Minorités ethniques en Indonésie

Par François Beauchamp

L’Indonésie regroupe 14 000 îles. À l’évidence, un territoire aussi éclaté laisse place à toutes sortes de coutumes locales et d’identités différentes. Comment alors unifier le pays, avec toutes ses différences ethniques ou religieuses?  La période précédent la montée de Suharto avait vu se multiplier les partis politiques régionaux et à intérêts très locaux ou ethniques. Cette pluralité avait affaiblit le système politique central, et constitue une des raisons du coup d’état de 1966 : rétablir un gouvernement central fort. Après la chute de Suharto en 1998, les partis à saveur locale se sont de nouveau multipliés. Les législateurs en place ont craint pour la stabilité du pays, et afin de contrôler le climat politique et d’éviter que les partis deviennent le véhicule de conflits ethniques, certaines mesures ont été instaurées. La marge pour qu’un parti politique puisse avoir des sièges au niveau du gouvernement central est passé de 2 à 2,5%. De surcroît, en 2002, une Loi sur les partis politiques exige que les partis soient présents dans 50% des provinces et 50% des districts pour pouvoir contester une élection.[1] Ceci vise à favoriser une base territoriale plus large aux partis.

Cependant, on a fait des concessions. La région d’Aceh a toujours eu de fortes revendications d’autonomie, et un mouvement d’indépendance a été créé, le Mouvement pour la libération d’Aceh, depuis la période Suharto. Afin de calmer le jeu, le nouveau système politique après 1998 a autorisé la participation d’un parti politique local et a accordé plus d’autonomie à la région ,  après avoir tenté en vain de mater par la force ce mouvement en 2003.[2] Les députés locaux obtinrent ainsi le droit de contester les élections au niveau de la région d’Aceh sans avoir une base dans les autres provinces.

La minorité Papoue a reçu moins d’autonomie. Présente à l’ouest de l’île de la Nouvelle-Guinée, une région riche en ressources, elle s’est vu imposé un programme de transmigration et d’implantation économique directement sur le territoire. On a fait d’importantes concessions pour favoriser l’essor minier et forestier. Évidemment, les Papoues ont contesté ces violations de leur territoire ancestral, mais n’ayant pas assez de représentation politique, le programme a continué. Les autorités centrales ont même encouragé le développement économique au détriment des droits de la minorité papoue. Bien que des efforts soient fait par les compagnies exploitant les terres, qui cherchent à engager plus de travailleurs issus de la minorité papoue dans leurs exploitations, les personnes arrivant de l’île de Java et d’ailleurs en Indonésie continuent d’occuper les meilleurs postes dans les compagnies et à l’intérieur du système politique régional.[3]

Le peuple Toraja, qui occupe l’intérieur des terres de l’île de Sulawesi, a commencé à revendiquer le droit de continuer certaines pratiques rituelles (avec le sacrifice bovin) comme étant partie intégrante de leur culture. L’essor du tourisme a grandement contribué à ce que ces pratiques soient reconnues comme faisant partie d’une branche d’Hindouisme balinais, avec l’aide d’officiels gouvernementaux provenant de la minorité Toraja.[4] Il aura fallu une prise de conscience des droits indigènes ainsi qu’une dose de politique au niveau du gouvernement central pour qu’on cesse de voir ces rituels comme de la barbarie et les accepter comme un droit de la minorité des Toraja.

La minorité chinoise est dans une position un peu différente. La diaspora chinoise occupe une place surtout économique depuis plusieurs siècles en Indonésie, comme à peu près partout en Asie du Sud-Est. Contrairement à plusieurs groupes en Indonésie, les Chinois ont longtemps été vus comme des étrangers et non pas comme des minorités régionales. Les politiques leur interdisant de posséder des terres les a confiné aux secteurs commerciaux. De nos jours cependant, on peut comprendre que quiconque a un poids et un succès économique a beaucoup plus de chances d’occuper ou de désirer une place  au niveau politique.[5] Ils peuvent par contre être encore considérés comme  »étrangers » malgré leur présence depuis longtemps. C’est pourquoi lorsqu’ils tentent de participer au processus politique, ils font face à des préjugés raciaux, comme en témoigne les attaques raciales, 2012, contre un candidat membre de la communauté chinoise, Basuki Tjahaja Purnama, au niveau de la localité de Jakarta.[6]

Avec ces quelques exemples, on peut voir que la question des minorités ethniques reste difficile en Indonésie. On remarque que certains groupes ethniques ou régions où l’identité est plus forte réussissent mieux à obtenir une représentation politique ou à faire reconnaître leurs droits d’une façon officielle, mais qu’aucune politique n’est mise en place d’une façon systématique pour inclure les différences des groupes minoritaires. On parle plutôt de réactions aux mouvements de contestation que de stratégies d’inclusion des différences. On tente de bloquer les tentatives d’organisations politiques régionales afin d’éviter la montée de véhicules politiques pouvant avoir un agenda sécessionniste propulsé par la conscience ethnique. Il est vrai que dans un pays fragmenté en plusieurs îles, il serait difficile pour la cohésion nationale d’accorder trop de pouvoir au niveau local. On pourrait cependant y voir un désir de maintien du statut quo par les élites de l’île de Java, la région la plus importante et le siège du gouvernement central. Nul doute que les yeux seront tournés vers l’Indonésie durant les prochaines années pour observer les réussites ou les échecs politiques d’un état à garder une cohésion nationale malgré les divers groupes ethniques présents sur le territoire.


[1] HILLMAN, Ben, Ethnic politis and local political parties in Indonesia, publié dans Asian Ethnicity, Routledge, pp. 419-440, 13 août 2012

[2] Idem, p. 424

[3] Minority Rights Group International, http://www.minorityrights.org

[4] Indonesia : A Country Study, section Toraja, Washington GPO for the Library of Congress, 1993, disponible sur http://countrystudies.us/indonesia

[5] Lire le chapître Chinese and the State : the Jewish analogy, dans To Nation by Revolution, Indonesia in the 20th Century, par A. Reid, Université de Singapour, 2011

[6] MCDOWELL, Patrick, Racial Slurs Cloud Indonesia Election, The Wall Street Journal, 19 septembre 2012

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