Thaïlande : à quand le prochain coup d’État ?

Par Pierre Fiola

À leur arriver au pouvoir le 19 septembre 2006, les militaires avaient promis de tenir des élections avant la fin de 2007.  Entre-temps, ils en ont profité pour augmenter leur influence  en instaurant une nouvelle constitution.  Le 20 août 2007, près de 56% des Thaïlandais votaient en faveur de cette constitution qui donnait plus de pouvoirs aux militaires, et diminuait le pouvoir de l’exécutif [1]. De plus, quelques jours avant les élections, les militaires faisaient adopter par l’Assemblée nationale, une nouvelle loi sur la sécurité intérieure.  Cette loi permet aux militaires de décréter des couvre-feux, de limiter la liberté de déplacement et d’encadrer les pouvoirs des responsables gouvernementaux quand ils jugent la sécurité nationale menacée [2]. « Cette loi c’est leur police d’assurance contre la victoire du PPP.  Ils n’ont même plus besoin d’organiser un nouveau coup d’État » estime Thitinan Pongsudhirak, analyste politique et éditorialiste du Bangkok Post [3].

Le 23 décembre 2007, un peu plus d’un an après le coup d’État, le Parti du Pouvoir au Peuple, le PPP, remportait les élections avec à sa tête Samak Sundaravej.  Le PPP est constitué des anciens du Thai Rak Thai, TRT, qui était dirigé par Thaksin Shinawatra.  Samak se présentait lui-même comme étant « l’homme de paille » de Thaksin [4].   Donc pour les militaires qui voulaient, par le coup d’État de 2006, débarrasser le pays des hommes corrompus qui le dirigeaient, ce fut un échec.

Maintenant au pouvoir, le PPP veut faire amender la Constitution.  Le but visé serait de supprimer 2 articles qui ont servi de bases légales pour lancer des poursuites judiciaires contre Thaksin et certains ex-membres du TRT [5].   Le mardi 27 mai 2008, Samak a annoncé que son cabinet avait approuvé la tenue d’un référendum national, nécessaire pour amender la constitution [6].   24 heures auparavant, l’Alliance du peuple pour la démocratie, PAD, qui forme l’opposition, avait lancé un nouveau cycle de protestation au centre de Bangkok pour protester contre tout changement à la constitution de 2006 [7].

Ces manifestations ont relancé les rumeurs qu’un coup d’État se préparait, et quelques jours plus tard, le 29 mai, le général Boonsrang Niumpradit, commandant en chef de l’armée Thaïlandaise, a déclaré qu’à sa connaissance, aucun coup d’État ne se préparait : « J’ai simplement dit que celui qui prépare un coup d’État ne prévient pas avant. Mais d’après de que je sais, personne n’y songe. Ce n’est pas opportun. Je ne crois pas qu’il va y avoir un coup d’État [8]».

Pour Manuel Litalien, membre du Groupe de recherche sur la gouvernance démocratique et l’ethnicité à l’UQAM, les militaires se mettraient la communauté internationale à dos s’ils déclenchaient un nouveau coup d’État immédiatement.  Ils vont plutôt continuer d’agir dans l’ombre comme ils l’ont toujours fait [9].

D’ailleurs, le lendemain de la déclaration du général Boonsrang Niumpradit, Jakrapob Penkair, ministre auprès du Premier ministre thaïlandais, s’est vu dans l’obligation de démissionner sous les pressions de l’armée et de l’opposition. La police thaïlandaise l’a accusé de crime de lèse-majesté pour des propos tenus dans l’un de ces discours prononcé le 29 août 2007 [10].

Encore une fois, les militaires ont senti le besoin de mentionner qu’il n’était pas dans leur intention de préparer un nouveau coup d’État.  Cette fois, c’est le chef de la force aérienne, le maréchal Chalit Phukphasuk qui s’en ait chargé, le dimanche 8 juin, clarifiant au passage la position de l’Armée.

Selon lui, les militaires ne font qu’observer la situation; l’armée ne doit pas s’ingérer dans les chicanes entre les dirigeants politiques et les membres de l’opposition. Toutefois, il a tout de même tenu à préciser que l’armée n’exécuterait que les ordres du gouvernement qui lui paraîtrait « légitime » et qu’elle « se rangerait du côté vertueux » .  La bataille entre les militaires et les dirigeants du PPP est donc loin d’être terminée. L’issue est toujours incertaine.

Références

[1] Issa Ouedraogo, « Thaïlande : 1er coup d’État depuis 1991 », (2007) En ligne.  (page consultée le 18 juin 2008).

[2] Florence Compain, « Les Thaïlandais infligent un camouflet à l’armée Thaïlandaise », (2007) En ligne.  (page consultée le 18 juin 2008).

[3] Id.

[4] Id.

[5] « Vers de nouvelles élections en Thaïlande », (2007), En ligne.  (page consultée le 18 juin 2008).

[6] Xinhua, « Thaïlande : Le cabinet approuve le référendum nationale sur l’amendement de la Constitution », (2008) En ligne.  (page consultée le 18 juin 2008).

[7] Idem.

[8] JDD, « Thaïlande : L’armée dément préparer un coup d’état », (2008) En ligne. (page consultée le 18 juin 2008).

[9] Yoan Marier, « Élections législatives en Thailande : d’élections en coup d’État », (2007) En ligne. (page consultée le 18 juin 2008).

[10] Xinhua, « Thaïlande : Démission du ministre auprès du PM », (2008) En ligne. (page consultée le 18 juin 2008).

[11] Xinhua, « Thaïlande : Le chef de la force aérienne garantit la neutralité des forces armées », (2008) En ligne. (page consultée le 18 juin 2008).

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