La Thaïlande, une tradition politique militaire

Par Aurélien Clément

En Thaïlande, le militarisme est ancré dans la politique depuis le renversement de la monarchie absolue  en 1932. Elle revêt une importance quasiment culturelle .  Au cours du 20e siècle, elle n’a pas eu  besoin de se préoccuper des conflits à l’extérieur du territoire national. Ceci lui a permis de se consacrer pleinement aux problèmes internes . L’Armée est une force quasi autonome et se pose en arbitre au niveau politique.

Menée par des hommes charismatiques, l’armée thaïlandaise s’assigne le devoir de standardiser la société selon les préceptes de l’identité thaïe. Elle s’accorde le droit de faire pression sur le gouvernement ou bien de le renverser si ce dernier ne se conforme pas aux prescriptions nationales. L’Armée projette donc une image de stabilisatrice et de protectrice qui lui permettrait le droit de rétablir un soi-disant équilibre, une sorte de droit d’ingérence. Toutes ces raisons devinrent autant de prétextes pour intervenir dans la vie politique interne du pays.

Par exemple, le Général Phibun Songkhram, pour le coup d’État de 1947, avait invoqué la protection de la dignité de la monarchie contre un gouvernement qui faisait trop de concessions aux Occidentaux, tandis qu’en 1971 fut invoquée la protection nationale contre l’infiltration communiste venant de la frontière malaise .

Depuis la proclamation le 24 juin 1933 de la démocratie en Thaïlande, on compte 18 coups d’État militaires majeurs pour 25 premiers ministres et quelques 18 Constitutions.  Les gouvernements civils mis en place sans l’intervention de l’Armée se comptent sur les doigts de la main. La grande majorité des premiers ministres ont été des généraux ou des cadres militaires, des hommes tels que Phibun, Sarit, Thanom, ou encore plus récemment Sonthi.

Cependant, il faut remarquer que s’il subsiste une tradition politique de la part des militaires fortement ancrée en Thaïlande, l’influence et l’autorité du monarque l’est encore plus. En effet,  les militaires semblent capables de remettre en cause le gouvernement à leur guise, mais quoi qu’il en soit, l’appui du monarque, en l’occurrence celui de Rama IX Bhumipole depuis 1950, est une condition presque sine qua non. En 1973, après des répressions particulièrement violentes du général Thanom, alors premier ministre, contre des étudiants à Bangkok, lorsque le roi exige l’exil de Thanom, celui-ci se plie à la volonté du roi. De même, en 1981 lorsqu’une faction militaire tente un coup d’État contre le Général Prem qui détient l’appui royal, la tentative échoue lamentablement.

Le pouvoir des militaires est aussi tout de même contraint par la volonté populaire, car la prise du pouvoir par la force ne sera pas nécessairement vue comme légitime dans un système qui se veut de plus en plus démocratique. C’est à cette problématique que sont confrontés les auteurs du coup d’État du 19 septembre 2006 . L’Armée dirigée par le général Sonthi renversa le gouvernement du Premier ministre Thaksin accusé de corruption  et organisa par la suite de nouvelles élections. Elles furent remportées de nouveau par le parti de Thaksin, remettant le Parti du Pouvoir du Peuple aux commandes du gouvernement malgré le fait que son chef soit en exil. Revenu depuis peu au pays, Thaksin est passible de 15 de prison. Toutefois, ce dernier ne semble pas  s’inquiéter de la justice. Il envisage même de reprendre du service au sein du nouveau gouvernement  dirigé par son collègue Samak Sundaravej.

Ainsi, l’Armée bien que dans un pays à forte tradition politique militaire où la population est en quelque sorte habituée à son interventionnisme dans la sphère politique, doit tout de même calculer en fonction du l’orientation du Roi et de l’opinion publique, sachant que les votes sont parfois achetés par des chefs de partis fortunés.

Références

Cheon Yong Mun, «  The political Structure of the Indépendantes States » The Cambridge History of Southeast Asia, Vol 4. Cambridge University Press, 1999, pp 59-131.

Anderson Benedicte, Murder and Progress in Modern Siam, New Left Review, 181, May June 1990.
Wyatt D, Thaïland a Short Story. Chiang Mai, Silkworms Books, 2004.

Sivaraksa Sulak, Nationale Identity and its Defence, Chiang Mai, Silverworms Books, 1993.

“Nouveaux coups de tangage”, The Nation, Bangkok.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés