Le Reggae comme hymne à l’humanité

Par Laurence Choquette Loranger

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Le 29 novembre 2018, le reggae jamaïcain est officiellement entré sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. L’organisme de l’ONU a souligné la contribution du reggae au « discours international sur les questions d’injustice, de résistance, d’amour et d’humanité » et a précisé sa nature à la fois « cérébrale, socio-politique, sensuelle et spirituelle ». Cette annonce a été accueillie à bras grands ouverts par le gouvernement jamaïcain et avec un peu plus de méfiance de la part de la population qui connait le côté militant et rebelle de cette musique. Quand le reggae résonne, on entend les battements de cœur de ceux qui luttent contre l’oppression du système. C’est un chant qui rejoint les marginaux de tous les continents et forme désormais une contre-culture inébranlable. Cet article retracera les origines du reggae et la manière dont il s’est rependu à travers le globe. Il explorera aussi comment il s’est transformé au contact de nouvelles cultures et les défis que cela a engendrés. Finalement, il sera question de la nouvelle vague « reggae revival » sur laquelle surfe la nouvelle génération rastafari.

Les « roots » de la musique reggae

 Le reggae en tant que genre musical est indissociable du mouvement spirituel rastafari qui a émergé dans les années 30 en Jamaïque. L’histoire de cette île caraïbéenne a profondément été marquée par l’esclavage et la résistance aux puissances coloniales. La figure de Marcus Garvey est très importante au sein du mouvement rasta puisque ses enseignements panafricanistes ont engendré une profonde transformation de l’identité des Noirs qui luttaient pour une plus grande autonomie. Toutefois, l’individu à qui on doit le titre du mouvement est l’Empereur Hailé Sélassié I (Ras Tafari) descendant légitime du roi Salomon, selon les rastas. En 1930, il fut couronné Empereur de l’Éthiopie et selon la réinterprétation afrocentrique de la Bible par les rastas, il serait le Messie mentionné dans le livre prophétique de l’Apocalypse. L’Éthiopie est reconnue pour être le berceau de l’humanité et le seul pays d’Afrique n’ayant jamais été colonisé, et ce notamment grâce au combat mené par l’Empereur contre l’occupation italienne pendant l’entre-deux-guerres. Plusieurs symboles de la culture rasta comme le drapeau rouge, jaune et vert, et le lion de Juda sont d’ailleurs d’origine éthiopienne.

Les tambours et les chants ont joué un rôle fondamental dans le développement de la musique reggae puisqu’ils étaient utilisés par la communauté rastafari en tant qu’éléments essentiels aux rassemblements spirituels. Les chants Niyabinghi sont des récitations des Psaumes et de différents hymnes chrétiens adaptés par les rastas qui leur permettaient de renouer avec leurs racines africaines tout en exprimant leurs louanges à Jah. Ces rythmes sont connus pour avoir influencé la musique ska, rocksteady, et ultimement le reggae.

Politiquement, la musique ska a particulièrement été influencée par l’optimisme populaire associé à l’idée de l’indépendance de la Jamaïque. Toutefois, cette excitation s’est éteinte assez rapidement lorsqu’une partie de la population a compris que l’indépendance sur papier ne faisait pas d’eux des individus émancipés de toutes les structures d’oppressions encore très présentes au pays. Le rythme ska a donc ralenti et les paroles ont commencé à aborder les problèmes d’injustices socio-économiques auxquels les Jamaïcain-e-s faisaient face.

À l’époque, le mouvement rastafari commençait à gagner de l’influence tout en demeurant très marginal. Ses membres subissaient beaucoup de mépris de la part de la culture dominante, notamment puisqu’ils ne se conformaient pas au christianisme tel que présenté dans la société. Leurs idées militantes dérangeaient également l’autorité en place et plusieurs d’entre eux ont été torturés par la police et emprisonnés. Plusieurs excuses ont été utilisées par les autorités pour leur couper les dreadlocks, les exproprier ou brûler leurs maisons. Un des cas tristement célèbre est celui de Coral Garden, en 1963, où des rastas ont été faussement accusés d’avoir incendié une station d’essence et où le premier ministre a demandé à la population d’«amener tous les rastas morts ou vivants » à la police. Cet événement a enflammé la violence faite aux rastas. La musique est donc devenue leur principal moyen d’exprimer leur mécontentement face aux injustices qu’ils subissaient. Les stations de radio populaires refusaient toutefois de jouer le reggae étant donné la mauvaise réputation qui leur était associée. Par contre, la musique a commencé à se diffuser grâce aux « sound systems » qui étaient très populaires aux alentours de Kingston. Les Disc Jockeys (DJ) chargeaient des camions de génératrices, de vinyles et d’énormes haut-parleurs pour organiser des fêtes de rue et diffuser la musique. Cette culture a donc largement contribué à la popularisation du reggae en Jamaïque.

L’exportation de la musique jamaïcaine à l’étranger et le succès de Bob Marley

Suite à la Seconde Guerre mondiale, le Royaume Uni a grandement encouragé l’immigration jamaïcaine afin de combler sa pénurie de main-d’œuvre et de redresser son économie. Entre 1953 et 1962, environ 175 000 Jamaïcains ont pris place à bord des « banana boat » à destination de Londres, de Liverpool et d’autres ports britanniques. Cette forte immigration a permis le développement de quartiers à grande concentration jamaïcaine et c’est essentiellement dans ce contexte que la musique populaire de l’île caraïbéenne s’est propagée jusqu’à former un mouvement de contre-culture en Grande Bretagne.

Le fin businessman anglais, producteur de musique et fils de planteur jamaïcain blanc, Chris Blackwell, a été l’un des premiers à reconnaitre le potentiel en la croissance de la musique caraïbéenne au Royaume-Uni. Il a donc fait le choix d’investir dans un groupe de musique reggae qui connaitra une popularité internationale : Bob Marley and The Wailers. Blackwell est donc le producteur derrière leur premier album Catch a Fire. Il a réussi à adapter le style des Wailers à un auditoire européen en modifiant l’instrumentalisation, tout en conservant les paroles de Bob Marley intactes.

Bob Marley avait la forte conviction de rejoindre le plus grand public possible avec ses paroles. Pour réussir cette mission, il a dû s’associer avec ceux qui avaient les moyens de ses ambitions, c’est-à-dire des Européens ou des Américains qui possédaient beaucoup de moyens financiers. Cette situation peut sembler paradoxale avec les fondations du reggae qui revendiquent l’émancipation des structures coloniales, mais la collaboration était nécessaire pour se faire connaitre à l’extérieur de sa communauté et diffuser son message. Le message de Bob Marley a effectivement été entendu aux quatre coins du monde où sa musique continue de résonner encore à ce jour. Dans les années 70, il fit sa place au sein des artistes les plus populaires de cette époque comme Paul McCartney, Stevie Wonder ou encore The Police. Sa musique était toutefois controversée étant donné son contenu très chargé politiquement.

Dans ses chansons, Marley décrivait le climat de tension extrême qui régnait alors en Jamaïque. Les conflits étaient d’une part causés par la non-représentation de la population Noire au sein du gouvernement et parce que les deux partis politiques en place se faisaient la guerre. C’était en pleine période de la Guerre froide et plusieurs craignaient de voir la Jamaïque se transformer en état socialiste à la cubaine. Bob Marley n’a toutefois jamais pris part au débat politique, il se disait être du côté de Jah et non pas du côté de l’un ou l’autre des partis. À l’aube d’un important concert qui précédait les élections, Marley reçut plusieurs avertissements et menaces, notamment une présumément de la CIA. Le 3 décembre 1976, une bande armée est entrée dans sa maison et a tenté de l’assassiner par balle. Suite à cet événement, Bob Marley a tout de même décidé de faire son concert, puis de s’exiler en Angleterre pour des raisons de sécurité. C’est là qu’il a entrepris l’écriture de ses chansons comme « One Love » et « Could You Be Loved » afin de calmer les tensions. Deux ans plus tard, Bob Marley décida d’organiser le « One Love Peace Concert » où il a réussi à unir les représentants des deux partis par une poignée de main. La chanson « One Love » a d’ailleurs été nommée chanson du millénaire par BBC, mais pour plusieurs Bob Marley représente davantage l’esprit militant et rebelle exprimé dans « Get Up Stand Up ».

L’influence de la musique reggae dans le monde

Il n’est pas exagéré d’affirmer que le monde entier a été influencé par la musique reggae et le mouvement rastafari. Le message militant, rebelle, combiné aux idées spirituelles, et à la vision positive et unificatrice a réussi à toucher des gens sur tous les continents.

En Europe, le pays où l’influence de la musique jamaïcaine a été la plus marquée est l’Angleterre. Les immigrants jamaïcains partageaient les mêmes quartiers que ceux des travailleurs moins favorisés de la société anglaise, et c’est à la même époque que s’est développé un autre mouvement de contre-culture : les skinheads. Alors que pour plusieurs Britanniques, les Jamaïcains n’étaient que des « immigrants noirs », les skinheads les considéraient davantage comme leurs compagnons étant donné qu’ils fréquentaient les mêmes milieux. Les skinheads se reconnaissaient également à travers la musique reggae puisqu’ils partageaient des revendications semblables et le désir de déstabiliser les normes de la société. La chanson « Punky Reggae Party » de Bob Marley a d’ailleurs été accueillie comme un hymne à l’échange entre les deux cultures. D’autres chansons, comme « The Guns Of Brixton » par le groupe punk rock The Clash en lien avec la répression policière, sont reconnues pour avoir grandement été influencées par le reggae. Le mouvement skinhead n’était toutefois pas sans racisme et c’est ce qui a causé une division au sein du mouvement avec une partie associée au néonazisme et à la musique punk violente. L’autre partie du mouvement est demeurée fidèle à la musique jamaïcaine. L’émergence du Dub, genre musical dérivé du reggae, a aussi été très marquante au Royaume Uni dans les années 60. Ce style a grandement influencé la musique électronique britannique, et a donné naissance à la culture du « rave », soit des fêtes gratuites en extérieur ou dans des bâtiments abandonnés. Aussi, plusieurs figures populaires du reggae sont d’origine britannique comme Steel Pulse, Maxi Priest ou encore UB40.

En France, la popularité du reggae a été particulièrement marquée et deux principaux facteurs y ont contribué. D’abord, la longue tradition française d’idées révolutionnaires et des mouvements intellectuels de gauche ont nécessairement eu une influence pour qu’autant de personnes blanches se saisissent du message rastafari. Deuxièmement, puisque la France était une importante puissance coloniale, sa société est grandement marquée par le multiculturalisme. Ainsi, un bon nombre de jeunes franco-africains et caraïbéens se sont reconnus dans le message socio-politico-spirituel de la musique jamaïcaine. Plusieurs immigrants Noirs ont pris part aux idées défendues par le reggae telles que la dénonciation de l’esclavage, la colonisation, l’exclusion et l’oppression. Les idées de Marcus Garvey de panafricanisme sont très présentes dans les paroles du Reggae ce qui a poussé beaucoup de descendants africains à porter leur message.

De l’autre côté de l’Atlantique, les immigrants jamaïcains, alors très nombreux dans les quartiers de New York autour des années 50 et 60, ont grandement influencé la musique rap. Ils ont apporté avec eux le style DJ hérité du reggae et qui a été une des composantes à la base de la musique rap et de la culture hip-hop. Plusieurs parallèles peuvent également être tracés entre la musique reggae et le rap relativement au contexte d’oppression vécu par les habitants Noirs des quartiers défavorisés. Dans les deux cas, la musique servait à dénoncer les injustices sociales auxquelles ils faisaient face.

En Afrique, la mère patrie, le message reggae a aussi trouvé plusieurs oreilles attentives. C’est vers la fin des années 70 que des chansons comme « Africa Unite » et « Zimbabwe » de Bob Marley ont retenti en Afrique. Le reggae est rapidement devenu un symbole pour la jeunesse africaine et plusieurs d’entre eux ont adopté la philosophie rastafari. Des artistes comme Tiken Jah Fakoly et Alpha Blondy ont connu un succès foudroyant en Côte d’Ivoire et qui s’est répandu à travers le globe. Leurs chansons dénoncent les politiques néocoloniales en Afrique, et racontent comment la France et les États-Unis seraient responsables de la pauvreté et de plusieurs conflits en encourageant le trafic d’armes et le pillage des ressources naturelles africaines. Le reggae a aussi porté des voix s’élevant contre la ségrégation en Afrique du Sud lors de l’apartheid notamment avec le chanteur Lucky Duke.

L’impact du reggae fut donc planétaire. En Amérique Latine aussi, son influence a été particulièrement importante pour le développement de la musique samba-reggae au Brésil et du reggaeton à Puerto Rico. La scène était également très développée en Nouvelle-Zélande et Australie. Le reggae a aussi trouvé écho dans plusieurs pays d’Asie dont le Japon particulièrement. À ce jour, rares sont les endroits dans le monde où personne ne connait la musique de la légende Bob Marley. L’apport d’un petit groupe marginal d’une île caraïbéenne a donc été colossal pour la culture que se partage l’humanité aujourd’hui.

Les défis liés à la musique reggae

Les défis liés à la musique reggae représentent l’état de notre monde divisé entre les pays du Nord et du Sud, développés et sous-développés. Même si l’époque coloniale est derrière nous, encore plusieurs structures sont difficiles à changer et elles ont nécessairement un impact sur la diffusion de la culture qui n’appartient pas à une classe dominante.

La Jamaïque est un pays qui déborde de talents et qui a un potentiel économique incroyable. Toutefois, une bonne proportion de ses habitants sont pauvres et n’ont donc pas accès aux ressources nécessaires pour développer leurs idées et les promouvoir. Dans le cas de la musique, plusieurs artistes talentueux n’ont pas les moyens de se payer le studio d’enregistrement, les producteurs de musique, la distribution et la promotion de leurs créations. À partir des années 60, des producteurs intéressés par les profits engendrés par la musique jamaïcaine ont escroqué des artistes avec peu moyens. À l’époque, les contrats n’étaient pas aussi prudents qu’aujourd’hui. Parfois, la paye que recevaient les artistes pour enregistrer une chanson n’était qu’un repas ou une petite compensation financière. Alors que plusieurs artistes ignoraient leurs droits, beaucoup d’abus ont été commis. Il y a beaucoup d’exemples de cas d’exploitation et de violation de droits d’auteurs, mais l’un des plus choquants est celui de la chanson « Rivers of Babylon » enregistrée pour la première fois par le groupe jamaïcain The Melodians en 1970. La chanson a connu un succès international notamment grâce au film The Harder They Come qui en a fait un véritable hit. En 1978, la chanson a été reprise par Boney M. et est devenu l’un des dix titres les plus vendus de tous les temps au Royaume-Uni. Les millions de dollars générés par cette version ont été virés au producteur Frank Farian et pratiquement rien n’a été redonné au groupe jamaïcain. Les droits d’auteurs du groupe The Melodians n’étaient tout simplement pas garantis, seulement des crédits écrits sur le disque ne donnant pas accès à une compensation financière. Aucune instance ne protégeait les artistes jamaïcains comme c’était le cas dans certains pays d’Europe et d’Amérique du Nord. La communauté artistique s’est toutefois conscientisée par rapport à ces abus et ces problèmes sont beaucoup moins répandus aujourd’hui.

Parmi les défis auxquels les artistes jamaïcains sont confrontés on compte l’accès au marché et aux parts de l’industrie musicale. De plus en plus avec la mondialisation et l’uniformisation de la culture, l’industrie du divertissement est largement monopolisée par les grandes corporations occidentales. Le marché pour la musique reggae n’est donc pas uniquement dans les Caraïbes ou en Afrique, mais aussi en Occident. Les artistes essayent alors de s’exporter pour pouvoir se faire connaitre à l’étranger, mais ils font face à un important problème de mobilité. Avec un passeport jamaïcain, il est très difficile d’obtenir les visas nécessaires lors d’une tournée internationale. Il existe donc une différence importante, basée sur la nature de leur passeport, entre un artiste canadien voulant se faire connaitre à l’étranger et un Jamaïcain. De nos jours, les artistes ont toutefois moins à se déplacer puisque la musique est devenue un bien presqu’immatériel pouvant faire le tour du monde grâce à internet et aux réseaux de distribution comme YouTube, iTunes et Spotify. Cela comporte de nombreux avantages, mais pour plusieurs ce n’est qu’un reflet des structures de pouvoir en place puisque ces compagnies sont encore une fois gérées par les États-Unis et l’Europe, qui en tirent des profits énormes comparativement à ce que reçoivent les artistes. Les membres de la communauté reggae revendiquent donc une plus grande place pour les personnes Noires à tous les paliers de l’industrie musicale et une meilleure redistribution des profits.

L’industrie du spectacle est aussi problématique à certains niveaux. Tout l’été, des dizaines de festivals reggae ont lieu en Europe, dont les plus importants sont le Rototom Sunsplash en Espagne, Summerjam en Allemagne, Reggae Sun Ska en France, Uppsala Reggae Festival en Suède, Reggae Geel en Belgique et bien d’autres. Ces festivals sont des lieux ou des dizaines de milliers de personnes se rassemblent pour festoyer et apprécier les prestations de leurs artistes préférés. Ce sont des milieux privilégiés pour diffuser le message rastafari et les revendications de la musique reggae. Il existe toutefois certains paradoxes qui ont été soulevés par plusieurs critiques. Dans ces festivals, on retrouve très souvent un étalage presque artificiel de la culture jamaïcaine avec de la nourriture « ital », des habits traditionnels rasta, des nombreux drapeaux aux couleurs de la Jamaïque et des magasins de souvenirs avec la figure emblématique de l’Empereur Hailé Sélassié I. Toutefois, outre les éléments de leur culture, les Jamaïcains eux-mêmes ne sont pas vraiment représentés et aucune instance décisionnelle ne les implique directement. Ils sont donc majoritairement confinés au rôle de divertissement et cela est perçu par plusieurs comme une forme d’appropriation culturelle. Pour beaucoup de critiques, ces derniers pensent que les Jamaïcains devraient commencer à profiter économiquement de la célébration mondiale de leur identité longuement façonnée par une lutte acharnée, et que le moment est venu de demander des partenariats commerciaux plus équitables pour obtenir de meilleurs avantages économiques pour tous.

Le reggae à l’heure actuelle

Depuis quelques années, un nouveau mouvement s’est formé au sein de la communauté reggae se donnant le titre de « reggae revival ». Ce mouvement est largement porté par les enfants des artistes reggae populaires dans les années 70. À sa tête se trouvent plusieurs artistes de renommée internationale tels que Chronixx fils de Chronicle, Protoje fils de la chanteuse Lorna Bennett ou encore Damian Marley qui porte le nom de son père. Ces artistes ont l’intention de redonner un nouveau souffle à la musique reggae qui s’était un peu essoufflée au tournant du millénaire. La musique est encore largement inspirée par la philosophie de l’Empereur Hailé Sélassié I et les revendications portées par leurs parents sont demeurées sensiblement les mêmes. Il y a toutefois un nouveau mouvement qui appelle à une plus grande équité des genres dans la musique reggae. Les femmes, qui ont joué un rôle plutôt secondaire depuis les débuts de ce genre musical, sont aujourd’hui beaucoup plus visibles et nombreuses qu’avant. On voit donc des artistes populaires masculins donner leur appui au talent de jeunes femmes en partageant leur tribune. C’est le cas notamment de Koffee qui a reçu beaucoup de support de Chronixx, ou encore de Lila Iké et de Sevana qui ont partagé la scène avec Protoje à plusieurs reprises. On voit également plusieurs artistes reggae s’exprimer sur le contenu futile et parfois immoral de la musique pop. À l’époque où le dancehall connait une énorme popularité en Jamaïque, plusieurs s’indignent de la musique jouée par les stations de radio qui, selon eux, corrompt la jeunesse. Les paroles diffusées dans la musique reggae sont encore aujourd’hui majoritairement vouées à diffuser les enseignements rastas d’égalité et de justice sociale, et c’est pourquoi cela entre en conflit avec la musique populaire qui ne défend pas toujours les mêmes valeurs. Les artistes issus du mouvement Revival sont tout autant attachés à leurs racines africaines que l’étaient leurs parents. Plusieurs artistes essaient d’ailleurs de diffuser leur musique en Afrique et y organisent plusieurs concerts, ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres styles musicaux. Aussi, il est aujourd’hui très fréquent de voir des artistes reggae des quatre coins du monde collaborer à différentes chansons et albums. Parmi les artistes reggae non jamaïcains, les plus influents sont Alborosie, Mathisyahu, Groundation, et Rebelution pour en nommer seulement quelques-uns. Par ailleurs, le Grammy Award pour le meilleur album reggae en 2019 a été décerné à l’artiste Jamaïcain Shaggy et le Britannique Sting pour leur album collaboratif 44/876. Le futur du reggae semble donc s’exprimer à travers une plus grande collaboration entre des artistes de différents horizons, avec une plus grande représentation féminine et un message toujours aussi politique.

Conclusion

 Il semble donc que, peu importe les défis et les générations qui passeront, les rastas seront toujours présents pour défendre la parole de l’Empereur Hailé Sélassié I. Cet individu mythique est célèbre entre autres pour son discours aux Nations Unies en 1963, ayant d’ailleurs inspiré la chanson « War » de Bob Marley. Dans son discours il affirme que, jusqu’à ce que les Droits humains fondamentaux soient garantis de manière égale pour tous et ce, sans distinction de race, le continent africain ne connaitra pas la paix et ses descendants continueront de se battre pour faire valoir leurs droits. L’Empereur a d’ailleurs visité le Québec en 1954 et l’Université de Montréal lui a décerné un doctorat honorifique en droit qui a été remis en mains propres par le cardinal Léger. Plusieurs artistes québécois se sont aussi inspirés de la musique jamaïcaine et ont donné naissance au reggae québécois. Parmi ces artistes comptent Claude Dubois, Les Colocs, ou encore le reggaeman innu, Shauit. Il existe également des événements qui mettent en valeur les artistes montréalais issus de la communauté Noire et l’héritage de la musique d’inspiration africaine comme le collectif Kalmunity. Finalement, en dépit des métissages, le reggae s’est toujours exprimé en relation avec ses racines jamaïcaines et son message politiquement engagé. La prochaine fois que vous entendrez du reggae, peu importe sa langue et son origine, vous pourrez penser à son bagage historique et à la manière dont il nous rappelle notre sens de l’humanité.

Biographie

Laurence Choquette Loranger est une étudiante au baccalauréat en Études internationales à l’Université de Montréal, et à l’University of the West Indies en Jamaïque. Elle habite actuellement à Montréal où elle est DJ et organisatrice d’évènements en lien avec la musique reggae.

Bibiographie

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