L’influence de l’étau colonial sur les Kathoeys de la Thaïlande

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Par Heidi Poirier

**Note de l’auteur : Le pronom « iel » est utilisé dans le texte en tant que pronom neutre pour référer aux Kathoeys et les accords alternent entre masculins et féminins comme les personnes que le terme représentait en Antiquité.**

L’influence coloniale en Thaïlande fut moins importante que dans les pays voisins qui furent colonisés, mais elle a tout de même modifié plusieurs aspects de la société, dont le regard de la société sur les Kathoeys. À l’époque de l’influence coloniale, le terme « Kathoey » désignait ceux que nous nommons aujourd’hui, en occident, des hommes homosexuels et des femmes transgenres [1], mais cette définition se base sur une conception occidentale, et l’utilisation réelle du terme dans son contexte historique n’avait probablement pas exactement la même définition. L’influence coloniale indirecte en Thaïlande provenait d’un étau formé d’une part de la Birmanie colonisée par les Britanniques à l’ouest [2], et d’autres parts, du Laos colonisé par les Français à l’est  [3].

Pour comprendre les changements que les Kathoeys ont vécus durant cette période, nous devons répondre à la question suivante : «  En quoi l’influence coloniale a changé l’existence des Kathoeys en Thaïlande ? » Cette influence a changé l’existence des Kathoeys grâce à trois facteurs principaux qui sont la conception de genre coloniale, les lois coloniales et la croyance des coloniaux que leur mode de vie était supérieur.

Le premier facteur qui a influencé les changements vécus par les Kathoeys est la conception de genre coloniale. En ce sens, les deux pays colonisateurs les plus influant par rapport à la Thaïlande furent l’Angleterre et la France, et tous les deux avaient une vision du genre assez similaire. La conception du genre de ces pays était très binaire, hétéronormative et les rôles de genre étaient très rigides [4]. Cette conception était si rigide, que des manuels sur le sujet existaient. En d’autres mots, cela signifie que les seules identités de genre permises étaient homme et femme, les seules expressions de genre permises étaient masculines pour les hommes et féminines pour les femmes et la seule orientation sexuelle permise était l’hétérosexualité entre personnes cisgenres (personnes qui s’identifient à leur genre assigné à la naissance) [5]. L’existence des Kathoeys allait à l’encontre de la majorité de ces conceptions coloniales et il n’y avait pas de place pour les Kathoeys dans une société presque coloniale. En ce sens, l’influence coloniale sur la société thaïlandaise a transformé la façon dont les Thaïlandais.e.s percevaient les gens qui vivaient à l’extérieur des normes hétéronormatives et cisnormatives, car ces personnes ne rentraient pas dans le cadre d’une société dite moderne [6].

Le deuxième facteur qui a changé la réalité des Kathoeys est l’influence coloniale sur les lois thaïlandaises. En ce sens, en plus d’imposer leur conception du genre sur la société thaïlandaise, l’influence coloniale était tellement forte qu’elle a entraîné la modification des lois thaïlandaises pour qu’elles ressemblent aux lois des pays colonisateurs. Ceci a eu un important impact sur les Kathoeys, car certaines identités de genre, expressions de genre, orientations sexuelles et comportements qui étaient socialement acceptables ou du moins tolérés, sont devenus interdits par la loi et donc, illégaux, et passable de conséquences sévères. Cela dit, les conséquences étaient plutôt théoriques, car malgré qu’une loi anti sodomie qui couvrait autant les relations femme-femme, qu’homme-homme que la bestialité aient été adoptées au début du XXe siècle, elle ne fut jamais imposée par le système de justice [7]. Cela dit, la simple existence de cette loi démontre l’influence des pays coloniaux, car les lois anti-sodomie existaient en Angleterre depuis le 16e siècle [8].

Le troisième facteur est la croyance des coloniaux que leur mode de vie était supérieur au mode de vie, aux cultures et aux sociétés des pays qu’ils ont colonisés et influencés, et c’est ce troisième facteur qui explique pourquoi les colonisateurs se sont donné le droit d’influencer autant la situation des Kathoeys en Thaïlande grâce aux premier et deuxième facteurs. En ce sens, les coloniaux croyaient fermement que grâce à leur colonisation des pays de l’Asie du Sud-Est et ailleurs et en plus de profiter économiquement de ces pays, ils apportaient à ces pays la modernité et la supériorité de la société occidentale d’Europe [9], et grâce à cette croyance de supériorité, ils se sont crus permis de modifier les sociétés sous leur influence pour le meilleur ou pour le pire. Dans le cas des Kathoeys, c’étaient clairement pour le pire. Ces individus se sont retrouvés marginalisés de la société dans laquelle iels avaient eu un rôle et une identité au paravent.

En bref, malgré que le Siam n’ait jamais était colonisé, la colonisation de ses voisins fut la cause d’une importante influence coloniale sur la société, qui affecta particulièrement les Kathoeys qui ont vu leur existence être mise en péril et condamnée par la vision de genre et de sexualité des coloniaux.

Sources

[1] Jackson 1998

[2] Baker 2014, p. 38

[3] Petit 2020, p. 20

[4] Heilmann et Llawallyn 2016

[5] GLAAD

[6] Ojanen et al. 2016, p. 42-44

[7] Khan 2005, p. 23

[8] Levy 2009

[9] Guillemin 2007

Bibliographie

Baker, Christopher John et Pasuk Phongpaichit. 2014. « A History of Thailand (version Third edition.) ». Third ed. Cambridge: Cambridge University Press.

Levy, Michael. 2009. « Gay Rights Movement : Political and social movement ». Britannica.

GLAAD. 2016. « GLAAD Media reference guide ». 10e édition. Octobre 2016. États-Unis. https://www.glaad.org/sites/default/files/GLAAD-Media-Reference-Guide-Tenth-Edition.pdf

Guillemin, Dominique. 2007. « Quelle place pour le Siam dans l’Asie coloniale ? Une étude au regard des relations franco-siamoises, 1893-1941 ». Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2007,/4 (no 88), p. 35-43. https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2007-4-page-35.htm

Heilmann, Ann et Mark Llawallyn. 2016. « The Victorians, Sex, and Gender ». The Oxford Handbook of Victorian Literary Culture. Juillet 2016. https://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780199593736.001.0001/oxfordhb-9780199593736-e-002

Jackson, Peter A. 1998. « Male Homosexuality ans Transgenderism in the Thai Buddhist Tradition. Queer Dharma : Voices of Gay Buddhists ». Gay Sunshine Press : San Fransisco.

Khan, Shivananda. 2005. « Assessment of sexual health needs of males who have sex with males in Laos and Thailand ». Naz Foundation International. Février 2005. https://web.archive.org/web/20130521235418/http://www.nfi.net/NFI%20Publications/All%20other/Pact%20NFI%20MSM%20Thailand%20additional%20references.pdf

Ojanen, Timo T., Rattanakorn Ratanashevorn et Sumonthip Boonkerd. 2016. « Gaps in responses to LGBT issues in Thailand : Mental health research, services, and policies ». Psychology of Sexualities Review, vol 7, No 1 Spring 2016. The British Psychological Society. https://www.ohchr.org/Documents/Issues/SexualOrientation/IESOGI/Other/Ojanen_et_al_Gaps_in_responses_to_LGBT_issues_Thailand_PoSR_7.pdf

Petit, Pierre. 2020. « History, Memory, and Territorial Cults in the Highlands of Laos : The Past Inside the Present ». Routledge Contemporary Asian Societies. Abingdon, Oxon: Routledge.

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