La chasse au pétrole extrême. Contre le saccage de l’environnement

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Par Paul Beaucage

«À ma mère, Éléna, avec tout mon amour.»

PB

Même s’il a collaboré à des entreprises résolument commerciales pour le Cirque du Soleil (Love [2006]), ainsi que pour différents réseaux de télévision (Les grands procès ([1993-1995]), Dominic Champagne demeure un artiste pluridisciplinaire engagé qui défend avec passion les causes auxquelles il croit. Cependant, l’engagement de Champagne n’est pas nécessairement garant de la création d’œuvres de qualité, comme en témoigne l’échec critique retentissant du spectacle Paradis perdu (2010), qu’il avait conçu avec l’environnementaliste Jean Lemire. Toutefois, après s’être impliqué à titre de citoyen contestataire, voire de militant écologiste pour s’opposer à l’exploitation du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, Champagne réalise Anticosti : la chasse au pétrole extrême (2014), un documentaire qui, comme son titre le suggère, traite de l’intention actuelle des dirigeants d’une entreprise pétrolière (Pétrolia) et du gouvernement québécois d’exploiter une grande quantité de pétrole de schiste dans l’île d’Anticosti. Sans tergiverser, Dominic Champagne explique au spectateur, dans sa première création cinématographique, que son intérêt pour Anticosti revêt une dimension personnelle essentielle puisque son père – qui occupait alors les fonctions de sous-ministre du tourisme, de la chasse et de la pêche sous le premier gouvernement de Robert Bourassa – lui a appris que son ministère avait fait l’acquisition de cette île hors du commun. En outre, le haut fonctionnaire a souligné à son fils l’importance de s’approprier ce joyau naturel, qui semblait destiné à devenir une richesse pour l’ensemble des Québécois. Par conséquent, devant l’imminence de l’exploration pétrolière et la menace tangible de déprédations commises aux dépens d’un vaste espace enchanteur, Dominic Champagne choisit de créer une œuvre didactique et écologique qui décortique les grands enjeux se rattachant à la quête de «l’or noir» pour le peuple québécois. Évidemment, la démarche de Champagne relève beaucoup de sa subjectivité, mais il a soin de procéder à une recherche adéquate, rigoureuse, afin de démontrer que son parti pris repose sur une solide base scientifique et non pas sur des chimères. Convaincu du caractère fondamental de la cause écologique, le polygraphe ne peut s’empêcher de tracer une double relation de filiation entre son père et lui, ainsi qu’entre lui-même et sa progéniture Jules, en énonçant le souhait d’offrir un environnement sain aux êtres humains d’aujourd’hui et de demain.

Le respect de la nature

En raison de son manque d’expérience cinématographique, Dominic Champagne s’est entouré d’une équipe de collaborateurs créatifs pour réaliser le long métrage. Ainsi, il convient de souligner la participation à son entreprise de la productrice Sylvie Van Brabant et de l’assistant à la réalisation Pierre-Étienne Lessard. Grâce à leur aide, ainsi qu’à celle de différents techniciens, le film ne verse jamais dans l’amateurisme formel, même si le documentariste n’a pas bénéficié d’un budget très substantiel pour le faire. Cela dit, le style qu’adopte Dominic Champagne dans Anticosti : la chasse au pétrole extrême porte pleinement les composantes de sa vision du monde. Dès lors, on ne s’étonnera pas que le cinéaste affirme avec clarté son opposition à l’exploitation du pétrole à Anticosti tout au long de sa narration. Contrairement à de nombreux Québécois qui sont ambivalents par rapport à cette question, Champagne entretient un point de vue écologiste militant qu’il défend avec probité. Selon lui, l’île d’Anticosti mérite totalement d’être considérée comme «la perle du Saint-Laurent» puisque les Anticostiens peuvent goûter son charme exceptionnel pour peu qu’ils s’en donnent la peine. De manière à nous faire comprendre ce que différents résidants d’Anticosti ressentent par rapport à ce territoire insulaire, le documentariste leur donne la parole et leur permet de déclarer leur amour pour l’île qu’ils habitent : à travers des mots simples, mais bien sentis, ces gens nous dévoilent les sentiments d’émerveillement et de liberté que leur inspire une région des plus exquises. Ce faisant, ils nous permettent de prendre conscience des limites d’une forme d’existence, essentiellement basée sur la consommation, que l’on surestime grandement en Amérique du Nord. Dans cette optique, on pourra apprécier le témoignage de John Pineault, un ancien agent de mercatique, qui explique au cinéaste-narrateur comment il a renoncé à un mode de vie matérialiste et mercantile pour aller s’établir à Anticosti. Manifestement, notre homme entretenait des doutes par rapport au style de vie qui était devenu le sien. Aussi, ayant conservé un souvenir des plus précieux de sa présence antérieure à Anticosti, il est retourné là-bas afin d’y vivre et ne l’a jamais regretté.

Une remarquable représentation de la réalité

Sur le plan visuel, Champagne et la directrice de la photographie Katerine Giguère ont utilisé une grammaire très variée afin de représenter adéquatement les dimensions spatiale et temporelle de la narration. Parmi les multiples procédés de style qu’ils ont choisis, il convient de citer ceux de la plongée et du travelling, qui permettent aux deux collaborateurs de garder le spectateur en haleine en dépit d’un propos qui peut se révéler aride. Jamais ne versent-ils dans la monotonie narrative et ils évitent, avec adresse, de se complaire dans le maniérisme. Grâce à un sens du cadrage et de la lumière remarquable, à une opportune alternance de plans larges et de plans serrés, le réalisateur dépeint avec à-propos le caractère foisonnant, voire envoûtant de la nature que l’on retrouve dans l’île d’Anticosti. Dès lors, on pourra apprécier une faune et une flore qui se manifestent sur ce territoire insulaire sans que l’urbanisation ou la pollution industrielle ne dépare les lieux. À l’opposite de cette réalité, Champagne décrit l’aspect fort repoussant des industries gazière et pétrolière, qui contribuent considérablement à dévaster le monde dans lequel nous vivons et à menacer la biosphère. De façon à dépeindre correctement les périls environnementaux se rattachant à l’exploitation des hydrocarbures, le cinéaste intègre à son film des images d’archives télévisuelles saisissantes, qui représentent le déversement de mazout du navire Rio Orinoco sur les côtes d’Anticosti, en 1990, ainsi que la catastrophe du Golfe du Mexique (2010), causée par la plate-forme Deepwater Horizon de British Petroleum, et celle de Lac-Mégantic (2013), causée par l’explosion d’un train de la Montreal, Maine & Atlantic Railway. En l’occurrence, Dominic Champagne n’a pas à se lancer dans des commentaires circonstanciés au sujet des épouvantables désastres dont il est question : le public contemporain apparaît autrement plus conscient des dangers liés au transport pétrolier qu’il ne l’était auparavant. Somme toute, avec l’aide d’une opératrice perspicace, le réalisateur réussit à choisir les images appropriées pour traduire éloquemment la teneur de son propos.

La prépondérance de la narration en voix hors-champ

La bande sonore du film se révèle très élaborée puisqu’elle s’appuie sur une harmonieuse combinaison de dialogues, de bruits ambiants et de musique. En termes syntaxiques, Dominic Champagne utilise très habilement la narration en voix hors-champ dans l’ensemble de son film. De manière précise, il évite d’avoir recours à un style trop littéraire et sait se montrer ironique pour souligner les limites de son cheminement individuel, qui se heurte parfois aux opinions de certains Anticostiens : ceux-ci souhaiteraient améliorer leurs conditions de vie économiques en favorisant l’implantation de l’industrie pétrolière sur l’île. Après un entretien animé avec un de ces insulaires, Gaétan Laprise, Champagne reconnaît, non sans humilité, qu’il a sans doute mal évalué la situation à laquelle il était confronté a priori. Ainsi, n’hésite-t-il pas à s’interroger sur le sens de sa propre démarche, voire à questionner la légitimité de celle-ci à différents moments de la narration. Dans ces circonstances, Champagne s’appuie sur une connaissance scientifique accessible pour se guider et pour éclairer la lanterne du spectateur. Assurément, à la manière d’un Michael Moore, il nous transmet, directement ou indirectement, une grande quantité d’informations, mais il le fait avec cohérence et honnêteté, afin d’instruire le public plutôt que de tenter de le manipuler. À preuve, il suffit de se référer à la brève séquence où l’on explique la technique de fracturation hydraulique par le biais d’un dessin animé très clair. Dans ce cas, Dominic Champagne décrit les choses d’une manière fort probante au spectateur, qui peut alors avoir accès à une connaissance scientifique basale. Subséquemment, le cinéaste évoque la présomption du président de la compagnie Pétrolia, André Proulx, lequel se targue de pouvoir explorer le sous-sol d’Anticosti de manière adéquate, à l’aide d’une méthode «expérimentale» et «efficace». Or, Champagne dément sans ambages cette prétention en faisant entendre le témoignage d’un géologue chevronné, Sylvain Archambault, qui révèle au spectateur que ladite méthode s’avère, à l’instar de tous les processus de ce genre, particulièrement risquée. Par le biais d’une analogie des plus opportunes, Archambault nous souligne que la tristement célèbre catastrophe du Golfe du Mexique, causée par British Petroleum (BP), résultait non pas d’une activité d’exploitation pétrolière ordinaire, mais bien d’une activité d’exploration pétrolière. En conséquence, le propos du scientifique déconstruit la tentative maladroite de manipulation de l’opinion publique d’André Proulx.

Une œuvre nuancée

Par ailleurs, il faut reconnaître que Dominic Champagne a judicieusement choisi les différents témoins qui font des interventions dans Anticosti : la chasse au pétrole extrême. Refusant de se satisfaire d’explications approximatives ou partielles au sujet d’un enjeu aussi important que celui de l’exploitation des hydrocarbures, il a interrogé des spécialistes réputés, aptes à démystifier les discours fallacieux des porte-parole des industries gazière et pétrolière ou de leurs thuriféraires. Parmi ceux-là, on remarquera la présence de scientifiques expérimentés, tant dans le domaine des sciences naturelles (Sylvain Archambault, Marc Durand), que dans celui des sciences humaines (Gilles Gagné, Éric Pinault). Cependant, Champagne n’omet jamais de considérer les opinions des Anticostiens ordinaires, qui sont trop souvent laissés-pour-compte dans le cadre des décisions gouvernementales. Par conséquent, il crée un rapport dialectique enrichissant entre le commun des mortels et les spécialistes. De plus, en tant que narrateur-intervieweur, Champagne pose de bonnes questions aux témoins du film et favorise la pertinence de leurs réponses. Dans cette perspective, on remarquera que le réalisateur évite de proposer au spectateur une réflexion manichéenne, sur le plan écologique, en permettant à des gens favorables à l’exploitation pétrolière de défendre leur point de vue, en toute latitude. Parmi les interventions frappantes de l’œuvre, il importe de citer celles de l’ex-maire anticostien Denis Duteau et de l’économiste des HEC, Pierre-Olivier Pineau, qui appuient l’exploitation du pétrole de schiste à Anticosti parce qu’ils considèrent que cette activité engendrera des retombées économiques appréciables pour les insulaires concernés et pour le gouvernement du Québec. Selon ces témoins, on peut procéder au forage du pétrole non-conventionnel sans mettre en péril la santé de la population anticostienne et sans risquer de commettre des désastres environnementaux. Toutefois, des spécialistes des questions écologiques ne tardent pas à les contredire et à infirmer leur point de vue. En effet, l’ingénieur en géologie Marc Durand nous explique que, pour tirer de l’île une quantité de pétrole qui correspondrait aux attentes des dirigeants de la compagnie Pétrolia, il faudrait qu’on y exploite pas moins de douze mille puits. Dès lors, il apparaît évident que la qualité de vie des Anticostiens se détériorerait considérablement si l’on cherchait à atteindre un tel objectif. Pour sa part, Rosa Galvez, directrice du département de génie civil et de génie des eaux à l’Université Laval, met en lumière les dangers qui se rattachent l’exploration et à l’exploitation du pétrole de schiste dans l’île d’Anticosti. Selon elle, en raison de la morphologie des lieux, de telles activités peuvent aisément entraîner la contamination de plusieurs composantes environnementales de ceux-ci.

L’impact économique réel de l’exploitation du pétrole de schiste

Sur le plan économique, Dominic Champagne nous révèle graduellement, à travers sa narration, pourquoi la volonté de procéder à l’extraction de pétrole de schiste à Anticosti ne constitue pas un objectif adéquat d’un point de vue national ou régional. Certes, il n’y a plus d’employeur sur l’île d’Anticosti qui offre du travail salarié à la population locale depuis quelque temps. Comme le signale pertinemment Gaétan Laprise au cinéaste, suite aux Attentats du 11 septembre 2001, on constate que beaucoup moins de touristes américains que par le passé se rendent dans l’île, pour y effectuer des parties de chasse. Il en résulte que nombre d’insulaires, privés de revenus directement liés à cette activité, ont quitté Anticosti pour se trouver des emplois ailleurs. Cela signifie-t-il pour autant qu’une activité pétrolière intense à Anticosti résoudrait les problèmes socioéconomiques que vivent les îliens ? Absolument pas, puisque dans une telle éventualité, si l’on en croit la quasi-totalité des scientifiques témoignant dans le film de Champagne, il est clair que les Anticostiens connaîtraient des difficultés beaucoup plus sérieuses que celles qu’ils connaissent aujourd’hui. De fait, lorsqu’on extrait du pétrole de schiste de la roche, par fracturation hydraulique, on utilise de nombreux produits chimiques qui sont susceptibles d’affecter la santé des êtres humains, des animaux et des végétaux. De sorte qu’il apparaît incontestable que les éventuels coûts liés à une décontamination des lieux seraient nettement plus élevés que ce que rapporterait aux Anticostiens une activité d’extraction pétrolière, qui aurait inévitablement une durée limitée. Pour ce qui est des hypothétiques emplois liés à l’industrie pétrolière, il faut admettre qu’ils se révèlent généralement beaucoup moins nombreux qu’on le laisse croire, ainsi que le suggère avec lucidité Martine Dugas, une vénérable résidante de «la perle du Saint-Laurent».

La complaisance des gouvernements envers l’industrie pétrolière

On aurait tort de sous-estimer le rôle du domaine politique par rapport à la réalité économique précitée, tant celui-là est étroitement lié à celle-ci. Sur le plan provincial, on remarque que les politiciens gouvernementaux font preuve d’une désolante complaisance envers les représentants de l’industrie du pétrole de schiste. Suite à une recherche digne de mention, Dominic Champagne a intégré à son film des images d’archives nous montrant Pauline Marois, alors chef du Parti québécois et de l’opposition officielle, témoigner de sa réprobation par rapport à l’exploitation, en territoire québécois, du gaz et du pétrole de schiste. Dans un des extraits concernés, la politicienne va jusqu’à affirmer qu’elle s’oppose à ce que le Québec devienne «un état pétrolier». Cependant, après que le Parti québécois ait pris le pouvoir, en septembre 2012, et que Marois soit devenue la première femme à occuper les fonctions de premier ministre du Québec, cette dernière a effectué une sidérante volte-face par rapport à la question pétrolière : en effet, elle s’est dite disposée à adopter «le principe d’indépendance énergétique», lequel s’appuie sur une imposante extraction nationale de «l’or noir». Que s’est-il donc passé pour que Marois manifeste subitement une attitude aussi incohérente ? Assurément, la volonté de bercer d’illusions un certain électorat québécois, en lui faisant miroiter la création de richesses liées aux activités de l’industrie du pétrole n’est pas étrangère à un tel changement de cap.

Si le réalisateur se montre très critique, dans son oeuvre, envers la politique environnementale du PQ, dirigé par Pauline Marois, il ne faudrait pas croire que notre homme ménage celle du Parti libéral du Québec dont Jean Charest a longtemps été le chef (1998-2012). Utilisant finement le procédé de la didascalie, Dominic Champagne nous fait (re)voir des images d’archives télévisuelles dans lesquelles il apparaît personnellement et rappelle sa spectaculaire opposition, ainsi que celle de nombreux habitants de vallée du Saint-Laurent, au forage et à l’exploitation de puits de gaz de schiste qu’on a effectués dans cette région. Évidemment, si la contestation des gens de la vallée du Saint-Laurent n’avait pas été aussi soutenue qu’elle l’a été, jamais le gouvernement Charest n’aurait-il accepté de remettre en question l’exploitation des gaz de schiste. Toutefois, la détermination de ces citoyens engagés, pugnaces, l’a obligé à décréter un moratoire par rapport aux activités de tels puits au Québec. Par ailleurs, Champagne remémore opportunément au spectateur que le gouvernement Charest est celui qui a poussé Hydro-Québec à céder les droits exclusifs de l’exploration et l’exploitation du pétrole dans l’île d’Anticosti à l’entreprise Pétrolia. Ultérieurement, le Parti québécois a pris le pouvoir et a conclu une nouvelle entente, en partenariat, avec cette compagnie. S’il est irréfutable que le pacte que le Parti québécois a ratifié avec Pétrolia est très décevant, il faut reconnaître que l’entente que celle-ci avait signée avec le PLQ était encore pire pour l’ensemble de la population du Québec.

Les modes d’actions des entreprises pétrolières

Afin de donner un aperçu adéquat du système de valeurs qui régit la compagnie Pétrolia, le réalisateur retrace, dans le long métrage, son parcours sociopolitique récent sur le territoire québécois. Ainsi, Champagne rappelle que cette entreprise s’est opposée bec et ongles à ce que l’on rende publique l’entente secrète qu’elle avait signée avec Hydro-Québec, sous l’égide de la ministre Normandeau, concernant le droit d’exploitation du sol et du sous-sol d’Anticosti. En outre, Dominic Champagne ravive à notre mémoire la poursuite-bâillon que des représentants de Pétrolia ont intentée contre le militant écologiste Ugo Lapointe, parce que ce dernier avait osé critiquer la compagnie en affirmant que celle-ci «volait» les ressources naturelles du Québec. D’autre part, le réalisateur n’omet pas d’évoquer le fait que Pétrolia a récemment intenté une poursuite civile contre la ville de Gaspé parce que son conseil municipal a adopté un règlement interdisant l’exploitation de pétrole de schiste sur des terres situées à proximité de sources d’eau potable. En somme, quoi qu’en disent les représentants de cette entreprise, on ne saurait nier que les intérêts de la population du Québec demeurent négligeables, pour eux, par rapport aux intérêts des actionnaires et des dirigeants de Pétrolia.

Cherchant à comparer le type d’extraction de pétrole auquel souhaitent procéder les dirigeants de la compagnie Pétrolia à d’autres formes d’extraction d’hydrocarbures, Dominic Champagne et son fils Jules se sont respectivement rendus dans deux régions nord-américaines réputées pour leur exploitation pétrolière majeure : l’Alberta et le Dakota du Nord. À défaut d’avoir pu filmer ou photographier de très près les installations pétrolières étroitement surveillées de l’Alberta, Dominic Champagne a jaugé certains des effets de la pollution atmosphérique qui sévit à proximité d’un grand puits de forage. De plus, Champagne a pu constater jusqu’à quel point, même si nous vivons dans un pays démocratique, le gouvernement conservateur de Stephen Harper et ses épigones cherchent à contrôler les allées et venues, à proximité de Fort McMurray, de gens qui seraient portés à dénoncer la mainmise de l’industrie pétrolière dans l’Ouest canadien. À cet égard, une séquence nous montrant une agente de sécurité demander au cinéaste de lui présenter ses cartes d’identité apparaît singulièrement significative. N’empêche que Champagne se sentira moins seul, là-bas, lorsqu’il sera témoin d’une manifestation de représentants des peuples autochtones opposés à l’exploitation irresponsable du pétrole dans cette région. Pour sa part, Jules Champagne a recueilli les témoignages de deux opposants à l’exploitation du pétrole de schiste à Williston, dans le Dakota du Nord, qui fustigent les ravages que les installations pétrolières ont causés aux dépens des terres agricoles de la région. Leurs propos confirment ce que Dominic et Jules Champagne soupçonnaient fortement : à savoir, que l’industrie pétrolière profite du lamentable laxisme de certains gouvernements pour imposer ses règles et pour privilégier des particuliers au détriment des collectivités.

Au-delà du documentaire sur l’environnement

Une des grandes qualités d’Anticosti : la chasse au pétrole extrême de Dominic Champagne consiste à concilier, dans une narration polysémique, des composantes de genres cinématographiques apparemment incompatibles. De manière précise, le long métrage de Dominic Champagne constitue un documentaire témoignant des dangers se rattachant à l’exploration et l’exploitation du pétrole de schiste dans l’île d’Anticosti. De façon plus générale, c’est une œuvre qui traite des périls découlant de la quête humaine effrénée des hydrocarbures à travers le monde. Dans une autre optique, c’est une représentation poétique de la vie, au sein d’un domaine où la faune et la flore ont préséance sur la concentration, ainsi que sur l’organisation, des êtres humains. À travers plusieurs de ses éléments, le film de Dominic Champagne constitue un pamphlet dénonçant l’opportunisme des politiciens du Québec et du Canada anglais, qui sont prêts à brader nos ressources naturelles si un tel geste peut favoriser leurs ambitions carriéristes. N’empêche que la perspective pénétrante propre au conte philosophique demeure omniprésente dans la narration de Champagne, puisque celui-ci s’interroge constamment avec finesse au sujet des choix les plus sages que peut faire l’être humain dans le contexte actuel. En d’autres termes, Champagne favorise, pour tout individu, une vie menée en harmonie avec la nature plutôt qu’une existence où les valeurs matérielles se révèlent prépondérantes. Pourtant, Dominic Champagne est un homme indépendant de fortune, qui n’a jamais tourné le dos au succès financier. Certes, il n’est pas exempt de contradictions sur ce plan mais, contrairement à tant d’autres nantis, il a le mérite de mener une lutte sincère pour favoriser la préservation du monde dans lequel il se meut.

Une certaine forme d’utopisme

Par ailleurs, il faut admettre que la dernière partie du film de Dominic Champagne s’avère moins convaincante que les précédentes. Cela s’explique non pas parce que les questions sur lesquelles le réalisateur se penche sont inintéressantes, mais parce qu’il ne parvient pas, cette fois-ci, à les analyser en profondeur. Jouant sur la proximité qui peut exister entre le film fictionnel et le documentaire, Champagne utilise la figure de la répétition métaphorique pour nous signaler que les Québécois, comme d’autres peuples occidentaux, se trouvent actuellement dans une impasse, puisqu’ils s’appuient sur l’exploitation pétrolière pour surmonter les difficultés socioéconomiques auxquelles ils sont confrontés, depuis la crise économique de 2008. D’où, la nécessité, pour eux, de subir une «cure de désintoxication» afin de se libérer de l’emprise de la «drogue» du pétrole. Par le biais d’une scène éminemment fictive à teneur humoristique et symbolique, Dominic Champagne nous montre comment le petit bricoleur, le «patenteux», Gérard Noël lui permet de prendre conscience de l’absurdité de sa «dépendance» envers le pétrole. Dans cet esprit, l’Anticostien Noël fait figure de modèle, de mentor de la narration parce qu’il révèle au cinéaste-narrateur qu’il a réellement réussi à construire seul un écologique tout-terrain en se servant de vieux matériaux inutilisés, qu’il a trouvés aux quatre coins de l’île qu’il habite. En mettant en relief cet exemple, le cinéaste tente de convaincre le spectateur que si chacun d’entre nous s’inspirait de l’inventivité d’un Gérard Noël, on pourrait résoudre les problèmes énergétiques propres au Québec. Malheureusement, quand il nous propose une telle solution, Dominic Champagne omet de considérer le pouvoir concret qu’exercent des groupes de pression opulents et très puissants aux dépens des partis politiques susceptibles de prendre le pouvoir. Pour se convaincre de cette réalité, on n’a qu’à se rappeler jusqu’à quel point l’éclosion de la voiture électrique a été freinée dans le monde en raison du fait que des gouvernements démocratiquement élus – sans compter les autres ! – ont cédé aux pressions des dirigeants des industries du pétrole et de l’automobile, lesquels ne souhaitaient pas qu’un nouveau type de véhicule rivalise avec les voitures fonctionnant grâce au combustible pétrolier. En somme, Champagne pèche un peu par excès d’idéalisme en surestimant le progrès social du monde de demain, toutefois cela n’altère en rien les remarquables qualités de son film…

Il va sans dire que lorsque Dominic Champagne a tourné et monté Anticosti : la chasse au pétrole extrême, il lui était difficile de prédire que le gouvernement libéral de Philippe Couillard remplacerait celui du Parti québécois de Pauline Marois. Pourtant, suite à la victoire du Parti libéral du Québec, lors des élections du 7 avril 2014, on peut affirmer que le long métrage de Champagne se révèle plus pertinent, plus salutaire que jamais pour le public québécois. En effet, même si le nouveau gouvernement n’a pas eu l’occasion d’effectuer un grand nombre de gestes depuis son accession au pouvoir, le premier budget déposé par le ministre des finances libéral, Carlos Leitao, a annoncé des réductions budgétaires majeures dans tous les ministères du Québec (y compris celui de l’environnement, bien sûr), puisque le gouvernement souhaite mordicus réduire une partie importante de son déficit annuel. En outre, on sait que le premier ministre Couillard est favorable à l’expansion du secteur privé dans l’économie québécoise, qu’il appuie le projet d’extraction du pétrole de schiste à Anticosti, qu’il n’est pas hostile à l’exploitation des puits de gaz de schiste en région et qu’il a amorcé la relance du Plan Nord de Jean Charest. Par conséquent, il est indéniable que la protection environnementale ne constitue pas une priorité pour Philippe Couillard et le Parti libéral du Québec. En termes de communication politique, on peut déjà constater que les représentants du PLQ tentent d’opposer le discours de la relance économique à celui de la protection de l’environnement, comme si le succès de celle-là passait nécessairement par un prétendu assouplissement des règles de celle-ci. Dans ces circonstances, il faut souhaiter que de nombreux Québécois verront le film de Dominic Champagne, qu’ils en saisiront pleinement le sens et qu’ils sauront s’opposer, à travers une contestation citoyenne éclairée, aux projets sociopolitiques néfastes du gouvernement Couillard.

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