La renaissance du fait chinois au Laos


Le Laos est un carrefour au cœur de l’Asie du Sud-Est. Pays, multi-frontalier, il assiste depuis peu à la renaissance du fait chinois qui est une composante de son histoire nationale. Le Laos a toujours connu des échanges avec son imposant voisin chinois. Si contrairement au Vietnam, le Laos n’a jamais été colonisé par la Chine, il n’en fut pas moins un « État tampon ». Aujourd’hui encore, il sert de zone de passage, intermédiaire avec le reste de l’Asie du Sud-Est dans l’ambition chinoise de colonisation du Sud.

Le Laos a connu par le passé deux types de présence chinoise :

Au nord du Laos : cela se fait par une influence directe via les zones frontalières entre les deux pays. Ici il y a donc moins d’implantation durable de chinois, il s’agit plus d’un système de flux transfrontaliers. Mais on assiste depuis les années 1990 à une nouvelle pénétration économique chinoise dans cette zone. Le Yunnan a établi de nombreux réseaux d’échanges avec les zones frontalières du Laos, dont une large part demeure illicite.


Au Sud du Laos : après les vagues migratoires du XXe siècle, des chinois attirés par le développement du Laos colonisé, les villes du centre et du Sud Laos ont été le théâtre de l’expansion de la population chinoise. Le flux s’est alors intensifié dans les années 1950, faisant de la communauté chinoise un acteur majeur de la vie économique du pays. La communauté a pu s’implanter facilement, car son activité rentable économiquement était appréciée par les colonisateurs français.


Lors de l’indépendance, les chinois ont su retrouver cette relation de protection et de privilège qu’ils avaient perdu avec le départ des colonisateurs. En effet, ils ont réussi à s’implanter au sein de la société laotienne par des mariages de prestige avec les grandes familles. Ainsi ils restèrent les principaux contrôleurs de l’économie du Laos. Il faut noter que jamais les chinois du Laos ne se sont totalement assimilés, ils ont toujours maintenu une identité « hybride » qui mélange la culture laotienne et chinoise.


En 1975, l’arrivée du Pathet Lao brime momentanément l’expansion des populations chinoises au Laos, désignées comme populations cibles (à cause de leur position sociale politique ou ethnique). Beaucoup de chinois décident alors de quitter le pays.

Aujourd’hui, c’est par l’expansion économique et capitaliste de la Chine que l’on assiste à la revitalisation de la communauté chinoise. Au Nord d’une part, et au Sud-Centre de l’autre :

Chine et Vietnam ont décidé dans les années 1990 de se lancer dans le développement économique du Laos. Au Nord, des villes comme Namtha ou Oudomxay, qui ont prospéré par la construction d’autoroutes par les chinois, sont devenues de véritables villes chinoises. Les idéogrammes sont partout, et c’est le chinois mandarin qui est parlé en majorité. En fait, c’est le Nord qui est le plus touché par la sinisation de l’économie, la Chine y jouant un rôle très important dans le développement du pays. Au début des années 2000, la Chine était l’initiatrice de plus de 40% de projets économiques au Laos, et contrôle aujourd’hui une grande partie de l’économie laotienne (ressources minières, hôtellerie, caoutchouc, électricité…). En 2008, le Northern Plan était mis en place par la Chine dans le but de développer l’industrie du Nord jusqu’en 2020.


Le Laos est quand même vigilant face à ce phénomène de sinisation qui se met en place par le développement économique. Il continue de protéger la ville de Luang Prabang, patrimoine mondial de l’UNESCO, cœur de l’identité lao. De même, il serait trop hâtif de dire que le nord est sinisé, car d’autres villes comme Xieng Khouang ou Samneua sont protégées de cette influence du Yunnan (alors que paradoxalement dans le passé, il y avait dans ces villes beaucoup de chinois).


Alors qu’au Nord l’influence et l’implantation chinoise proviennent presque uniquement du Yunnan, au Sud, les acteurs sont multiples. Le Yunnan a quand même établi des liens avec Vientiane, mais la capitale reste très lao. Un phénomène intéressant se déroule au Sud : les communautés sino-lao implantées depuis longtemps ont décidé, avec l’expansion économique capitaliste, de développer de nouveau des relations avec leurs homologues de Thaïlande. S’il n’y a pas de nouvelle expansion démographique avec ces relations, cela leur permet de consolider et faire renaître les institutions de leur communauté chinoise.

Encore une fois le phénomène de la renaissance du fait chinois est dual :

On peut différencier deux communautés chinoises au Laos : les Sino-Lao implantés depuis longtemps, et les chinois nouvellement arrivés pour des investissements économiques. Ces nouveaux chinois du Laos participent sans le vouloir à la renaissance des anciennes communautés longtemps brimées par le gouvernement socialiste ; mais ces nouveaux chinois diffèrent par leur appartenance identitaire et leur mode de vie.


Les chinois anciennement implantés n’ont jamais vraiment revendiqué leur appartenance chinoise, cela à cause de l’emprise répressive du Pathet Lao à leur encontre. Ils ont eu tendance à développer une communauté sino-lao, éloignée de la Chine. Mais avec l’arrivée des nouveaux chinois, on assiste à une « re-sinisation » de ces anciennes communautés. Il apparaît que la naturalisation laotienne, demandée par de nombreux chinois anciennement implantés est difficile à obtenir, cela les incitant peut-être à se tourner vers leurs origines chinoises. Cependant, il faut noter qu’elles gardent leur rôle d’intermédiaire, car elle sont conscientes des avantages qu’elles peuvent retirer d’une bonne relations avec les Chinois et les Laotiens. Les Sino-Lao semblent vouloir être une interface. Si nombreux se rattachent en priorité à cette communauté laotienne chinoise, de plus en plus se tournent vers leurs origines chinoises dans le but de raccrocher la dynamique économique qui se développe avec l’arrivée des nouveaux chinois au Laos.

L’investissement chinois au Laos :

Les constructions d’autoroutes et chemins de fer : c’est un thème récurent pour l’économie laotienne. Les chinois venant au Laos se sont mis en tête de construire d’abord dans les années 1960 une route, puis aujourd’hui un chemin de fer reliant Kunming en Chine à Bangkok en Thaïlande, tout en passant par le Laos. Le projet dure dix ans, et sert directement les intérêts de la Chine. Cette construction chinoise massive s’arrêtera quelques temps quand les relations diplomatiques subiront un refroidissement lors des années 1970 et 1980. Les provinces de Luang Namtha et Oudomxay ont connu une forte construction routière dans les années 1990 et en 1997, qui s’est achevée par la construction d’une voie rapide entre Boten et Houexai, reliant le Yunnan au nord de la Thaïlande.


Le développement de la ligne de chemin de faire à grande vitesse sur le chemin de l’autoroute donne un accès rapide à la Chine pour la Malaisie et Singapour. Mais ce projet de 7 milliards de dollars a été reporté par le gouvernement laotien en 2011, car les chinois demandaient de nombreuses terres autour de cette ligne, et cela promettait à l’avenir l’arrivée massive d’immigrés chinois dans la région laotienne.


Le développement de la voie rapide (autoroute 3) a permis le développement de Boten, devenue en 2002 une Zone Économique Spéciale chinoise. « Boten Golden City » est désormais chinoise pour 30 ans (et possiblement 60 ans). La ville est sous fuseau horaire chinois, on y parle le mandarin et on paye tout en yuan. Les chinois sont fiers d’avoir fait de cette ville la plus moderne et internationale du Laos (golf, aéroport international, centre de congrès…).

Cartezesdeboten

Le Laos n’est pas uniquement considéré comme une zone de transit , il attire également des projets d’investissement par des particuliers ou entreprises chinoises qui voudraient s’implanter plus durablement dans le pays.

La présence chinoise massive et nouvelle entraine parfois des conséquences néfastes pour l’environnement :

Les chinois pensent rentabilité et profit, or leurs nouvelles activités peuvent dégrader l’environnement comme lorsque certains récoltent massivement des espèces protégées au Laos pour créer des médicaments prisés en Chine. En outre, le long de l’autoroute 3, les chinois ont mis en place des plantations massives d’hévéas et de tecks. Comme les chinois traitent en direct avec les locaux, leur promettant de grosses sommes en échange d’un permis de plantation, de nombreux abus sont visibles. Si en 2007 le gouvernement avait tenté de faire face à la déforestation du Nord et de bloquer ces transactions illicites, il n’y est jamais réellement parvenu.


Si beaucoup critiquent la présence chinoise (pensant que le gouvernement « brade » le pays aux chinois), et poussent parfois même l’État à reculer face à des projets d’investissement chinois, de plus en plus de laotiens sont satisfaits de cette implantation. Les chinois semblent leur apporter une plus grande prospérité économique, facilitant la consommation et le confort. De plus, comme l’explique Danielle Tan, chercheuse à l’Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est Contemporaine, les laotiens souhaitent cette présence chinoise pour « contrebalancer la tutelle politique exercée traditionnellement par les vietnamiens ».


Aujourd’hui, la Chine est donc très présente au Laos par des investissements économiques (elle détrône le Vietnam en prenant la première place des investisseurs étrangers au Laos), mais également par les migrations des nouveaux chinois et la revitalisation de ses anciennes communautés déjà bien implantées. Il apparaît également que le gouvernement Laotien, s’il tente de maîtriser cette implantation, n’est pas contre développer de grands projets économiques avec la Chine, parfois contre l’avis de la population.


Bibliographie :


Daniel Allen, « Le renforcement spectaculaire de la présence chinoise »,Courrier International.com, 5 novembre 2009, http://www.courrierinternational.com/article/2009/11/05/renforcement-spectaculaire-de-la-presence-chinoise

Bruno Philip, « Au Laos, le rouleau compresseur chinois suscite parfois méfiance et hostilité, Le Monde.fr, 12 juillet 2012, http://www.lemonde.fr/international/article/2012/07/12/au-laos-le-rouleau-compresseur-chinois-suscite-la-mefiance_1732691_3210.html

Florence Rossetti, « La renaissance du fait chinois au Laos », cefc.com, juillet-août 1997, http://www.cefc.com.hk/pccpa.php?lg=fr&aid=527

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