Vietnamiens de Montréal

w1congdong4Selon l’annuaire téléphonique de 2003-2004, 60 % des noms de familles vietnamiens sont regroupés à Bossard (Dorais 2007, p. 4). Le tiers des Viétos-Montréalais se concentrent dans le quartier de Côte-des-Neiges (Dorais 2007, p. 31) et les autres s’éparpillent un peu partout sur l’île et à Laval. C’est à Côte-des-Neiges que se trouve le siège de la Communauté vietnamienne de Montréal. C’est aussi dans ce quartier que se regroupent la plupart des activités des Vietnamiens : commerces spécialisés, associations ethniques, services sociaux adaptés, lieux de cultes (pagodes), épiceries, restaurants, professions de la santé (pharmacie, optométrie, dentiste, cabinets de médecin familial).

La très grande majorité des Vietnamiens de Montréal sont de l’ethnie Kinh. Les Vietnamo-Hoa (un parent vietnamien et un parent chinois à l’étranger) en composent 15 % de l’ensemble. Il y a en a qui s’identifient sino-vietnamiens, c’est-à-dire qu’ils ont de la parenté à Hong Kong ou dans la Chine continentale (Dorai 2007, p. 74). Il y a aussi des Vietnamo-cambodgiens, Thai et Cham, mais ils sont peu nombreux.

Selon un sondage réalisé mené de novembre 2002 à avril 2003 dans le cadre des recherches sur l’intégration des communautés ethniques de Montréal, les Vietnamiens, surtout les jeunes, sont satisfaits de leurs conditions de vie malgré quelques facteurs irritants du climat québécois (hiver, glace, neige, basse température). Montréal leur offre de la sécurité, des perspectives d’emploi et une vie sociale dynamique et intéressante. La ville comprend de nombreuses associations vietnamiennes : culturelles et religieuses, de personnes âgées, des jeunes et des étudiantes, de professionnels, etc. Ces associations ont pour fonction principale d’aider les Vietnamiens à s’intégrer dans la société de Montréal tout en conservant des liens avec le Vietnam et à préserver leur identité culturelle.

Il est intéressant de s’arrêter un moment sur l’identité culturelle des Vietnamiens de Montréal. Diverses recherches ont démontré que les Vietnamiens s’intègrent bien dans la société qui les accueille. Cependant, intégration ne signifie pas assimilation. Il est tout à fait possible pour ces immigrés d’être de bons Canadiens/Québécois tout en étant très conformément Vietnamiens. À l’école ou au travail, les Vietnamiens parlent le français et/ou l’anglais. À la maison, ils parlent en vietnamien. Dans la famille, les enfants s’adressent en vietnamiens avec les parents, les grands-parents, les oncles et les tantes, mais s’échangent en français ou en anglais entre frères et sœurs, cousins et cousines. Pour les jeunes, inter changer les langues d’usage est un moyen de passer d’une identité culturelle à une autre pour exprimer leur identité mixe.

La langue vietnamienne

Pour beaucoup de Vietnamiens, la langue maternelle représente le véhicule le plus privilégié de la culture et de l’identité vietnamienne (Méthot 1995, p. 142). Lam, 19 ans, est arrivé au Québec à 7 ans. Pour lui, il désire plus que tout que ses enfants—quand il en aura—sachent parler vietnamien « pour que la langue ne se perd pas ». En même temps, il sait que c’est un souhait difficile, mais que ce serait « bien dommageable » de perdre sa langue culturelle. Quan, 24 ans, est arrivé au Québec à 8 ans. Il considère qu’il est « essentiel » de garder sa langue maternelle et qu’ « il n’était pas question » qu’il la perde (Méthot 1995, p. 144).

Afin de ne pas perdre la langue, les jeunes comme Lam et Quan vont prendre des cours de vietnamien, qui se donne à la pagode ou à la paroisse communautaire. Pour eux, ne pas perdre la langue est une satisfaction personnelle qu’il faut compléter (Méthot, p. 143). Plus que le besoin de savoir lire ou écrire, la langue représente surtout une façon de conserver la culture vietnamienne pour « la conserver, la transmettre à ses enfants ou se la réapproprier » (Méthot 1995, p. 144).

En 2012, il y a trois principales écoles de vietnamien à Montréal : Trung Tâm Văn Hóa Hồng Ðức (localisé au cégep Mariannapolis dans le quartier de Westmount), l’école Lạc Việt (avec deux branches à Côte-des-Neiges et à St-Michel) et l’école Lớp Việt Ngữ Ðắc Lộ (situé dans le sous-sol de la paroisse vietnamienne les Saints-Martyrs-du-Vietnam, sur la rue Bélanger). En plus de ces trois écoles, les pagodes offrent aussi des cours de vietnamiens. Le nombre d’élèves varie entre 100 et 220. Bien que Lớp Việt Ngữ Ðắc Lộ et les pagodes soient des écoles dans un milieu religieux (catholique et bouddhiste), elles accueillent même les écoliers indépendamment de leurs croyances. Lớp Việt Ngữ Ðắc Lộ (école de vietnamien d’Alexandre de Rhodes) est fréquentée par des écoliers catholiques, mais aussi un nombre d’entre eux sont d’autres croyances religieuses.

La conversation en vietnamien

Chez les jeunes, lorsqu’ils conversent entre eux, ils passent du français/anglais au vietnamien dépendamment des sujets et des thèmes d’échange. Le français/anglais est favorisé pour les conversations familières. Lorsqu’ils veulent parler de sujets sérieux, ils changent en vietnamien. Voici comment Quan témoigne son usage du français et du vietnamien :

« Avec ma copine [vietnamienne], on parle quasiment toujours en français, c’est plus facile, la communication. On parle vietnamien quand on veut rendre plus sérieuse la conversation. » (Méthot 1995, p. 141)

Bao, 18 ans, appui les propos de Quan :

« Quand on jase entre copains [vietnamiens], c’est mieux de parler en français, je trouve. Parce que quand vous utilisez les mots vietnamiens, c’est très lourd, pis… il faut que vous pensiez d’une autre façon dans ce temps-là. » (Méthot 1995, p. 141)

Pour d’autres jeunes, comme Mai (19 ans, arrivée au Québec à 7 ans), la langue représente un outil pour affirmer sa particularité culturelle :

« Je pense que c’est important de garder sa langue parce que… il faut toujours se souvenir de sa culture d’origine sinon on n’a plus de racine, pis on se sent comme coupés de la société… ont est perdus, on ne sait plus à qui appartenir, à quel groupe appartenir. » (Méthot 1995, p. 144)

Vi voit la langue comme une identité à honorer :

« La langue, c’est une fierté pour moi. Je me sens bien dans ma peau. » (Méthot 1995, p. 144)

La fierté est souvent évoquée pour désigner les valeurs vietnamiennes. Les Vietnamiens sont fiers de leurs valeurs culturelles. En même temps, ils reconnaissent l’importance et de s’adapter dans leur milieu de vie (Dorais 2007, p. 207). Pour jouer sur les compromis, ils adaptent leurs valeurs culturelles à celles du Québec afin de mieux y vivre.

Les valeurs

Dans le sondage de 2006, lorsque que questionnés sur les valeurs vietnamiennes qu’ils considèrent les plus importants, les répondant classaient la famille au premier rang, la persévérance et l’ardeur au travail au deuxième rang et une certaine réserve mêlée de fierté au troisième rang (Dorais 2007, p. 207). La réserve (discrétion, retenue) est souvent mésinterprétée pour de la timidité (manque d’aisance et d’audace dans les rapports sociaux) par les Québécois. Les journaux canadiens et français décrivent les Vietnamiens comme « nouvelle une sorte de Chinois qui parle[nt] français », « fluets, discrets, voire même silencieux et aussi visibles qu’un ‘spectre’ des gens soigneux, calmes » (Blanc 2006, p. 132-133).

Malgré leur réserve, les Vietnamiens apprécient beaucoup l’ouverture d’esprit des Québécois et des Montréalais. Ils aimeraient aussi pouvoir s’exprimer avec autant de liberté et de franchise que les Québécois. Dans la culture vietnamienne, le silence est plus éloquent que la parole pour exprimer ses idées. Par exemple, dans la famille vietnamienne, les parents et les enfants n’expriment pas ouvertement leurs sentiments comme font les Québécois. Moins les membres de la famille se parlent, plus ils s’aiment.

La famille

Le sens de la famille est particulièrement développé chez les Vietnamiens (Méthot, p. 146). Les valeurs familiales sont définies comme le respect des aînés, le culte des ancêtres et le sens de l’honneur ou respect des autres. Le sens de la famille est très fort et où les membres se tissent des liens de solidarité entre eux. Selon Le Huu Khoa, lors que la « solidarité familiale » est évoquée, elle renvoie à l’image « [du] frère doit protéger son petit frère, [du] père doit assurer l’avenir des enfants, [des] parents continuent à aider les enfants même après leur mariage et [des] enfants doivent assurer leurs devoirs de prise en charge des parents âgés » (Méthot 1995, p. 146). Même si les jeunes d’aujourd’hui trouvent le respect familial définit par Le Huu Khoa extrêmement lourd à porter, le font quand aussi (Dorais 2008, p. 216). Heureusement pour eux, ils sont récompensés une fois par année pour respecter pour ses aînés. Lors du Tet, après avoir présenté leurs souhaits de santé et de longévité à leurs parents, grands-parents, oncles et tantes, ils sont gratifiés d’une enveloppe rouge, qui contient des billets neufs de 20 $, 50 $, 100 $ ou plus pour la chance de la nouvelle année.

La famille peut désigner ses parents, ses frères et ses sœurs, ses grands-parents, ses oncles et ses tantes ainsi que les cousins et les cousines. Elle peut aussi désigner la famille de la communauté. Les membres d’une communauté entretiennent mutuellement des liens de solidarité familiale, mais sans pour autant partager des liens de sang.

Le sens de la famille s’étire aussi par-dessus les océans. Peu de Vietnamiens n’entretiennent pas des liens avec la famille qui réside encore au Vietnam. Ils envoient souvent de l’argent à la famille au Vietnam lors de l’occasion du Tet. Cet argent est un souhait de Nouvel An, mais aussi une aide pécuniaire très appréciée. Les Vietnamiens reviennent souvent au Vietnam pour revoir la famille. Pour certains, le séjour peut être un voyage d’agrément. Pour d’autres, il représente avant tout un devoir filial.

Il est important de retenir que séjourner au Vietnam ne signifie pas y rester vivre. Le séjour peut être fait dans le cadre des vacances, d’un travail ou d’un stage d’étude (Dorais 2007, p. 209). Cependant, peu de Vietnamiens, si pas aucun, ne veulent retourner y vivre. À Montréal, comme à Québec ou ailleurs, les conditions économiques, l’accès à l’éducation, aux soins et aux services sociaux sont supérieurs à ceux du Vietnam. De plus, ils ont le droit d’exprimer ouvertement leurs opinions sans se faire arrêter par a police ou emprisonner. Pour toutes ces avantages, l’insupportant climat glacial québécois est supportable! Lorsque demandés quelles conditions les amèneraient à retourner vivre au Vietnam, ils répondent que si le régime change, ils reviendraient (Dorais 2007, p. 210). En même temps que les Vietnamiens à l’étranger sont contre le régime communiste, ils éprouvent des sentiments de solidarité très pour les Vietnamiens dans le pays qui le vivent.

L’éducation

Outre l’attachement de solidarité pour la famille proche, la famille communautaire et la famille culturelle, les études sont aussi valorisées chez les Vietnamiens à Montréal. Les études et de la réussite scolaire sont aussi des valeurs familiales importantes. La très grande majorité des familles vietnamiennes immigrées dans la ville ont quitté le Vietnam dans des conditions catastrophiques (boat people). Ils ont tous laissé, ou presque, derrière eux.

Pour ces familles, l’éducation est une garantie pour améliorer leur sort de vie. La réussite des études signifie élévation sociale, intégration et respectabilité. Bien souvent, les parents poussent fortement les enfants à fournir des efforts considérables dans les études, car « l’honneur de la famille repose sur la réussie des enfants » (Méthot 1995, p. 158). Cette valorisation du succès scolaire et vénération du diplôme sont des héritages culturels depuis la ‘confucianisation’ du pays au 15e siècle. Quan, 24 ans et arrivé au Québec à 8 ans, témoigne :

« Dans ma famille, les études c’est la première chose qui est importance. Pour les parents, la chose la plus importante c’est que leurs enfants réussissent leurs études. » (Méthot 1995, p. 120)

Ils consacrent seulement plus de temps et d’effort dans les études, car ils croient que la réussite sociale est infusée dans le diplôme. Par conséquent, ils se mettent de la pression sur eux-mêmes, en plus de se faire mettre de la pression par leurs parents, par l’entourage et même par la communauté.

« Il faut avoir une certaine performance. C’est très exigeant. C’est beaucoup de pression… je vous dis franchement, être Vietnamien, c’est tought, parce que tu as beaucoup de pression de la société vietnamienne […] ils t’en demandent beaucoup, là » (Méthot 1995, p. 125-126)

Poussés par les parents à la maison et stéréotypés par ses pairs et par ses professeurs à l’école, l’élève vietnamien trouve parfois très lourd que tous les espoirs de sa famille repose sur son cartable (Méthot 1995, p. 159). [Suggestion de lecture: « L’élève vietnamien« , le stéréotype du bon élève.]

Encore une fois, l’éducation est non seulement une valeur sociale, mais aussi une valeur familiale. La famille reste la première importance, qu’elle soit ici ou au Vietnam. Cependant, malgré l’attachement avec la famille au Vietnam, les immigrants vietnamiens ne veulent pas retourner vivre au Vietnam pour être plus près de leur famille.

Retourner vivre au Vietnam?

– Voulez-vous retourner vivre au Vietnam?

– Non.

C’est la réponse que vous risquez de recevoir si vous posiez cette question à un Vietnamien de Montréal. Pour la très grande majorité des Vietnamiens, si pas la totalité, Montréal offre de trop bonnes conditions de vie pour vouloir revenir au Vietnam. Le Vietnam ne donne pas d’accès à une éducation élevée, des bons services sociaux et médicaux, des perspectives d’emploi intéressant, etc. Les Vietnamiens acceptent d’aller au Vietnam pour un cours séjour : vacances, visite de la famille, travail, études et stages. Ces séjours se font souvent pour entretenir les liens familiaux culturels. Cependant, il n’est pas question de revenir y vivre indéfiniment. Quelques personnes voudront y retourner, mais dans la condition que le régime ne change (Dorais 2007, p. 210). Quel que soit le délais de séjour, ils éprouvent toujours le désir de pouvoir revenir au pays.

Ces liens familiaux et culturels s’entretiennent aussi à partir de Montréal. À chaque année, lors de l’arrivée du Tet, les Vietnamiens envoient souvent de l’argent à leur famille au Vietnam. Durant l’année, c’est surtout par courriel, par téléphone et par la poste (plus rarement aujourd’hui sauf pour envoyer et recevoir des colis) que les échanges se font. À tous les fins de semaine, ils allument la radio de Radio-Canada, à la station 103.3 FM. C’est la radio en vietnamien à Montréal. Autrement, il existe aussi des nombreux journaux,  magazines et revues en langue vietnamienne (Thoi Bao, Saigon Ngo, etc.) pour se tenir au courant de ce qui se passe au Vietnam et dans les communautés vietnamiennes du monde. Les Vietnamiens ont aussi accès à la télévision en vietnamien. Les plus connues sont SBTN, Viet Face, VOA, RAF, situées au Canada et aux États-Unis. Ces télévisions sont accessibles à Montréal grâce à un abonnement par antenne ou par câble. À Montréal, les immigrants vietnamiens sont certes Montréalais, mais sont aussi Vietnamiens grâce à l’accès de tous ces produits culturels, qui leur permettent d’entretenir leur identité culturelle.

Finalement, vous êtes quoi?

« Finalement, vous êtes quoi? Canadien, Québécois ou Vietnamiens? » Posez cette question à un Vietnamien dans la rue et vous avez de grande chance d’obtenir une réponse mixe. Les Vietnamiens ne se donnent pas une identité exclusive. Un Vietnamien vous répondra « je suis un Vietnamien en exil dans un pays étranger », « je suis à la fois Vietnamien et Québécois », « je suis un Canadien/Québécois de culture vietnamienne » ou « je suis Québécois, mais mes racines, ou une partie d’entre elles, sont vietnamiennes » (Dorais 2007, p. 214). Ce sont des réponses qui reflètent étrangement l’étymologie de leur dénomination de Việt kiều ou de người Việt ở hải ngòai, qui signifient tous les deux « Vietnamien à l’étranger ». Le sens même de ces deux dénominations contient un refus d’assimilation totale et une volonté de préserver des éléments incontournables de la culture vietnamienne.

Document « Portraits démographiques: coup d’oeil sur les immigrants nés au Vietnam » de la Division des affaires économiques et institutionnelles de la Ville de Monétral, Mai 2010.

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Bibliographie

BLANC, Marie-Ève (2006). « La difficulté d’échapper à sa ‘bonne réputation’ : l’immigrant vietnamien dans la presse en France et au Canada », Transtext(e)s Transcultures 跨文本跨文化, vol 1, pp. 123-137.

DORAIS, Louis-Jacques et Éric Bourchard (2007). Les Vietnamiens de Montréal, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 235 pages.

METHOT, Caroline (1995). Du Viet-Nam au Québec : la valse des identités, Québec, Institut québécoise de recherche sur la culture, Coll. « Edmond-de-Nevers », n° 13, 224 pages.

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