Après le 4 septembre

Après le 4 septembre

Par Gabriel Gagnon

À la mémoire de Magnus Isacsson, cinéaste généreux et engagé

Près de deux mois après les élections du 4 septembre, la conjoncture politique semble de plus en plus difficile à déchiffrer. Embarrassé par son statut minoritaire, le Parti Québécois (PQ) renie plusieurs promesses contenues dans son programme par peur dʼêtre renvoyé rapidement devant lʼélectorat par lʼaction conjuguée des deux partis dʼopposition. Pourtant, plutôt que de faire face à la musique au moment où lʼopposition est en désarroi, Pauline Marois risque dʼavoir perdu encore plus dʼappuis lorsque le parti libéral sera redevenu une force dʼopposition plus crédible.

En effet, on peut dès maintenant anticiper le retour de Philippe Couillard. Ce personnage ambigu, à lʼambition sans bornes, a su travailler à la fois pour la « démocratique » Arabie Saoudite, et le Comité fédéral de surveillance des activités de renseignements de sécurité, tout en étant, selon la juste expression du Docteur Alain Vadeboncoeur, celui qui, ministre de la Santé « a ouvert la porte au privé, et qui est sorti quand le privé lui a ouvert la porte ». On nʼose imaginer les ravages quʼun tel démagogue, apparemment sans tache, pourrait faire lors dʼune prochaine élection.

Cʼest de ce côté que le PQ est menacé à plus ou moins long terme. Avec son programme de compressions budgétaires à Hydro Québec, dans les commissions scolaires et les agences de santé, la Coalition Avenir Québec (CAQ) ne semble pas devoir faire beaucoup de chemin. Le mouvement étudiant a sans doute un peu contribué aux 6 % de lʼélectorat obtenu par Québec solidaire, affaibli par ailleurs par le vote stratégique pour le PQ de plusieurs de ses sympathisants. Si la désaffection pour le PQ se prolonge, peut-être pourrait-il augmenter ses appuis, surtout à Montréal. À moyen terme, notre avenir politique est donc loin dʼêtre rassurant.

Le mouvement étudiant

Lʼannulation pour un an de lʼaugmentation des frais de scolarité et la promesse dʼun Sommet sur lʼéducation supérieure constituent sans doute une victoire importante pour les étudiants.

Le Sommet que le ministre Pierre Duchesne est en train dʼorganiser sera pour eux un moment de vérité. Alors que la FEUQ et la FECQ acceptent dʼy participer, les associations regroupées dans une ASSÉE issue de la CLASSE hésitent. Lʼanalyse des sommets ayant jalonné lʼhistoire politique du Québec montre que la plupart du temps, ils nʼarrivent quʼà trouver des solutions temporaires à des problèmes dont les gouvernements nʼont pas trouvé la solution. Quelle que soit sa composition, le prochain Sommet pourra difficilement déboucher sur autre chose quʼune augmentation des frais liée à lʼinflation, déjà suggérée par Pauline Marois. Même si lʼéducation gratuite nʼy est pas à lʼhorizon, lʼASSÈE devrait quand même venir y montrer comment, selon elle, elle serait souhaitable et financièrement possible à long terme. Comme lʼa montré lʼan dernier une publicité télévisée de lʼUniversité McGill, tous les diplômés universitaires pourraient être au service de la société, qui les a formés. Lors de lʼarrivée au pouvoir du PQ, en 1976, le député Guy Bisaillon avait même suggéré lʼétablissement dʼun service volontaire permettant aux étudiants dʼeffacer la dette contractée au cours de leurs études.

Quels que soient ses résultats, le prochain Sommet ne pourra évidemment répondre aux principaux défis auxquels les universités font face. Les étudiants ont bien montré que les recteurs, appuyés par les gens dʼaffaires, cherchaient à faire payer par lʼÉtat, qui les refilait ensuite aux étudiants, des dépenses somptuaires ou inutiles que personne ne contrôlait en réalité. Cette dérive découle en bonne partie dʼune directive gouvernementale qui oblige les directions universitaires à confier plus de la moitié des postes de leurs conseils dʼadministration à des membres extérieurs à la communauté, hommes ou femmes dʼaffaires de préférence. Ainsi, à lʼUniversité de Montréal, seulement huit (cinq professeurs, deux étudiants et le recteur) des vingt-quatre membres du Conseil viennent de «la maison». Cette situation anormale ne peut quʼavoir une influence déplorable sur la «gouvernance» des universités, sur lʼorientation générale et le choix de leurs dirigeants. Seule une forme dʼautogestion où un professeur de philosophie, une étudiante en médecine ou un chercheur en astrophysique pourraient avoir autant dʼinfluence quʼun Paul Desmarais, une Monique Leroux ou un André Caillé permettrait dʼenrayer la dérive néo-libérale si bien dénoncée par le sociologue Michel Freitag, aujourdʼhui décédé, dans «Le Naufrage de lʼuniversité» (1995). Pour le recteur Breton de lʼUniversité de Montréal, «le cerveau des étudiants doit correspondre aux besoins des entreprises». Voilà pourquoi les universités sont souvent administrées par des cadres sans aucune expérience de recherche et dʼenseignement. Voilà pourquoi la majorité des enseignements de premier cycle sont confiés à des chargés de cours compétents, mais mal intégrés aux départements universitaires. Voilà pourquoi la recherche commanditée ou orientée lʼemporte sur la recherche libre, ses bénéficiaires devenant de plus en plus beaucoup plus chercheurs quʼenseignants.

Le Sommet prévu ne pouvant quʼeffleurer ces graves problèmes, il pourrait être suivi de la formation dʼune sorte de «Comité des sages» composé par exemple dʼun ancien recteur, dʼun étudiant diplômé et de deux intellectuels ayant réfléchi sur lʼavenir de lʼUniversité. Ses conclusions sauraient sans doute nous montrer comment lʼenseignement universitaire pourrait mieux favoriser ceux et celles qui veulent à la fois élargir le champ des connaissances et servir lʼensemble de la société.

À moins dʼun retour au pouvoir dʼun parti libéral toujours déterminé à imposer une augmentation substantielle des frais de scolarité, le mouvement étudiant ne pourra à lui seul réunir à nouveau la vaste coalition progressiste du printemps dernier. Dans lʼesprit du Manifeste de la CLASSE du 12 juillet, intitulé «Ensemble nous sommes capables de beaucoup» sans doute pourra-t-il quand même sʼallier aux écologistes, aux syndicalistes, aux féministes, aux anarchistes et aux autogestionnaires pour reconstituer ce mouvement plus large et mieux ancré dans le temps, susceptible dʼinspirer aux partis politiques de gauche de nouvelles perspectives pour une émancipation véritable de la société québécoise. La tâche sera ardue, mais elle en vaut la peine.

Gabriel Gagnon

Bibliographie

Freitag, Michel. 1995. Le naufrage de l’université et autres essays d’épistémologie politique. Québec et Paris : Nuit Blanche et La Découverte.

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