Trafic de drogue au Myanmar: Opium, pauvreté et groupes armés

Par Nicolas Roulier

Un officier de l’armée national de libération Tang tenant des fleurs de pavot à opium Source: AlJazeera

Le Myanmar est le deuxième producteur en importance d’opium[1] et est récemment devenu le plus grand producteur de drogue de synthèse au monde dépassant le Mexique[2]. La grande majorité de la drogue, soit presque 90 %, provient de l’état du Shan et de l’état du Wa[3][4]. Avec le récent coup d’État dans le pays, le trafic de drogue a augmenté en raison de l’instabilité et du sous-financement des équipes antidrogue[5]. Comment expliquer l’importance du trafic de drogue dans la région ? Qui gère les réseaux de distribution et à qui cela profite-t-il ?

 

Climat, pauvreté et géographie

L’opium a été introduit dans la région par des marchands arabes dès le 8e siècle, mais c’est seulement avec l’arrivé des Portugais au 16e siècle que le pavot, la plante dont l’opium provient, a commencé à être cultivé dans le sud de la Chine. Le pavot est arrivé dans le Triangle d’or à travers des migrants chinois qui ont amené la plante avec eux au 19e siècle[6]. Le Triangle d’or est une région montagneuse chevauchant le Laos, la Thaïlande, et le Myanmar[7] où le climat est particulièrement propice à la culture du pavot[8].

La production d’opium réparti par région Source: AlJazeera

 

La production de l’opium est intrinsèquement liée à des problèmes d’insécurités, de marginalisation économique et de conflit armé. Avec le début de la démocratisation sont venus des aides et des investissements occidentaux. La libéralisation de l’économie birmane a causé le déclin de l’industrie du thé et des feuilles de thanaphet dont la culture était importante pour l’économie locale. Par conséquent, beaucoup de fermiers ont été obligés de se tourner vers le pavot pour subsister. Dans les états du Shan et de Wa, c’est un ménage sur neuf qui est impliqué dans la production de l’opium. L’opium représente souvent la seule option pour ces fermiers qui sont soit victimes du manque de développement dans leur région ou bien des conséquences de la libéralisation économique[9]. Beaucoup de mules, les personnes s’occupant du déplacement de la drogue soit à l’intérieur du pays pour être transformé en héroïne ou en morphine[10], soit vers les autres pays de la région, sont souvent peu éduqué et vivent dans la pauvreté. Déplacer la drogue représente pour eux une chance de faire de l’argent facilement même si les risques sont grands[11]. Le trafic dans la région est facilité par le fait que les frontières entre les pays sont particulièrement poreuses. En raison de la jungle et des montagnes, il est souvent difficile de pouvoir patrouiller l’ensemble des frontières birmanes. La drogue est souvent amenée dans les autres pays de la région pour transiter vers les marchés occidentaux, mais aussi pour être vendue sur les marchés locaux. Des pays comme la Chine[12], la Thaïlande et le Vietnam représentent des pays de transit et des marchés importants pour les trafiquants[13].

 

Groupes armés, syndicats criminels et gouvernements

Le trafic de drogue bénéficie particulièrement les groupes rebelles. Que cela soit les talibans, le parti des travailleurs du Kurdistan ou l’armée de libération du Kosovo, tous ont financé leurs activés en partie par la drogue. Au Myanmar, l’armée unie de l’état de Wa utilise la production et la vente de la drogue pour acheter des armes, payer les salaires et financer les besoins logistiques[14]. Ce qui différencie les rebelles de l’état de Wa des autres groupes armés est que l’état de Wa a bâti un système et des infrastructures complètement indépendants du gouvernement central birman. Ainsi, la drogue permet de financer la construction d’infrastructure et financer les politiques publiques[15]. La drogue n’est pas seulement contrôlée par des groupes rebelles, ces derniers font aussi affaire avec des syndicats du crime organisé internationaux. Par exemple, le syndicat Sam Gor dirigé par Tse Chi Lop, ressortissant canadien arrêté à Amsterdam en 2019 et surnommé le El Chappo de l’Asie, se procurait leurs drogues de synthèse au Myanmar avant de la distribuer dans l’ensemble de la région Asie-Pacifique. Les revenues de l’organisation sont évaluées à possiblement au-dessus de 17 milliards de dollars américains et le tout ne serait pas possible sans la production provenant du Triangle d’or[16].

 

Route du trafic de drogue partant du Myanmar Source: The Economist

 

Différents gouvernements sont aussi en cause dans la production de drogue dans le pays. Après l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong en Chine, les combattants du parti nationaliste se sont réfugiés dans le Triangle d’or et ont financé leurs activités avec la vente d’opium. La CIA et les services de renseignements français ont aidé le groupe dans leurs activités pour avoir une zone tampon avec la Chine communiste. Le gouvernement birman est lui aussi directement impliqué au point où les États-Unis considéraient l’ancien régime comme étant une narcodictature[17]. Une narcodicature est un régime politique dictatoriale où la production et le déplacement de la drogue est contrôlé par des membres du gouvernement[18]. Encore aujourd’hui certains membres du gouvernement et militaires sont impliqués et facilitent le passage des frontières[19]. Le trafic est un problème complexe au Myanmar et tant le gouvernement aura des intérêts dans celui-ci il sera difficile de l’éliminer.

 

Bibliographie :

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[1] Harper, Nathan, and Nathan Tempra. 2019. “Drug Trafficking in the Golden Triangle: The Myanmar Problem and ASEAN Effectiveness.” Jurnal Sentris 1 (1): 116–24. https://doi.org/10.26593/sentris.v1i1.4171.116-124.

[2] Reed, John. 2021. “How Myanmar Coup Fuelled Rise in Illegal Drugs Trade.” Financial Times, August 22, 2021. https://www.ft.com/content/2e9ee221-cba4-483d-8799-c2a356af4cb4.

[3]ibid

[4] Meehan, Patrick. 2021. “Precarity, Poverty and Poppy: Encountering Development in the Uplands of Shan State, Myanmar.” International Journal of Drug Policy, Special Issue: Drugs, Conflict and Development, 89 (March): 103064. https://doi.org/10.1016/j.drugpo.2020.103064.

[5] Reed, John. 2021. “How Myanmar Coup Fuelled Rise in Illegal Drugs Trade.” Financial Times, August 22, 2021. https://www.ft.com/content/2e9ee221-cba4-483d-8799-c2a356af4cb4.

[6] Othman, Zarina. 2004. “Myanmar, Illicit Drug Trafficking and Security Implications.” Akademika 65 (1). http://ejournal.ukm.my/akademika/article/view/2863.

[7] Harper, Nathan, and Nathan Tempra. 2019. “Drug Trafficking in the Golden Triangle: The Myanmar Problem and ASEAN Effectiveness.” Jurnal Sentris 1 (1): 116–24. https://doi.org/10.26593/sentris.v1i1.4171.116-124.

[8] Othman, Zarina. 2004. “Myanmar, Illicit Drug Trafficking and Security Implications.” Akademika 65 (1). http://ejournal.ukm.my/akademika/article/view/2863.

[9] Meehan, Patrick. 2021. “Precarity, Poverty and Poppy: Encountering Development in the Uplands of Shan State, Myanmar.” International Journal of Drug Policy, Special Issue: Drugs, Conflict and Development, 89 (March): 103064. https://doi.org/10.1016/j.drugpo.2020.103064.

[10] ibid

[11] Chin, Ko-lin, and Sheldon X. Zhang. 2007. “The Chinese Connection: Cross-Border Drug Trafficking between Myanmar and China.” 218254. U.S. Department of Justice.

[12] ibid

[13] Reed, John. 2021. “How Myanmar Coup Fuelled Rise in Illegal Drugs Trade.” Financial Times, August 22, 2021. https://www.ft.com/content/2e9ee221-cba4-483d-8799-c2a356af4cb4.

[14] Jonsson, Michael, Elliot Brennan, and Christopher O’Hara. 2016. “Financing War or Facilitating Peace? The Impact of Rebel Drug Trafficking on Peace Negotiations in Colombia and Myanmar.” Studies in Conflict & Terrorism 39 (6): 542–59. https://doi.org/10.1080/1057610X.2015.1124628.

[15] Harper, Nathan, and Nathan Tempra. 2019. “Drug Trafficking in the Golden Triangle: The Myanmar Problem and ASEAN Effectiveness.” Jurnal Sentris 1 (1): 116–24. https://doi.org/10.26593/sentris.v1i1.4171.116-124.

[16] Allard, Tom. 2019. “The Hunt for Asia’s El Chapo.” Reuters, October 14, 2019. https://www.reuters.com/investigates/special-report/meth-syndicate/.

[17] Othman, Zarina. 2004. “Myanmar, Illicit Drug Trafficking and Security Implications.” Akademika 65 (1). http://ejournal.ukm.my/akademika/article/view/2863.

[18] Rogers, Alisdair, Noel Castree, and Rob Kitchin. 2013. “Narco State.” In A Dictionary of Human Geography. Oxford University Press. https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/acref/9780199599868.001.0001/acref-9780199599868-e-1236.

[19] Jonsson, Michael, Elliot Brennan, and Christopher O’Hara. 2016. “Financing War or Facilitating Peace? The Impact of Rebel Drug Trafficking on Peace Negotiations in Colombia and Myanmar.” Studies in Conflict & Terrorism 39 (6): 542–59. https://doi.org/10.1080/1057610X.2015.1124628.

 

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