La prospérité de la Thaïlande menacée par la crise climatique

Par Maxime Bobba-Gaudreau

Si la Thaïlande connait aujourd’hui une croissance économique fulgurante, les changements climatiques pourraient bientôt venir lui mettre des bâtons dans les roues. Le Premier ministre et Ministre de la Défense lui-même, ex-commandant en chef de l’armée royale thaïlandaise, a d’ailleurs souligné lors de la COP26 que les changements climatiques sont pour la Thaïlande une question de vie ou de mort.

Bangkok, capitale et métropole thaïlandaise

En effet, la Thaïlande est particulièrement vulnérable du fait de son exposition aux inondations, aux sécheresses, aux cyclones et à la fragilité de son secteur agricole. Elle est considérée comme l’un des 10 pays au monde les plus touchés par les inondations : à titre d’illustration, de nouvelles prédictions avancent que dans aussi peu que 30 ans, Bangkok sera sous l’eau, due à la montée des eaux, au poids des gratte-ciels et au pompage intensif de la nappe phréatique qui font sombrer la ville dans les terres marécageuses. (1) On prédit que les changements climatiques risquent de créer des frictions entre la Thaïlande et ses voisins, autour d’enjeux comme la gestion des eaux, les réfugiés climatiques et l’approvisionnement énergétique. (2) Par exemple, la Chine, pour répondre à ses défis en approvisionnement en eau douce et en énergie, a construit 11 barrages hydro-électriques sur son territoire dans la région montagneuse du Haut-Mékong, et finance la construction de nombreux barrages dans les terres continentales de l’Asie du Sud-Est, dont la Thaïlande et le Laos. Le gouvernement laotien a notamment approuvé la construction de plus de 140 barrages, pour qui l’exportation en électricité représente des revenus non négligeables. Cette prolifération de barrages en amont de la Thaïlande provoque des dégâts écologiques et humains pour la population rurale thaïlandaise du nord : en effet, on assiste au déclin des écosystèmes riverains, à la diminution des rendements agricoles, et à la diminution de la population piscicole, 70% des poissons du Mékong dépendant de leur capacité à effectuer leur migration dans le fleuve, ce qu’empêchent les barrages. (3)

Le cours du Mékong et l’étendue de son bassin fluvial : International Crane Foundation. https://mapdatabaseinfo.blogspot.com/2019/12/34-mekong-river-on-map.html

La Thaïlande a depuis longtemps montré son engagement dans la lutte au changement climatique, notamment avec la ratification de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris. De plus, la Thaïlande, en partenariat avec la Banque mondiale, est en train de rédiger plusieurs lois sur le climat. Cependant, on peut considérer que le discours de Prayut Chan-o-cha à la COP26 est resté en majeure partie lettre morte, car la Thaïlande n’a pas signé les accords clés, étant l’engagement d’arrêter la déforestation, de réduire de 30% les émissions de méthane d’ici 2030 et de sortir du charbon. À quoi peut être dû cet apparent échec de la Thaïlande à s’attaquer aux changements climatiques ?

Contrairement à d’autres pays de l’Asie du Sud-Est comme le Vietnam par exemple, le régime politique de la Thaïlande est plus susceptible de traverser des périodes d’instabilité. En effet, depuis la transition de la monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle et un gouvernement parlementaire en 1932, la Thaïlande a été témoin de 19 constitutions et 13 coups d’État, le dernier ayant été mené par l’actuel Premier Ministre, Prayut Chan-o-cha. Cette instabilité est sans doute en partie responsable de l’apparent échec thaïlandais à la COP26 et pourrait venir brimer les aspirations écologistes et la prospérité future du pays. Selon Steinberg, la stabilité d’un régime est fortement corrélée avec la capacité d’un État à mener une politique environnementale, en donnant notamment aux politiques une durée de vie assez longue pour que l’administration publique ait le temps et les ressources de la mettre en œuvre. (4) Jusqu’à aujourd’hui, les mesures prises par le gouvernement thaïlandais visent pour la majeure partie à s’adapter aux perturbations climatiques et non à les atténuer. Comme cela a été démontré par la Swiss Re Institute, cet échec pourrait mener à la réduction catastrophique du PIB du pays de 33 à 36% d’ici 2048.

Certains diraient toutefois que l’État n’est pas le seul acteur dans la lutte aux changements climatiques en Thaïlande. C’est en effet le cas : on observe la prise en main d’enjeux de conservations par des autochtones et des communautés locales. Par exemple, dans le nord de la Thaïlande, les Pgaz K’Nyau pratiquent la rotation des cultures comme une économie autosuffisante, ou encore, dans le village de Hin Lad Nai, des entreprises sociales ont été développées en pratiquant un commerce responsable de miel sauvage, de thé, et d’autres produits de la forêt. (5)

Cependant, pour que les efforts des différentes communautés se traduisent en des effets qui soit suffisamment forts pour endiguer les effets néfastes des changements climatiques, une large mobilisation doit s’opérer regroupant les sociétés civiles nationales et transnationales, et ces mouvements doivent nécessairement se coupler aux efforts de l’État thaïlandais, ce dernier devant être assez fort pour notamment intégrer la dimension environnementale dans l’économie, plutôt que de ne la considérer que comme une externalité (en intégrant des marchés de compensations de carbone, de biodiversité, d’habitats, voire d’espèces). (6) Autant dire que les conditions nécessaires à la réussite de cette entreprise ne sont pas encore réunies.

En effet, la société thaïlandaise est fortement polarisée entre les chemises rouges, étant la population majoritaire de la Thaïlande qui est rurale et établie dans le nord, et les chemises jaunes, qui sont les Thaïlandais urbains : ce sont les intérêts de ces derniers qui guident la politique environnementale du pays, car les militaires, en ayant perpétré un coup d’État contre le leader des chemises rouges Thaksin Shinawatra, dirigent actuellement le pays en concordance avec les intérêts des Thaïlandais de la capitale, moins sensible aux désastres qui ont lieu dans les régions rurales. (7)

 

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(1) The World Bank Group et Asian Development Bank, p.2.

(2) Marks, Danny, p.230.

(3) Marks, Danny, p.236.

(4) VanDeveer, Stacy D, et Paul F Steinberg, p.276.

(5) Brondízio, Eduardo S, Yildiz Aumeeruddy-Thomas, Peter Bates, Joji Carino, Álvaro Fernández-Llamazares, Maurizio Farhan Ferrari, Kathleen alvin, et al., p.487.

(6) Scoones, Ian, p.309.

(7) Marks, Danny, p.238.

Bibliographie

Brondízio, Eduardo S, Yildiz Aumeeruddy-Thomas, Peter Bates, Joji Carino, Álvaro Fernández-Llamazares, Maurizio Farhan Ferrari, Kathleen Galvin, et al. 2021. « Locally Based, Regionally Manifested, and Globally Relevant: Indigenous and Local Knowledge, Values, and Practices for Nature. » Annual Review of Environment and Resources 46 (1): 481–509. https://doi.org/10.1146/annurev-environ-012220-012127.

Marks, Danny. 2011. « Climate Change and Thailand: Impact and Response. » Contemporary Southeast Asia 33 (2): 229–58.

Scoones, Ian. 2016. « The Politics of Sustainability and Development. » Annual Review of Environment and Resources 41 (1): 293–319. https://doi.org/10.1146/annurev-environ-110615-090039.

The World Bank Group and the Asian Development Bank. 2020. Climate Risk Country Profile : Thailand. The World Bank Group and the Asian Development Bank.

VanDeveer, Stacy D, et Paul F Steinberg. 2012. Comparative Environmental Politics. American and Comparative Environmental Policy. Cambridge, Mass.: MIT Press.

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