Le Traité du Golfe du Tonkin, un Accord Réussi ?

LE TRAITÉ DU GOLFE DU TONKIN, UN ACCORD RÉUSSI ?

Par Ryan Hochberg

Deux cousins à l’histoire entremêlée depuis un millénaire. Une relation de haine et d’amour depuis la décolonisation. Il existe de nombreuses analogies pour décrire la confrontation entre le dragon d’Asie de l’Est et celui du Sud-Est : la Chine et le Vietnam. De cette épopée commune, un point de friction récurrent : la mer de Chine Méridionale et le golfe du Tonkin.

Imaginez-vous un magnifique gâteau. À la table sont assis nos deux frères ennemis. Chacun d’entre eux cherche à en obtenir la plus grosse part. Cependant, le golfe du Tonkin est une mer semi-fermée s’ouvrant sur la mer de Chine Méridionale.1 Encerclée au nord et à l’est par la Chine et à l’ouest et au sud-ouest par le Vietnam, elle est un atout pour les deux États, en termes de ressources et de stratégie à long terme, de par le trafic commercial.

Le 25 décembre 2000, un consensus entre le Vietnam et la Chine, considéré comme nécessaire par les deux États 2 depuis 1991,3 vis-à-vis de leur frontière maritime est signé et effectif le 30 juin 2004. Cet accord, encadré dans son écriture et son application par le droit international, 4 entre deux puissantes voisines marque un tournant dans les relations sino-vietnamiennes, qui étaient jusqu’alors marquées par une hostilité commune, illustrée par les coups de force chinois en Mer de Chine Méridionnale.

Le Premier ministre vietnamien, Phan Van Kha, affirma ainsi en septembre 2000 que « ce problème sera résolu à la fin de l’année pour faire des frontières terrestre et maritime vietnamo-chinoises une frontière de paix et de stabilité durables au XXIe siècle ».5

Cette affirmation illustre parfaitement l’importance, pour le Vietnam et la Chine, du golfe du Tonkin dans leur développement respectif et l’espoir suscité par cet accord. En effet, les ressources présentes et à découvrir font partie d’une stratégie bien plus large de la part des deux États de sécurisation de leurs frontières maritimes et d’indépendances en matière énergétique, avec les hydrocarbures et le gaz naturel; et alimentaire, avec les eaux poissonnière.6  D’un côté le poisson, base de l’alimentation des populations de la mer de Chine Méridionale, et de l’autre les hydrocarbures et l’indépendance énergétique.

Le Vietnam joua ainsi une excellente carte avec un accord bilatéral avec son premier partenaire commercial, mais aussi assez équitable proportionnellement à la puissance de l’Empire du Milieu.7 En quelque sorte, le Traité du golfe du Tonkin est l’illustration parfaite de la ligne directrice prise par le « pays des Viets » et la République Populaire de Chine dans les années 2000 : « proximité amicale, coopération volontaire, stabilité à long terme, et relation projetée dans le futur ».8 Seulement, cet accord, comme beaucoup d’autres, ne survivra que partiellement à l’épreuve du temps.

Les années 2010 marquent un tournant dans les relations sino-vietnamiennes. Malgré l’accord du golfe du Tonkin, des incidents eurent lieu durant la totalité de la mise en place du traité.9 Les îles, atolls et récifs de la Mer de chine Méridionale constituent un point sensible dans la politique étrangère de la majorité des pays d’Asie du Sud-Est. Dans le cas du Vietnam, l’expansion chinoise dans la région, qu’elle soit militaire ou économique, vient en totale opposition avec les revendications historiques de ce dernier 10 et la ligne directrice dressée par l’Accord du golfe du Tonkin.

En réaction, en 2012, le Vietnam modifie sa loi vis-à-vis des eaux vietnamiennes et, en accord avec le droit international, ne se limite plus à utiliser des « moyens pacifiques » dans sa résolution des disputes maritimes.11 L’heure de la « coopération volontaire » et de la « proximité amicale » est révolue et le Vietnam se donne les moyens de faire valoir ses droits sur les eaux territoriales du golfe du Tonkin.

Le point culminant de ce retournement de veste de la part du Vietnam est la requête devant le Tribunal international pour le droit de la mer sur la reconnaissance de ses privilèges en mer de Chine Méridionale.12 Le temps n’est plus au compromis avec un voisin de plus en plus invasif, que l’Accord du Tonkin, toujours officiellement en vigueur, ne saura ralentir dans son expansion régionale.

On ne peut alors dissocier les évènements du golfe du Tonkin avec ceux de la Mer de Chine Méridionnale, l’une impliquant l’autre dans la politique étrangère des États impliqués. Le Vietnam, dans sa relation instable avec la Chine, cherche à plaire à son voisin chinois, sans pour autant oublier ses intérêts.13

Somme toute, le Traité du golfe du Tonkin est une réussite, dans le sens où il a réussi à constituer une base juridique dans la résolution de la ligne de démarcation des eaux territoriales chinoises et vietnamiennes. Cependant, il est nécessaire de nuancer la portée de ce traité, du fait du contexte dans lequel il s’inscrit et du maintien d’un statu quo fragile.14 Les litiges continueront d’émerger, et les incidents continueront d’éclater.

La question qui se pose alors est la suivante : le Vietnam sera-t-il prêt à faire face en cas d’allumage de cette poudrière sud-est asiatique ?

 

TAGS : Géopolitique, Mer de Chine Méridionale, Vietnam, Bilatéralisme

 

1 Organisation des Nations Unies, p.200

2 Voir Do Thanh Hai, p.102

3 Vietnam New Agency, en ligne

4 Voir Murray Hiebert, Phuong Nguyen et Gregory B. Poling p.44

5 Voir Thi Hanh Nguyen, §57, en ligne

6 Voir Véronique Schultz, p.4

7 Voir Véronique Schultz, p.4

8 Voir Do Thanh Hai, p.102

9 Voir Do Thanh Hai, p.107

10 Voir Ian Storey, §3, en ligne

11 Voir Nguyen Hong Thao, p.232

12 Voir Véronique Schultz, p.1

13 Voir Véronique Schultz, p.2

14 Voir Ian Storey, §23, en ligne

 

 

Bibliographie :

Auteur Inconnu. Date inconnu. « Carte Topographique : Gulf of Tonkin ». Consultée le 20 décembre 2021. https://fr-fr.topographic-map.com/maps/zd9i/Gulf-of-Tonkin/

 

Hai, Do Thanh. 2016. Vietnam and the South China Sea: Politics, Security and Legality. London: Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315680781.

 

Hiebert, Murray, Phuong Nguyen, et Gregory B. Poling. 2014. Perspectives on the South China Sea : Diplomatic, Legal, and Security Dimensions of the Dispute. Lanham, MD, UNITED STATES: Center for Strategic & International Studies. http://ebookcentral.proquest.com/lib/umontreal-ebooks/detail.action?docID=1821921.

 

Kassay, Marco Hernández, Daniel Bland and Michael. s. d. « Conflicting Claims ». South China Morning Post. Consulté le 5 octobre 2021. https://multimedia.scmp.com/2016/southChinaSea/index.html.

 

Nguyen, Thi Hanh. 2019. « 3. Le processus de délimitation frontalière dans le golfe du Tonkin de 1954 à nos jours ». In Les conflits frontaliers sino-vietnamiens : De 1885 à nos jours, 229‑50. Quaero. Paris: Demopolis. http://books.openedition.org/demopolis/1401.

 

Organisation des Nations Unies. 2005. « Recueil des Traités:  Traités et accords internationaux enregistrés ou classés et inscrits au répertoire au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies ». Secrétariat des Nations Unies. https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%202336/v2336.pdf

 

Schultz, Véronique. 2015. « Différend maritime Vietnam/Chine : tensions en Mer de Chine méridionale ». Centre de documentation de l’École Militaire. https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2341/infoveilles_35_vietnam_mer-de-chine.pdf.

 

Storey, Ian. 2014. « Discordes en mer de Chine méridionale : les eaux troubles du Sud-Est asiatique ». Politique étrangère Automne (3): 35‑47. https://doi.org/10.3917/pe.143.0035.

 

Thao, Nguyen Hong. 2021. « Vietnam’s South China Sea policy ». In Routledge Handbook of the South China Sea. Routledge.

 

Vietnam New Agency. 2021. « Vietnam – China Boundary Delimitation Agreement in the Gulf of Tonkin ». VietnamPlus. 11 janvier 2021. https://en.vietnamplus.vn/vietnam-china-boundary-delimitation-agreement-in-the-gulf-of-tonkin/194526.vnp.

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