Le Timor Oriental et l’Indonésie

Par François Beauchamp

Le Timor Oriental est un territoire à l’est de l’île de Timor. D’abord colonie portugaise pendant environ quatre siècles, ce territoire fut envahi par l’Indonésie en 1975 et y a été annexé en 1976. Après une période de 23 ans du régime indonésien de Suharto, un référendum confirme le futur du pays : l’indépendance. Mais pour quelle raison l’Indonésie s’intéresse à ce territoire? Et pourquoi les habitants du Timor Oriental décident d’être indépendants plutôt que de rester dans le grand ensemble indonésien?

En premier lieu, il faut savoir que ce pays a subi une expérience coloniale différente de l’Indonésie : ce sont bien les Portugais qui l’ont colonisé à partir du 16e siècle, et non les Hollandais, comme en Indonésie. La coupure de l’île en deux serait le résultat des négociations au sujet de la frontière entre les deux puissances européennes. Selon toute vraisemblance, l’expérience coloniale portugaise n’aurait pas donné lieu à une transformation radicale des mœurs des habitants ( la majorité de la population habiterait la campagne et serait attachée aux coutumes animistes).[1] Cependant, la décolonisation se produit bien plus tard que les autres nations environnantes, en 1975.[2] Le Portugal se trouve en effet dans une situation politique conflictuelle, et abandonne peu à peu les liens avec ses colonies, permettant l’émergence des idées indépendantistes dans ces colonies[Auteur in1] .[3] Mais l’Indonésie s’oppose à la formation de cet état, et envahit le Timor Oriental la même année.

Les raisons justifiant cette invasion sont multiples. Officiellement, on parlait d’un retour de l’est de l’île de Timor à l’ensemble indonésien, qui aurait fait partie des royaumes javanais d’autrefois.[4] Cependant, après 400 ans d’expérience coloniale différente, et une religion différente (98% de la population est[Auteur in2] catholique)[5], on ne peut sans doute pas[Auteur in3] parler d’une histoire commune. Une autre raison probable serait la recherche de ressources naturelles, principalement les hydrocarbures. En 1973, alors qu’une première crise du pétrole survient au niveau mondial, l’Indonésie est un exportateur important de pétrole. Le désir de s’accaparer encore plus de cette ressource explique l’invasion. Un troisième facteur vient toutefois s’ajouter. La crainte de voir le Timor Oriental du côté gauche de l’échiquier politique aurait forcé la main l’Indonésie. Les puissances occidentales étaient opposées à tout état communiste et auraient fait pression pour que les forces indonésiennes prennent le contrôle de toute l’île de Timor. Jakarta aurait sans doute mal vu la montée d’un état communiste tout juste à côté de ses frontières, craignant que l’idéologie se répande (le régime Suharto était sans pitié pour les communistes[6]). La communauté internationale a pris position pour condamner cette invasion (par une résolution aux Nations Unies), mais bien peu a été fait pour contraindre l’Indonésie à se retirer du pays.[7]

Paradoxalement, l’occupation indonésienne aura fait naître un nationalisme plus revendicateur au sein de la société est-timoraise. Le régime Suharto prend le contrôle du territoire en 4 ans, avec force bombardements, massacres, déplacements de population, etc. On estime à 200 000 le nombre de morts lors de cet épisode (1975-79).[8] L’isolement du Timor Oriental des autres îles de l’Indonésie (notamment en raison des voies de communications que l’Indonésie ne développa pas), en aurait retardé l’intégration.[9] La politique de scolarisation basée sur la langue indonésienne aurait failli à intégrer la population est-timoraise au grand ensemble archipélagique. On note donc que l’isolement et la répression seront du même ordre que ce que les Hollandais avaient fait subir aux Indonésiens; en outre,  le développement de l’exploitation des ressources naturelles au profit de Jakarta, rappelle les pratiques mercantiles du colonialisme. [Auteur in4]

Après la chute de Suharto, en 1998[Auteur in5] , le gouvernement de transition de Jakarta décida de proposer un référendum à la population du Timor Oriental, dans la foulée de démocratisation en Indonésie.[10] On avait le choix entre l’autonomie à l’intérieur de l’Indonésie ou l’indépendance. Le résultat du scrutin fut l’indépendance, choisie à 78,5%.[11] Pour reprendre l’expression de Anderson, on dira que l’Indonésie  »a échoué à imaginer le Timor Oriental comme étant indonésien ». [12] L’état indonésien aura échoué à incorporer le Timor Oriental dans le contexte historique, à traiter sa population d’égal à égal (et l’a plutôt traité dans un contexte colonisateur-colonisé) et à intégrer la population au langage indonésien, excluant d’office les jeunes est-timorais aux hautes sphères administratives. Tout ceci explique pourquoi une majorité des habitants de l’est de l’île de Timor, n’ont jamais pu se sentir, ou  »s’imaginer », Indonésiens.

Court reportage sur la demande de justice de la population est-timoraise envers l\’invasion indonésienne



[1] BOUVIER, P. et K. VANDERPUT, Timor Oriental : le combat d’un peuple, L’Harmattan, 2001, p.53

[2] Idem, p.50

[3] www.easttimornow.com/about-east-timor/history.aspx

[4] BOUVIER, op.cit., pp.51-53

[5] http://www.easttimornow.com.au/about-east-timor/fast-facts.aspx

[6] BOUVIER, op.cit., 49

[7] Idem p.83-84

[8] Idem p.70

[9] Voir carte, idem, p. 78

[10] Idem, p.160

[11] http://www.democracynow.org/1999/9/6/east_timor_referendum_results

[12] ANDERSON, B., Imagining East Timor, publié dans Arena Magazine No.4, 1993

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