Langue

L’influence chinoise

Bien avant l’arrivée des Français au Vietnam, et surtout, bien avant la création de l’Indochine française, l’Annam était un pays au passé glorieux s’étant déjà élevé à un assez haut degré de culture morale et littéraire. En s’étendant vers le Sud pour peupler le Vietnam, les Chinois avaient formé, en fusionnant progressivement avec les habitants aborigènes, le peuple annamite auquel ils avaient donné généreusement toute leur civilisation et l’instruisant sans restriction dans ses arts, ses mœurs, sa littérature et ses doctrines philosophiques.[1] L’expansion pacifique et progressive de la Chine constitua un lien si résistant entre les deux nations que les Français crurent pendant de nombreuses années que leurs enseignements ne pourraient jamais vraiment pénétrer l’Asie, et les mœurs d’un peuple dont les esprits étaient pétris par la plus vieille civilisation du monde.

Au moment de la colonisation française, le système d’enseignement chinois était toujours, plus de 1000 ans plus tard, en place en Annam. On n’y étudiait pas les sciences, mais les concours mandarinaux basés sur la littérature convenaient très bien au peuple annamite, studieux et avide de savoir.

L’enseignement colonial

Au début, les Français laissaient les Annamites étudier le chinois comme auparavant, et on n’enseignait le français qu’à un petit nombre de colonisés afin de former des scribes qui pourraient occuper de petits postes dans l’administration coloniale. À cette époque, les Français étaient d’avis qu’il ne fallait pas intégrer les sciences au programme des écoles franco-annamites qu’ils avaient ouvertes, mais de nombreux ouvrages européens avaient déjà été traduits en chinois, si bien que le peuple annamite avait déjà pu acquérir de bonnes notions générales sur la géographie, la biologie et l’art.

Le quốc ngữ

Craignant que les Vietnamiens ne s’instruisent sans la France, mais surtout, conte elle, les colonisateurs firent un effort non-négligeable et constant dans la création et la propagation d’un enseignement Indochinois. Pour ce faire, ils eurent recours à un instrument particulier : le quốc ngữ.

Le quốc ngữ, « écriture de la langue nationale », fut développé par des jésuites portugais en mission d’évangélisation qui, dès 1527, utilisèrent l’alphabet latin pour coucher sur papier la langue locale. C’est le jésuite né à Avignon, Alexandre de Rhodes (1591-1660), qui a compilé, amélioré et systématisé les systèmes de transcription de ses prédécesseurs missionnaires, notamment Francisco de Pina, entre 1624 et 1644. Cette transcription, rapidement devenue très populaire, acquit le statut d’orthographe officiel de la langue en 1918 dans le système scolaire français destiné aux indigènes sous la pression des colons français.

De cette façon, les colons Français espéraient parvenir à déraciner les mouvements indépendantistes liés à l’intelligentsia qui écrivait toujours en caractères chinois, et à obtenir rapidement des interprètes, qui agiraient comme relais de l’action des colonisateurs. Il était plus facile de former des fonctionnaires utilisant le quốc ngữ que l’écriture chinoise. Les Français créèrent aussi un enseignement communal partout en Annam, enseignement dispensé non plus en français, mais en quốc ngữ, afin de permettre le développement de la scolarisation des masses. En 1907, le gouverneur général de l’Indochine Paul Beau, fonda l’Université Indochinoise, où l’on ajouta les sciences, la médecine, la pharmacie, le commerce, les finances, le droit et l’administration au programme, dans le but de former des cadres administratifs et de combattre le nationalisme.

Ce que les Français n’avaient pas prévu, c’est que le quốc ngữ devint éventuellement la langue nationale vietnamienne, ainsi que l’instrument de diffusion de la littérature nationaliste.  La publication de périodiques et de livres en langue nationale constitua un aspect notable et un support considérable pour la vie intellectuelle indochinoise Tonkin et de l’Annam. Plus simple que l’écriture vietnamienne traditionnelle, qui nécessitait un apprentissage préalable du chinois, il devint un outil de communication et de démocratisation de l’éducation, ainsi qu’un facteur d’unification culturelle nationale, alors qu’il n’était à la base qu’un instrument de pénétration et de contrôle étranger.

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