La purge du sang

Par Nora Atalla
Extrait du recueil Bagnards sans visage

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une femme apparaît pour dire les fissures renoue les ficelles

éparses entre les os

la femme soulève les jupes

mais aucune naissance ne lui sourit

 

celui attendu

croupit dans une bauge

 

*

 

montée des grandes peurs

le jour de la purification sonne

 

 

tu pars

dans le tout-à-l’égout dans la distance

la punition       la régénération

 

 

la pourriture ouvre son œil

à lier les fous

 

*

 

jusqu’à la crucifixion

les ligaments se rompent

les mères s’affaissent

au crissement des cisailles

 

 

 

à peine les lèvres remuent-elles

à la lueur des lampions

 

dans la cécité

les lames              les vagues se jettent à profusion

 

*

 

aux ports improbables

tu restes amarré

à attendre le miracle du pardon

 

 

l’exil cadenasse ta charpente

 

*

 

aveugles d’enfance

les volets luttent

contre les vers et les vents

se murent sur le  silence

 

*

 

à reconstruire

à la sueur des chaînes

 

 

les tempêtes passent mais pas les soudures

 

 

 

la femme dit :

tu nous avais creusé

dans la  mémoire

 

la lucidité n’a jamais été aussi crue

aussi tranchante

que les hélices des noms oubliés

 

 

à présent

le sang encroûte nos racines

 

*

 

la déportation

rien ne t’épargne des secousses

 

 

la parulie grippe tes mâchoires

tu ne peux renverser la vapeur

ta demeure s’est évanouie

 

sur les lèvres de celle qui t’espère

la mort engendre la sécheresse

 

*

 

plusieurs fois retentissent les ressentiments

 

 

plusieurs fois des fausses routes

des replis de désunion

 

 

nouée       la gorge

de peines nourricières

clous enfoncés aux poignets stries de vagabondages

 

les ferrures résistent au temps

pas même le soleil ne retrouve son chemin

 

*

 

l’homme ouvre un œil

sur sa rétine les images sont tachées d’amertume

 

 

il tressaute

son sang a franchi les océans

sa paupière retombe de lassitude

 

*

 

les doigts palpent la chaleur du corps

se tendent vers les courbes anciennes

 

 

l’ivresse naît d’un baiser

loin des prisons

 

*

 

la femme dit :

sur ma peau traînent

les longs couloirs de nos étreintes

 

tes iris auront

la couleur de nos vœux

 

 

les mains cherchent à arracher le licou

 

 

sur les lignes de failles

la dégringolade commence

 

 

inutile de rassembler les fragments

de faire des vagues

 

les mains sont des battoirs martelant la mémoire

 

*

 

les nuages s’éventrent en bouillons de fiel

sous les pierres du ciel               marcheurs écrasés

jambes consumées jusqu’aux   moignons

 

une guillotine rutile dans le noir

 

*

 

il ne s’agit pas de faire des entorses aux destinées mauvaises

 

 

l’instinct

se laisse happer par l’effleurement de l’amour

 

 

l’épouvante migre aux confins de soi

 

 

il ne s’agit pas d’un abandon

 

 

 

une trappe s’ouvre

 

 

ombres              masques

au fond du vide déboulent jointures    traces

aux tournants disparaissent

 

 

les souvenirs meurent quand survient le matin

 

 

la trappe se referme

 

*

 

chacun cherche le parafoudre dissimulé dans un creux du cerveau

 

 

il manque des barreaux aux échelles

les bras n’atteignent qu’une infime hauteur

 

 

tous les instants aspirent au firmament

 

*

 

du coin de la bouche

la femme épie les mots

 

 

avec rigueur

elle minute ses souffrances

 

 

accouche de non-dits

 

Biographie

Native du Caire, d’origine gréco-libanaise et franco-géorgienne, Nora Atalla vit au Québec depuis l’enfance. Auteure de dix ouvrages, dont sept recueils de poèmes, elle a été finaliste en poésie des Prix littéraires de Radio-Canada et du prix Alain-Grandbois (Hommes de sable). Elle a représenté le Québec et la poésie dans une douzaine de pays et participé à de nombreux festivals, dont en novembre 2019, le 15e festival Tras las Huellas del Poeta au Chili. Après avoir été en résidence au Mexique en 2019, elle sera à Paris en mars et avril 2020 grâce à une bourse du CALQ. Son recueil Bagnards sans visage a été publié en 2018 aux ©Écrits des Forges (tous droits réservés). Morts, debout! paraîtra au printemps 2020, chez le même éditeur.

 

Le présent texte, constituant le premier chapitre de Bagnards sans visage, est reproduit ici avec la permission de l’éditeur et de l’auteure.

 

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