale. Les autorités vietnamiennes accusent les fermiers autochtones de pratiquer une agriculture arriérée et de ne pas comprendre les exigences de la modernité.

[1] Doan Le Cao, Vietnam in a Changing World (Richmond: Routledge, 1995), 114-115.

[2] Benedict Kerkvliet et Doug Porter, Vietnam’s Rural Transformation (Boulder: Westview Press, 1995), 64.

[3] MOLISA (Ministry of Labor, Invalids, and Social Affairs), 1999. Report on the Result of the Survey on rural Migration in Dak Lak Province. Ha Noi.

[4] Andrew Hardy, « Rules and Resources: Negotiating the Household Registration System in Vietnam under Reform », Sojourn 16 (2001), 187.

[5] Stan Tan, « Coffee Frontiers in the Central Highlands of Vietnam: Networks of Connectivity », Asia Pacific Viewpoint 41 (2000), 58.

[6] Nguyen Van Lang, 1996. Forest Status and Some Urgent Measures for Management, Protection, and Use of Forest Resources in Dac Lac Province. Buon Ma Thuot: Dak Lak People’s Committee.

[7] Viet Nam News Agency, 1999. « Socio-Economic Development in Mountainous Areas Given Priority in 1999 ». Viet Nam News, 23 mars.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés