Les femmes et les jeunes filles : principales victimes du tourisme sexuel en Thaïlande

Par Walid Tannouri

« L’industrie du sexe rapporte à la Thaïlande cinq à six fois plus que les recettes de la drogue, soit de 18 à 21 milliards de dollars américains en 1996 » (Michel 2012, 8). Lorsqu’il s’agit du tourisme sexuel, la première image qui nous vient à l’esprit est celle d’hommes, souvent plus âgés, qui voyagent dans des pays en voie de développement pour assouvir leur plaisir sexuel à un prix économiquement et socialement minime (Oppermann 1999, 96). Ainsi, l’industrie florissante du sexe en Thaïlande emploie de plus en plus de prostituées, puisque le caractère temporaire de la prostitution génère un roulement important de celle-ci (Formoso 2001, 59). Mais alors, comment expliquer que les femmes et les jeunes filles soient les principales victimes du tourisme sexuel ?

Afin de répondre à cette question, il est important de comprendre que l’industrie du sexe est liée depuis ces 30 dernières années à une industrie touristique prospère en Asie du Sud-Est où le tourisme sexuel reflète le côté obscur de la mondialisation du tourisme (Arnold et Bertone 2002, 30). Devenu un attribut important d’une destination touristique, le tourisme sexuel représente pour beaucoup de touristes une expérience « exotique » où les femmes sont un produit de consommation (Oppermann 1999, 98).  Historiquement, la cause fondamentale de cette industrie en Thaïlande est liée au rôle de l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam et parallèlement à la mise en place de services de Rest and Recreation pour les soldats américains (Arnold et Bertone 2002, 30). Comme de fait, ce n’est que durant et qu’après la guerre du Vietnam que la prostitution pour les étrangers est devenue une industrie organisée et adaptée à leurs besoins (Montgomery 2008, 906). 

Une situation économique déplorable pour les femmes

(A) Soi Cowboy : un des trois Red Light Districs à Bangkok

Par conséquent, ce passé historique est une cause déterminante qui explique le développement de cette industrie et les acteurs qui y sont liés. Le tourisme sexuel en Thaïlande est le principal problème qui exacerbe la propagation de la prostitution forcée chez les femmes et les jeunes filles thaïlandaises (Kamler 2014, 375). Lieu d’affluence et de transit, la Thaïlande représente le pays par excellence pour ce genre de travail (Kamler 2014, 363). Au-delà du fait que la prostitution résulte d’une situation économique malencontreuse qui exploite les femmes et les filles, celles-ci doivent également faire face à d’autres problèmes plus sérieux (Arnold et Bertone 2002, 31). Elles sont victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé. Il va sans dire que ces victimes sont physiquement et psychologiquement forcées à travailler, et ce même si elles sont payées. Ces personnes, provenant surtout des régions pauvres de la Thaïlande comme le Nord ou le Nord-Est, voient l’industrie du sexe comme une façon simple pour gagner de l’argent et pour ainsi subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille (Arnold et Bertone 2002, 32). En effet, « les prostituées peuvent ainsi espérer gagner de 180 à près de 1000 dollars américains par mois, soit de deux à huit fois plus que ce qu’elles gagneraient si elles faisaient un autre travail » (Michel 2012, 6).

Consumérisme et tourisme sexuel infantile

(B) Une jeune prostituée

Conjointement au tourisme sexuel plus habituel, le tourisme sexuel d’enfants ne peut être séparé des préoccupations sociales, économiques et culturelles plus générales (Montgomery 2008, 903). Sous l’étiquette touristique, le tourisme sexuel infantile met des enfants à la disposition des touristes pour leur gratification sexuelle (George et Panko 2011, 134). De plus, le tourisme sexuel infantile est fortifié par deux facteurs importants, soit la pratique consumériste et la pression sociale. En ce qui concerne la pratique consumériste, celle-ci est responsable de la croissance généralisée du tourisme sexuel d’enfants, puisque l’engouement pour acheter des produits occidentaux et adopter des tendances occidentales conduit les adolescents dans les sociétés appauvries à recourir à des moyens peu éthiques, tel que l’industrie du sexe (George et Panko 2011, 153). Cette dernière est attirante en raison du haut potentiel monétaire ne nécessitant pratiquement aucune compétence particulière. Quant à la pression sociale, celle-ci est un facteur déterminant pour les enfants qui se sont engagés dans l’industrie du sexe. Effectivement, dans les sociétés appauvries, les enfants sont témoins des retombées économiques qu’une telle industrie a à leur offrir et devant l’éloge des aînés vis-à-vis de ces retombées, ils se voient contraints à s’y engager (George et Panko 2011, 137). De fait, « plus de 200 000 enfants sont exploités dans l’industrie du sexe en Thaïlande » (Michel 2012, 3).

Un rapprochement entre l’exploitation sexuelle des femmes et celle des jeunes filles

Aussi, pour comprendre le raisonnement derrière l’exploitation sexuelle des enfants, il ne faut pas oublier l’image vendue de la femme aux touristes et la force de cette dernière. Les promesses de la jeunesse, de la virginité et de l’innocence sont commercialisées et les hommes sont vendus à l’image de la prostituée infantile indisciplinée, peu exigeante et soumise (Montgomery 2008, 911). Ces caractéristiques propres aux enfants – filles – sont similaires aux caractéristiques que les hommes trouvent attrayantes chez les femmes thaïlandaises, soit la simplicité, la loyauté, l’affection et surtout l’innocence (Montgomery 2008, 911). Ainsi, les femmes sont, aux yeux des touristes « sexuels », petites, sans poils et surtout infantiles, d’où cette prépondérance à commettre des actes sexuels avec des enfants. De plus, ce qui est frappant est le fait que les qualités recherchées dans ces femmes thaïlandaises sont similaires à celles que les pédophiles trouvent sexuellement attrayantes chez les enfants (Montgomery 2008, 912-13). Une telle attitude favorise une situation où les hommes sont prêts à avoir des rapports sexuels avec un enfant, puisqu’ils ne voient aucune différence entre un enfant ou un adulte (Montgomery 2008, 913). C’est pourquoi la femme idéale est à la fois une femme, mais aussi un enfant achetable sexuellement.

Bibliographie

Arnold, Christina et Andrea M. Bertone. 2002. « Addressing the sex trade in Thailand: Some lessons learned from NGOs, part I1 ». Gender Issues 20 (no.1) : 26-52.

Formoso, Bernard. 2001. « Corps étrangers : Tourisme et prostitution en Thaïlande ». Anthropologie et Sociétés 25 (no. 2) 55-70.

George Babu P. et Thomas R. Panko. 2011. « Child sex tourism: Facilitating conditions, legal remedies, and other interventions ». Vulnerable Children and Youth Studies 6 (no. 2) : 134-143.

Kamler, Erin. 2014. « Trafficking and Coerced Prostitution in Thailand: Reconceptualizing International Law in the Age of Globalization ». Dans Pranee Liamputtong, dir., Contemporary Socio-Cultural and Political Perspectives in Thailand. Pays-Bas : Springer, 363-379.

Michel, Franck. 2012. « Le tourisme sexuel en Thaïlande : une prostitution entre misère et mondialisation ». Téoros 22 (no. 1) : 1-15.

Montgomery, Heather. 2008. « Buying Innocence: Child-Sex Tourists in Thailand ». Third World Quarterly 29 (no. 5) : 903-917.

Oppermann, Martin. 1999. « Sex Tourism ». Annals of Tourism Research 26 (no.2) : 251-266.

 

Iconographie

(A). En ligne : http://representasianews.com/unhappy-ending-for-thailand-sex-tourism-as-minister-urges-crackdown/#prettyPhoto

(B). En ligne : https://www.flickr.com/photos/thailandproject/432413820

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