LA NUIT
Voici que vient la nuit,
Cette heure propice à l’envol de nos oiseaux d’espoir.
Dans le ciel surpeuplé de songes lumineux,
S’ouvrent les portes de la tendresse sur la route
Interdite de nos amours,
S’ouvrent aussi les fleurs mortes
Pour la résurrection de nos joies d’outre-tombe.
Côte à côte, nous effleurons la tristesse
Des roses engourdies sur leurs tiges.
Dans tes cheveux, la grâce d’un clair de lune
Qui s’attarde et dans tes yeux la mer
Comme une mère qui pleure dans le noir…
Le grillon ne libère plus la dernière note de son chant
Et le vent étouffe sa complainte :
Il y a que la nuit nous attend en silence
Pour confirmer au rêve
Le sens profond de l’extase
Dans l’échancrure de tes lèvres, par où s’échappe
Le premier souffle de mon poème.
***
PASSION
Vainement, je te crée dans la danse astrale
D’une petite étoile
Qui n’est autre qu’un fragment de tes yeux,
Vainement, je cherche dans l’écriture de tes pas
Ton histoire effacée par les vagues de tes larmes.
Quand viendras-tu dans l’alphabet de mon errance,
Quand viendras-tu ressusciter en moi
Ce bonheur qui expire dans l’insouciance du temps?
Quand viendras-tu ?
Je t’aime dans le saignement de l’aube,
Je t’aime dans la tristesse du crépuscule,
Je t’aime dans la mort d’une fleur délaissée
Dans l’abandon de la solitude, ô terre sans écho,
Image de toutes mes déchirures.
Ce soir, j’hésite devant ton corps,
Et si je n’ose étreindre ton image,
C’est que ton haleine est une plainte
Et ton front, une sépulture
Pour mon poème.
Ta bouche, mes lèvres, nos cris…
Te souviens-tu de la semence de nos passions?
Ton sang, mon sang et ce trésor dans tes entrailles…
Te souviens-tu de l’enfantement de nos promesses?
Ton histoire a saccagé nos chimères
Et pourtant, nous nous sommes aimés
Jusque dans la poussière.
Je me suis traîné dans la boue
Pour déposer mille baisers sur tes seins…
Mais aujourd’hui j’hésite:
Ton corps d’argile, ton corps brisé s’effrite
Quand mon souffle l’effleure;
Comment puis-je t’étreindre
Lorsque tu n’es que cendre?
***
JE T’AIME
Une fille passe… Son ombre balbutie
La première tendresse de l’aube.
Une fille passe dans le jardin de mes songes,
Son rire n’est pas rire, mais soleil
Et ses larmes sont rosée sur le feuillage.
Une fille passe dans mon poème
Et sa silhouette est une fontaine d’où jaillit
L’eau pure de ma folie.
Une fille passe dans l’espace avec une chevelure d’algue,
Un corps d’île oubliée, des seins de dune saccagés par le vent
Et la lune dans ses prunelles.
Le balancier de ses hanches poursuit sa danse dans ma mémoire,
Sonnant l’heure douce du désir
Couvé dans la discrétion de la solitude
Que tu es belle!
La nuit se disperse lentement, et le petit oiseau de nos amours
Se confond avec sa première chanson.
Ignorante du temps qui coule entre nos doigts,
La brise sublime un baiser sur tes lèvres
Et glisse dans ta voix dont la senteur de rose nue
M’enivre jusqu’à l’extase.
Ma parole s’effrite, mon souffle devient tangible,
À portée de ta main et mon rêve insomnie.
Je t’aime jusqu’au spectre de tes yeux qui poignardent
Mon sommeil avec l’éternité de leur souffrance…
Je suis la dernière feuille sur ta branche dénudée,
Le dernier cri blessé, la dernière caresse
Avant la hargne de l’hiver, colporteur de cet exil
Qui me ronge jusqu’à l’essence de mon être.
***
RESTE
Ta main dans la mienne est un mystère
Et tes pas dans mes pas une ode à la tendresse.
Qu’ai-je à t’offrir, sinon cette semence d’étoiles
Dans la nuit qui est nôtre?
Je ne suis que poète et dans mon dénuement
Je ne puis donner à mes mots un atome de ta grâce,
Un fragment de ton charme…
Reste avec moi. L’heure s’arrête
Pour que je t’éternise dans mon silence,
Que tu me divinises dans ton souffle…
Quand l’aube prendra naissance
A l’autre bout de l’infini,
Je dresserai pour ton cœur un obélisque
Avec des cristaux de poésie.
Reste. Si tu pars, qui guérira ma blessure,
Accueillera ma peine ?
Tes yeux sont un élixir à ma détresse ;
Ton nom, un doux cantique que je psalmodie
À chaque saison de solitude
Et ton ombre, un mystère dont je porterai
Le sens dans l’autre temps,
Là où même les fleurs ont une âme…
Immortelle.
***
SAISON DE MÉLANCOLIE
Au seuil de la triste saison, la plainte du vent
Comme une égratignure…
La mer pleure et la terre est un cimetière
Où les feuilles mortes d’automne
Jouent à la marelle avec le rêve des demoiselles.
Dans les rues désertes, s’évapore l’espoir
Des veilleurs sans lendemain.
La danse muette des pas blasés d’un clochard,
Le ballet des pas perdus, la valse de tous les pas,
Pas des voyageurs tristes, pas des adolescents,
S’épuisent dans le vide.
Le temps décline doucement,
Se mue en cœur froissé de femme dans les mains
D’un ivrogne.
Comme une larme silencieuse, glisse dans la pierre
L’eau mystérieuse et tranquille d’une source
Qui chuchote l’exil dans mon poème.
Il fait un temps d’ennui, de peine et de chagrin :
C’est la saison de la mélancolie qui enfante l’angoisse
Jusque dans le silence des nuages qui larmoient…
***
SOUVIENS-TOI
Souviens-toi de nos ombres allongées face à la mer,
De la cavale du vent dans les arbres.
Le soleil en partance étirait nos gestes à l’horizon
Et nos rires enflammaient le rivage.
Nos yeux trahissaient l’ardeur de nos passions
Et nous cachions dans nos baisers
Des lambeaux de crépuscule.
Les vagues bruissaient, des étoiles de mer jonchaient
L’allée secrète de nos marches langoureuses
Et nos rêves nocturnes erraient dans la langueur
Des nuages roses.
Nous parlions à voix basse pour ne pas effrayer les oiseaux,
La musique de nos mots se mêlait à la cantate des vagues…
Souviens-toi…
Puis, nous nous sommes vêtus de la lumière
Qui embrase l’océan avant d’allumer les étoiles
Pour une nuit constellée de tendresse.
***
NE FERME PAS LES YEUX
Ne ferme pas les yeux, étoile parmi les étoiles
Ne ferme pas les yeux, les nuages s’attristent tant
Au départ de ton ombre!
Ton souffle est la clarté qui tire le jour
De sa léthargie
Et tes mains, pleines de désir
Inventent le rire des fleurs.
Ne ferme pas tes yeux qui jamais ne se lassent
De chercher le sourire d’un ange
Dans le miroir d’une fontaine…
Ne ferme pas les yeux, le monde de mes rêves
Disparaîtrait dans l’exode de la lumière
Et le tumulte de l’océan.
***
UN HOMME DANS LA NUIT
On assassine un homme dans la nuit…
Un oiseau pleure sur un arbre et la lune s’éloigne
Dans le mutisme des nuages.
La souffrance pioche dans ma poésie : un innocent muet
S’envole de ma mémoire comme une aile brisée.
Ma solitude a franchi le seuil du néant,
Arides sont mes mots; aveugles, mes soupirs;
Inertes, mes mains, pourtant qui édifient l’espoir
Dans l’image illusoire de mes mots.
Un fantôme s’évapore de mes songes
Comme le pollen dans l’espace,
Un homme qui n’est plus fut ce qu’il ne sera jamais
Dans cette infinitude qui échappe à ma raison.
On assassine un homme pour avorter le rêve,
Mais le rêve est ce monde qui se soustrait à la mort,
Et la liberté, cette fleur qui échappe à la blessure.
Un homme est mort dans la nuit
Et son rêve,
Citadelle de toutes mes aubes,
Aube de toutes mes certitudes
Habite mon poème.
***
JE T’AI CHERCHÉE
Je t’ai cherchée dans ce paysage d’échardes
Et de solitude pour combler le vide de mes joies,
Je t’ai cherchée dans les saisons de la tendresse
Pour effacer ma peine,
Je t’ai cherchée dans le miroir de l’aube
Pour te confier ma blessure…
Je n’ai trouvé qu’un fantôme qui pleure sur la margelle
D’un puits abandonné…
Je n’ai plus de berceau, mon île est un mirage…
***
SEUL AVEC TOI
Sur un banc avec toi, je regarde la langueur
D’un vol d’hirondelles fatiguées
Dans la violence d’un soleil de fin de jour.
Au loin, bien loin, très loin, s’évaporent les toits
Dans le reflet liquide de la lumière.
La ville veille comme un rêveur sur ton souffle,
Puis effleure mon silence.
L’errance d’un regard sous une fenêtre déshabille
La solitude. Une envolée d’abeilles
Jaillit de tes paupières en quête de pollen,
Tu les laisses frôler la lumière,
Et dans l’eau criblée d’étincelles,
Glisse ce qui reste de la clarté du crépuscule.
Je ne dis pas un mot.
Mes yeux sont une histoire vide,
Des souvenirs défunts gisent dans ma mémoire.
La fièvre de ta chanson atteint jusqu’à mon âme
Qui pleure à tes pieds, femme, floraison de mes chimères.
Sur un banc avec toi, j’évoque la tendresse,
Mes doigts incrustés dans les méandres de ta chair
Écrivent la nostalgie en pierre d’exil,
En lettres de tristesse.
Comment te dire que ma vie n’est vie
Que par ta vie ?
Avec quel langage t’expliquer que mon amour
Est déraison et mon espoir, folie ?
Le jour flétri s’épuise jusqu’à enterrer la virginité
Des roses… je ne vois pas passer le temps.
Seule, tu existes, sur un banc avec moi,
Voix intérieure de mes errances,
Saison de mes aubes nouvelles
Qui ressuscite mes espérances en cendre
Et mes joies en guenilles.
Yves Patrick Augustin, né à Port-au-Prince, immigre au Canada en 2003. En 2006, il publie son premier recueil de poèmes, Mots intimes, chez les presses Agrumes. Montréal en poésie, son deuxième recueil, est paru à l’automne 2008. Son écriture est ancrée dans la mémoire et se conjugue entre silence et tendresse, nostalgie et déraison. Il est le lauréat du concours « Grand Prix international de poésie Écritout 2008 ».