Les Philippines : fuir la pauvreté pour le prix d’un rein?

Par Roxanne Larouche

« Vendre un rein pour sortir de la pauvreté », une option excessivement envisagée en Philippine dans les quartiers souffrant de grande pauvreté. Le trafic d’organe n’est pas nouveau aux Philippines. En 2005, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les Philippines se classaient comme l’un des plus importants pays exportateurs d’organe, à côté du Pakistan, de l’inde et de la Chine [1]. Ce commerce illicite d’organe est d’ailleurs souvent confondu avec le « tourisme médical ». Cependant, malgré l’interdiction de cette activité, elles restent néanmoins extrêmement présentes, surtout au niveau de l’économie illicite.

Figure 1. Des Philippins de Baseco exposant leurs cicatrices fièrement

L’ampleur du trafic d’organe aux Philippines

L’ampleur de ce commerce illicite est due entre autres par la grande demande qui ne cesse d’augmenter pour la transplantation d’organes. La fondation nationale du rein (The National Kidney Foundation) rapportait en 2012 qu’aux États-Unis, plus de 104 748 patients étaient en attente d’une transplantation d’organe et que plus de 4 000 nouveaux patients se rajoutaient chaque mois sur la liste d’attente [2]. L’ampleur que prend la demande justifie l’étendue de ce trafic qui s’étend au niveau transnational. Généralement, se sont les pays plus pauvres tels que l’Inde, le Pakistan, les Philippines, le Brésil…, qui sont les donneurs d’organes dans ce trafic, et les pays plus aisés financièrement, tels que les États-Unis, l’Australie, le Japon…, qui sont les principaux acheteurs et receveurs d’organes [3].

 

               Figure 2. Les pays typiques donneurs et receveurs d’organe

 

L’une des raisons pour lesquelles les Philippines se classent dans le top des pays exportateurs d’organe dans ce commerce est qu’il est l’un des pays ou le rein est le plus abordable sur le marché noir. Par exemple, selon l’ONG régionale « Asia Against Child Trafficking (Asia ACTS) », les reins philippins sont le moins cher sur le marché noirs, coutant seulement 1 500 USD, ce qui est 20 fois moins cher qu’aux États-Unis [4]. Ce prix extrêmement peu couteux est dû au vendeur de reins qui sont souvent des hommes philippins relativement jeunes et qui gagnent annuellement seulement 480 USD et qui ont généralement 7 ans d’éducation [5].

 

Est-ce un billet vers la richesse ou juste une illusion ? « One-day-millionaire »

Le facteur clé de cette prolifération de ce commerce clandestin aux Philippines est la pauvreté. En effet, ces trafiquants d’organes ont pour cible comme donneur les populations souffrant de pauvreté, telle qu’est le cas de Baseco, surnommée aussi « One Kidney Island ». Sur cette petite ile de Baseco, se trouvant dans la capitale de Manille, on estime qu’environ 3 000 des 100 000 habitants auraient vendu leurs reins [6].

 

Figure 3. L’île des donneurs de reins à Manille.

 

Les donneurs étant plongées dans une situation d’extrême pauvreté se retrouvent coincés dans un dilemme de survivance pour eux et souvent leur famille. Cette transaction représente pour eux une opportunité d’améliorer leurs conditions de vie et même de sortir de cette pauvreté. Malheureusement, elle ne représente qu’une solution économique de court terme comme plusieurs travailleurs d’ONG les appellent : les « One-day-millionaires » [7].

 

Cette promesse économique est souvent peu tenue et les trafiquants touchent une somme colossale contrairement aux donneurs [8]. Par exemple, le prix d’une transplantation de rein se situe entre 18 941 $ et 85 000 $ US et même plus, mais les donneurs touchent en moyenne 2 000 $ et moins [9]. De plus, cette transaction comporte d’énormes risques puisqu’ils peuvent être sujets à des infections et à des complications postopératoires [10]. Les donneurs reçoivent rarement un suivit postopératoire. Lorsqu’ils sont atteints de complications, ils doivent payer pour des traitements ou des soins en utilisant l’argent de cette transaction. Donc, l’argent gagné de cette vente d’organes s’évapore rapidement. Une autre conséquence postopératoire de la vente d’organe est que souvent le donneur ne peut pas retourner à son travail, qui consiste souvent à des travaux manuels qui demandent un effort physique considérable [11]. Par conséquent, ces individus ne sont pas en mesure de générer un revenu économique à la suite de l’opération, ce qui contribue à créer un gouffre financier par la suite. Alors, est-ce réellement un billet pour sortir de cette pauvreté ?

 

En conclusion, les trafiquants utilisent la situation vulnérable des régions pauvres aux Philippines pour prendre avantage de ceux-ci en utilisant une force de coercition et de tromperie sur le résultat. Sans compter que la vente de reins par les réseaux sociaux telle que Facebook est courante et même déconcertante. Pour réellement réduire ce trafic d’organe, il faudrait s’attaquer directement aux facteurs principaux de cette continuité : la pauvreté. Est-ce réellement un choix de liberté ou un abus de la situation vulnérable dans laquelle ces personnes se trouvent ?

 

Référence

[1] Leigh Turner, « Commercial Organ Transplantation in the Philippines », Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics 18, no 2 (avril 2009): 3, https://doi.org/10.1017/S0963180109090318.

2 Athena Smith, « Medical Tourism and Organ Trafficking », African Journal of Hospitality, Tourism and Leisure 2, no 1 (2012): 2.

3 Sallie Yea, « Trafficking in part(s): The commercial kidney market in a Manila slum, Philippines », Global Social Policy 10, no 3 (1 décembre 2010): 361, https://doi.org/10.1177/1468018110379989.

4 Gina Rocafort Gatarin, « Masculine Bodies in the Biocapitalist Era: Compromising Human Rights of Commercial Kidney Donors in the Philippines », Gender, Technology and Development 18, no 1 (2014): 108, https://doi.org/10.1177/0971852413515774.

5 Ibid.

6 Ibid., 108; Sallie Yea, « Trafficking in part(s): The commercial kidney market in a Manila slum, Philippines », Global Social Policy 10, no 3 (1 décembre 2010): 362, https://doi.org/10.1177/1468018110379989.

7 Rocafort Gatarin, « Masculine Bodies in the Biocapitalist Era: Compromising Human Rights of Commercial Kidney Donors in the Philippines », 118.

8 Leigh Turner, « Commercial Organ Transplantation in the Philippines », Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics 18, no 2 (avril 2009): 194, https://doi.org/10.1017/S0963180109090318.

9 Ibid., 193.

10 Ibid., 194.

11 Ibid.

Bibliographies

II, Editor. « Kidney for Sale: How Organs Can Be Bought via Social Media in the Philippines ». Malaysia Today (blog), 20 octobre 2019. https://www.malaysia-today.net/2019/10/20/kidney-for-sale-how-organs-can-be-bought-via-social-media-in-the-philippines/.

News, G. M. A. « Displaced Filipino Workers Turn to Selling Own Kidneys to Survive amid Pandemic ». GMA News Online. https://www.gmanetwork.com/news/lifestyle/healthandwellness/752514/displaced-filipino-workers-turn-to-selling-own-kidneys-to-survive-amid-pandemic/story/.

Rocafort Gatarin, Gina. « Masculine Bodies in the Biocapitalist Era: Compromising Human Rights of Commercial Kidney Donors in the Philippines ». Gender, Technology and Development 18, no 1 (2014): 107‑29. https://doi.org/10.1177/0971852413515774.

Scheper-Hughes, Nancy. « Parts Unknown: Undercover Ethnography of the Organs-Trafficking Underworld ». Ethnography 5, no 1 (mars 2004): 29‑73. https://doi.org/10.1177/1466138104041588.

Smith, Athena. « Medical Tourism and Organ Trafficking ». African Journal of Hospitality, Tourism and Leisure 2, no 1 (2012): 9.

Turner, Leigh. « Commercial Organ Transplantation in the Philippines ». Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics 18, no 2 (avril 2009): 192‑96. https://doi.org/10.1017/S0963180109090318.

Yea, Sallie. « Trafficking in part(s): The commercial kidney market in a Manila slum, Philippines ». Global Social Policy 10, no 3 (1 décembre 2010): 358‑76. https://doi.org/10.1177/1468018110379989.

Figure et vidéo

Vidéo — Bouchard, Hervé. 2021. L’île des donneurs de reins à Manille. Investigations et Enquêtes. https://www.youtube.com/watch?v=kI3BeysLjbg

Figure 1  — Journal, The Asia Pacific. « A Suitable Donor: Harvesting Kidneys in the Philippines ». The Asia-Pacific Journal: Japan Focus. https://apjjf.org/2014/12/50/Rey-Ventura/4235.html.

Figure 2 — http://www.ldysinger.com/ThM_590_Intro-Bioeth/16_org-donat/04b_incentives-abuses2.htm Source: Coalition for Organ Failure Solutions, Organs Watch, ESOT

 

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