Institutionnaliser les changements interculturels? Retour sur l’expérience de la Table de la Diversité à Montréal

Par Myrlande Pierre

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  1. Contexte de mise en place de la Table de la Diversité

La Table sur la diversité, l’inclusion et la lutte contre les discriminations est une entité indépendante intellectuellement et entend contribuer à un changement de paradigme afin que l’administration municipale montréalaise puisse assurer l’égalité réelle et la pleine participation de tous les citoyens.

La Table sur la diversité, l’inclusion et la lutte contre les discriminations (ci-après la « Table ») a été créée par la Mairesse Plante le 21 mars 2018 pour bénéficier du regard externe et des propositions d’experts issus de la diversité pour rendre la Ville de Montréal plus inclusive et représentative de la population montréalaise.

La présence de chercheurs, de militants, d’artistes et de professionnels du communautaire, issus de communautés montréalaises diverses a pour objet d’assurer une hétérogénéité des acteurs et de réunir des citoyens d’origines sociales diverses et des représentants de minorités ethniques et religieuses. Elle comprend aussi des représentants d’organisation défendant les droits des personnes en situation de handicap et des personnes LGBT.

La Table a pour mandat de proposer des actions concrètes en vue de contribuer à rendre la Ville de Montréal plus représentative de la diversité montréalaise. Pour ce faire, quatre axes d’intervention prioritaires ont été choisis dans la définition du mandat octroyé.

Le premier axe concerne l’emploi et la formation des employés de la Ville de Montréal aux enjeux de diversité et des communautés autochtones. Le deuxième axe concerne la représentation de la diversité montréalaise dans les espaces administratifs, politiques, citoyens et en art et culture. Le troisième axe consiste en la mise en œuvre des recommandations de la Commission conjointe sur le profilage racial et social adoptées par le comité exécutif. Enfin, le quatrième et dernier axe s’attèle au développement économique et entrepreneurial de la diversité et des communautés autochtones.

L’objectif général visé par la Table est de formuler des propositions susceptibles de conduire à des résultats organisationnels tangibles, mesurables et durables en y définissant des indicateurs de résultats et des cibles à atteindre.

  1. L’égalité réelle et la pleine participation de tous les citoyens passent par la lutte contre les discriminations et le racisme structurels

Dans le domaine des relations interculturelles, la prise en compte de la diversité et la lutte contre les discriminations et le racisme structurels ne peuvent se concrétiser que par l’affirmation d’un leadership fort par les plus hautes instances au sein des organisations. Montréal est la 16e plus grande ville en Amérique du Nord (et la deuxième ville francophone du monde). C’est une métropole cosmopolite reconnue par le Conseil de l’Europe comme « Cité interculturelle ». La diversité est une des caractéristiques de la Ville et une composante intrinsèque de sa vitalité culturelle, sociale et économique.

Le caractère éminemment pluriel de la Ville de Montréal est une dimension constitutive de son identité et de notre art de vivre ensemble. Cette réalité constitue une richesse, une fierté collective mais également un défi d’intégration dans l’ensemble des sphères de la vie municipale en termes d’accessibilité accrue aux services, d’inclusion des personnes, d’équité et d’harmonisation sociale. Il y a là un enjeu important pour l’administration municipale dans l’optique du « Mieux Vivre Ensemble » et d’une citoyenneté commune. Conséquemment, les relations interculturelles se construisent théoriquement sur une dialectique de reconnaissance réciproque des majorités et des minorités. Cette reconnaissance se traduit par la coexistence des particularismes et de la prise en compte de la diversité. L’aménagement du pluralisme sur le plan normatif s’avère une exigence dans un contexte où la présence de la diversité participe aux processus de redéfinition et de reconfiguration des rapports sociaux et des relations interculturelles dans la cité.

L’un des grands défis qui relèvent de l’administration municipale est d’assurer l’égalité réelle et la pleine participation de tous les citoyens au développement culturel, social et économique de Montréal en s’attaquant aux discriminations et au racisme structurels et en assurant une meilleure représentation de cette diversité dans l’appareil administratif et dans les diverses constituantes de la Ville. La Table préconise une approche transversale et horizontale de la diversité en vue de proposer des solutions et des actions à la fois concrètes et pérennes pour l’atteinte de résultats tangibles et mesurables. La reddition de compte et l’imputabilité occupent également une place centrale dans la formulation des actions stratégiques à entreprendre à court, moyen et long terme par l’administration municipale.

À titre d’employeur d’importance et de prestataire de services, la Ville de Montréal se doit d’être exemplaire et de mettre en place des pratiques et des mécanismes qui permettent un accès équitable et sans discrimination avec pour objectif une pleine et entière participation et de réelles possibilités de mobilité sociale.

En septembre 2018, la Table a fait part de ses constats initiaux et émis ses premières recommandations transversales qui transcendent les quatre (4) axes prioritaires et les propositions d’actions plus spécifiques qui en découleront au cours de l’année de son mandat.

  1. Des recommandations pour passer à l’action

Parmi les premières recommandations, la Table a notamment recommandé que l’administration municipale :

  • Procède à la nomination d’un commissaire/inspecteur à la diversité qui serait le « garant » de la diversité et du respect des droits de la personne à la Ville et assurerait le respect, la prise en compte continue et efficace des préoccupations reliées à la diversité, à l’inclusion et à la lutte contre les discriminations et le racisme structurels et ce, en s’assurant d’intégrer une dimension coercitive.
  • Crée une direction exclusive à la diversité, responsable du contrôle et de la surveillance du respect des valeurs de la Ville de Montréal, soit l’inclusion et le respect des droits de la personne, tant dans l’emploi, l’approvisionnement, la prestation et l’accès aux services que dans la mise en œuvre des politiques, plans, actions et programmes des divers services dans ce domaine ainsi que de l’évaluation des résultats à tous ces niveaux. Cette direction inclurait la diversité sociale et le BINAM, mais exclurait les sports pour ne pas diluer la portée de la diversité. Elle veillerait à la transversalité de ces enjeux dans toute l’administration municipale.
  •  Évalue périodique (tous les ans) le Programme d’accès à l’égalité (PAE) de la Ville afin d’assurer sa mise en application optimale et de favoriser une représentativité juste et équitable des groupes désignés en emploi. Une démarche évaluative sur une base annuelle qui se traduirait en engagement organisationnel pour mesurer la portée des actions et en déterminer les limites, les blocages administratifs pour un apprentissage et une amélioration continus visant une portée globale destinée à corriger les dysfonctionnements actuels.

Il ne suffit pas d’observer que la diversité culturelle et ethnoculturelle est une composante de la Ville de Montréal. Il faut s’assurer de la prise en compte effective de cette diversité dans tous les champs et domaines qui relèvent de l’administration municipale. Selon la Table, seule une approche transversale et horizontale peut contribuer à une gestion efficace, durable et intégrée de la diversité.

La Table s’appuie sur les bases qui sont déjà jetées par la Ville de Montréal et à ce titre, rappelons qu’il existe des bases, des déclarations de principe, des chartes telles que :

  • Déclaration de Montréal contre la discrimination raciale (1989)
  • Déclaration de Montréal pour la diversité culturelle et l’inclusion (2004)
  • Charte montréalaise des droits et des responsabilités (2006)
  • Montréal a adhéré à la Coalition internationale des villes unies contre le racisme de l’UNESCO (2006)
  • La Ville fait également partie de la Coalition des municipalités canadiennes contre le racisme et la discrimination.

Ces éléments indiquent bien souvent l’esprit et les valeurs dans lesquels devraient s’inscrire les enjeux d’interculturalité à Montréal. Il est important d’y ajouter des règles pour que les institutions fonctionnent au mieux. La Table est ainsi une occasion pour revenir sur les apprentissages montréalais en matière de diversité et de relations interculturelles, mais elle est également un espace dans lequel les membres apportent une priorisation des recommandations selon les thématiques qui lui ont été confiées. Du point de vue des expériences institutionnelles en matière de diversité et de relations interculturelles, tant sur le plan municipal que provincial, le travail de la Table pourra être repris et inspirer les acteurs pour que les transformations soient effectives et systémiques.

 Biographie

Myrlande Pierre fut nommée, en 2003, représentante régionale de la délégation montréalaise dans le cadre des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques du Gouvernement du Québec. En mars 2018, la mairesse de Montréal lui a assigné la présidence de la Table de concertation sur la diversité, l’inclusion et la lutte contre les discriminations.