L’industrie du sexe et le trafic humain: un survol du cas du Cambodge

Par Ariela Leonardo Vargas

L’industrie du sexe cambodgienne est l’une des industries du sexe les plus connues de l’ASEAN mais aussi du monde entier. Cependant, cette industrie cache un côté plus sombre derrière son « succès » : le trafic humain. Cet enjeu contemporain, que tous les pays de l’ASEAN partagent, est particulièrement intéressant au Cambodge à cause de la manière dont l’héritage historique et culturel,  l’industrie du sexe ainsi que sur les travailleurs qui se retrouvent au cœur de celle-ci. Ce texte vise à faire un court survol de l’industrie du sexe contemporaine cambodgienne en abordant les points essentiels des aspects sociohistoriques et socioculturels ainsi que du trafic humain, c’est-à-dire l’activité principale qui fournit les travailleurs du sexe à l’industrie.

Comment le contexte socio-historique et socio-culturelle l’industrie du sexe au Cambodge aujourd’hui?

Selon la documentation historique du Cambodge, l’industrie du sexe au sein du pays ne remonte que jusqu’au 19e siècle. Elle est donc relativement récente dans l’histoire du pays puisqu’il n’y a pas de sources historiques officielles de celle-ci avant l’époque coloniale française (Sandy, 2014, p.18). Vers la fin du 19e siècle, la commercialisation du sexe ainsi que la mercantilisation des femmes, telles que nous les connaissons aujourd’hui, commencent à prendre forme notamment avec l’ouverture de plusieurs maisons closes qui prennent la place du concubinage. Dans celles-ci, les travailleuses sont majoritairement khmers ou vietnamiennes et la clientèle est principalement constituée d’hommes européens (Sandy, 2014, p.18).

Pour comprendre l’industrie du sexe moderne au Cambodge, il faut absolument aborder le concept de hiérarchie sociale et comprendre où se place la femme dans tout cela (Jacobsen, 2016, p.18). La société cambodgienne base sa culture sur plusieurs fondements bouddhiques. Trude Jacobsen explique dans son livre que les sociétés de l’Asie du Sud-Est continental respectent davantage les concepts hérédités du bouddhisme theravada tels que les obligations sociales ou de la hiérarchie sociale puisque celles-ci font encore partie de leurs cultures (Jacobsen, 2016, p.18).

Les normes socioculturelles cambodgiennes influencent grandement l’industrie du sexe même aujourd’hui: « Strong double standards of behaviour for women and men shape gender relations in Cambodia, and it is a very sexually conservative country » (Sandy, 2014, p.57). La citation précédente aborde l’un des aspects les plus importants quant à la commercialisation du sexe moderne, c’est-à-dire la dichotomie au cœur du discours sur les rôles de genres normatifs de la société cambodgienne résulte en un discours contradictoire ainsi qu’une stigmatisation quant aux travailleurs du sexe ainsi que sur les activités qu’ils performent dans l’industrie dans laquelle ils travaillent.

Dans l’industrie du sexe au Cambodge, les travailleurs sont en majorités des femmes et des enfants [1] alors que les trafiquants et les proxénètes sont des hommes. Déjà, il semble y avoir un rapport de force entre les deux sexes (Samarasinghe, 2008, p.5). De plus, « [f]emale sex trafficking is about prostitution and as such the discourse in female sex trafficking is anchored within the general framework of female prostitution » (Samarasinghe, 2008, p.4).

Cependant, il ne faut pas négliger le fait qu’au Cambodge, la présence de travailleurs du sexe est aussi importante, car la demande pour celle-ci augmente depuis quelques décennies déjà : « Similar to female sex workers, male sex workers are a diverse and heterogeneous group. Young men and transgender women work in bars, brothels, cafes, nightclubs, public parks, barbershops, around local temples and saunas » (Sandy, 2014, p.63). Il y a donc une augmentation du nombre de jeunes hommes qui entrent volontairement, ou non, dans cette industrie dans les dernières années.

Le trafic sexuel moderne et la prostitution au Cambodge: un bilan en quelques points

Le Cambodge se trouve entre la Thaïlande et le Vietnam, soit deux des pays avec les plus grandes industries du sexe de l’Asie du Sud-Est et, par conséquent, les deux joueurs les plus importants dans le développement de la commercialisation du sexe sur le continent asiatique. C’est, entre autres, à cause de sa « popularité » que la plupart des travailleurs du sexe au sein de cette industrie au Cambodge sont des immigrants victimes de trafic sexuel d’un des deux pays qui partagent leurs frontières avec celui-ci. On retrouve, d’ailleurs, plusieurs maisons closes ainsi que plusieurs quartiers dédiés à la prostitution aux frontières du Cambodge (Samarasinghe, 2008, p.2). Dans ces quartiers, on retrouve des bars et des clubs où les clients, autant les locaux que les étrangers peuvent payer pour des services de nature sexuels (Sandy, 2014, p.64).

Figure 1 – Travailleuses du sexe à l’entrée d’un bar Karaoké à Phnom Penh. (Source: Nomad Films. Date: inconnue)

S’il est difficile de savoir combien de victimes de trafic sexuel il y a au Cambodge aujourd’hui, il est indéniable que l’exploitation sexuelle de femmes, d’hommes et d’enfants locaux ou étrangers (normalement vietnamiens ou thaïs) est bel et bien présent sur le territoire, car il est difficile d’obtenir un nombre précis puisque beaucoup de cas de trafic sexuels qui ne sont pas recensés. En effet, il n’y a pas de sources ou de statistiques fiables puisque la plupart des cas rapportés sont basés sur des preuves anecdotiques (Tigno, 2012. p.43). Cependant, il ne faut pas assumer que tous les travailleurs du sexe qui travaillent au Cambodge sont victimes de trafic sexuel. En effet, beaucoup de travailleuses du sexe entrent et restent dans cette industrie volontairement, notamment pour des raisons économiques ou financières, mais aussi pour éviter de faire face à la stigmatisation concernant leurs métiers  (Sandy, 2014, p.88).

Timbres faisant la promotion du programme CUP adopté en 2006.

Figure 2 -Timbres faisant la promotion du programme CUP adopté en 2006. (Source: Sandy, L. (2014). Women and Sex Work in Cambodia. Routledge. Date: 2006)

Finalement, si le trafic du sexe reste une des parties les plus lucratives de cette industrie, c’est à cause du laxisme de la part du gouvernement quant à la législation et la régulation des activités de prostitution (forcées ou non). En effet, en 2004, plusieurs ONG et étrangers mettent la pression sur le gouvernement cambodgien afin que celui-ci mette en place des lois pour arrêter le trafic sexuel de femmes et d’enfants, soit la majorité des victimes (Samarasinghe, 2008, p.118).  De plus, depuis 1998, le gouvernement adopte un programme, le CUP (Condom Use Program) afin d’encourager et rendre plus accessible les méthodes de protection afin de permettre au tourisme sexuel de continuer de rapporter de l’argent au pays et, en 2006, des timbres postaux faisant la promotion du programme sort distribués dans l’ensemble du pays (Sandy, 2014. p.90).

Cependant, les mesures légales gouvernementales qui criminalisent finalement la prostitution n’ont eu comme seul résultat la migration des travailleurs du sexe dans des régions où l’exploitation humaine est en hausse (Sandy, 2014, p.90), notamment proches des frontières où une grande majorité des maisons closes se trouvent.

 

Référence

[1] En 2001, selon les statistiques de d’un ONG, on estime qu’environ 80 000 à 100 000 femmes sont trafiquées et entre 5000 et 15 000 enfants sont impliqués dans l’industrie du sexe d’une quelconque façon au Cambodge (Sandy, 2014.p.59)

Bibliographie

Jacobsen, T. (2017). Sex Trafficking in Southeast Asia. Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315544731

Sandy, L. (2014). Women and Sex Work in Cambodia. Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315762777

Samarasinghe, V. (2008). Female Sex Trafficking in Asia. New York: Routledge, https://doi.org/10.4324/9780203485231

Ford, M. (Ed.), Lyons, L. (Ed.), van Schendel, W. (Ed.). (2012). Labour Migration and Human Trafficking in Southeast Asia. London: Routledge, https://doi.org/10.4324/9780203121535

 

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