Dans la foulée de la manifestation du 27 septembre     

Par Gabriel Gagnon

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Dans la foulée de la manifestation du 27 septembre 2019 consacrée à la lutte contre les changements climatiques, les élections du 21 octobre ont remis au pouvoir les libéraux de Justin Trudeau, qui devra gouverner avec l’appui des 22 députés du NPD dont un seul vient du Québec.  Les deux partis devront s’entendre sur une façon d’intégrer dans leurs programmes l’oléoduc Trans Mountain acheté par les libéraux, qui ne savent vraiment quoi en faire.  Quant à lui, suivant en cela la CAQ sur laquelle il s’est appuyé, le Bloc Québécois a refusé de se prononcer sur un troisième lien entre Québec et Lévis devant traverser l’Île d’Orléans, ou sur un nouveau pipeline, de gaz naturel cette fois-ci, traversant le nord du Québec puis la rivière Saguenay, avant de déboucher sur le fleuve Saint-Laurent. Ce n’est donc pas de la nouvelle coalition entre les libéraux et le NPD ni du Bloc Québécois que nous devons attendre des efforts substantiels pour enrayer la crise climatique profonde engendrée à la fois par la fonte rapide des calottes polaires et l’augmentation quasi exponentielle des populations d’un tiers-monde menacé par la pauvreté et la famine. Pourtant, les 500 000 personnes réunies à Montréal le 27 septembre nous l’ont montré : l’opposition de la population à cette crise semble se développer chaque jour davantage au Québec comme ailleurs dans le monde.

L’action du nouveau gouvernement ne sera sans doute pas à la hauteur de ce vaste mouvement urbain en lui donnant une suite significative. D’ailleurs, prévues pour prolonger dans le temps l’action des manifestants du 27 octobre, les initiatives proposées par des militants d’Extinction Rébellion n’obtiennent malheureusement pas les effets escomptés.

Fermer toute une journée le pont Jacques-Cartier fournit plus d’adversaires que de militants aux partisans de la transition écologique. D’autres initiatives plus modestes et plus adaptées au niveau de conscience de la population auront sans doute plus d’effets par la suite.

Parmi celles-ci, mentionnons le film documentaire consacré à l’expérience de cinq années de la revue parti pris (1963-68), où Marc-André Faucher et Israel Coté Fortin nous feront revivre l’itinéraire du socialisme décolonisateur et autogestionnaire proposé par ses rédacteurs à cette époque. Quant à lui, dans un beau livre intitulé Un pays en commun. Sociologie et indépendance au Québec, Éric Martin a retracé récemment l’histoire de ce mouvement autogestionnaire québécois dont Annie Maisonneuve analysera bientôt l’évolution actuelle.

Nous ne savons pas quelles seront les suites du vaste mouvement amorcé le 27 septembre. Le pacte suggéré par Dominic Champagne, prenant la suite de la « simplicité volontaire » prônée par un précurseur comme Serge Mongeau, ne prendra corps que si, dépassant nos identités culturelles traditionnelles, nous contribuons d’abord à définir ce nouvel imaginaire susceptible d’enrayer un cauchemar climatique dont nous ne pouvons pour le moment prévoir la fin.

Pour le moment, les gouvernements au pouvoir à Ottawa et à Québec ne semblent pas habités par une conscience profonde de la catastrophe écologique qui nous menace. Avec un seul député québécois convaincu de cette urgence, le NPD n’amènera pas Trudeau à choisir le bon côté de sa « stratégie de transition ». De son côté, la CAQ, malgré le nouveau projet constitutionnel proposé par le projet de loi 21, semble pencher beaucoup plus du côté de l’économie que de l’environnement si l’on en croit sa timidité face au fameux troisième lien entre Québec et Lévis souhaité par le maire Régis Labeaume, ainsi qu’au projet de transport du gaz naturel à travers le pays. Quant au PQ et à Québec-Solidaire, ils pratiquent entre eux pour le moment plutôt la concurrence que la convergence.

Parallèlement à cette évolution politique et culturelle, de nombreux individus, seuls ou en groupes, s’opposent déjà dans leurs pratiques quotidiennes aux effets des transformations climatiques en cours en construisant au jour le jour une société d’un autre type. Ces initiatives éparses pour le moment permettront de mieux ancrer les mouvements en formation et pourraient obliger les partis politiques existants à s’ancrer davantage dans la nouvelle réalité émergente.

Pour le temps qui me reste, c’est à l’avenir de ces groupes que je pense consacrer mes efforts.  Après avoir retracé dans un ouvrage récent (De parti pris à Possibles. Souvenirs d’un intellectuel rebelle, 1935-2016, Varia, 2018) mon itinéraire culturel et politique, où des revues comme parti pris et Possibles ont tenu une grande place, je continue à suivre de près des expériences comme celles des Îles de la Madeleine et d’Anticosti qui pourraient indiquer des voies possibles vers l’avenir.

De passage au pouvoir, le gouvernement de Pauline Marois avait déjà laissé aux entreprises minières le contrôle du développement d’Anticosti. La bande de protection d’un kilomètre sur le pourtour de l’île proposée maintenant par le gouvernement de la CAQ laisse libre-cours pour le reste de l’île aux exploitations forestières qui y sont implantées. Les militants écologiques devront donc insister pour soustraire l’ensemble du territoire à la domination de l’économie libérale.

Les Îles de la Madeleine sont aussi un lieu particulièrement menacé par l’érosion galopante et le développement anarchique de son économie. Depuis les années 60, je me suis attaché à cette communauté que je pense avoir aidée, par ma présence et mes écrits, à défendre contre l’avancée de la mer dont se soucient peu les capitalistes locaux.

J’espère donc continuer encore longtemps mon combat pour faire du Québec un exemple de l’opposition déterminée aux dérèglements climatiques qui nous menacent chaque jour davantage.

Il faut maintenant que nos manifestes se concrétisent dans des projets politiques bien structurés qui permettront aux initiatives locales de déboucher sur les transformations urgentes qui sont nécessaires si nous voulons vraiment enrayer la dérive climatique actuelle. Du local au politique, nous prolongerons le mouvement amorcé le 27 septembre.

Biographie

Gabriel Gagnon a enseigné l’anthropologie (1963-70) puis la sociologie (1970-2000) à l’Université de Montréal. Membre du comité de rédaction de la revue parti pris (directeur en 1966-67) il a fondé en 1976 avec Marcel Rioux, Roland Giguère, Gilles Hénault, Gérald Godin et Gaston Miron la revue Possibles dont il a dirigé à l’automne 2016 le numéro du 40e anniversaire. En 2018, il a publié chez Varia De parti pris à Possibles. Souvenirs d’un intellectuel rebelle, 1935-2016.

           

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