Le gouvernement et l’économie, une relation fusionnelle à Singapour?

Par Naledi MASANABO

 

Connue pour sa croissance économique phénoménale, le jeune État créé en 1965 a réussi à acquérir une stabilité politique et stimuler une croissance économique rapide. Mais quel est le rôle du gouvernement dans cette croissance économique ? À quel point est-il impliqué dedans ?

 

Démocratique ? Autoritaire ?

 

De nombreux débats ont pris place autour du régime politique de Singapour. Afin de mieux le comprendre il est important de commencer par cadrer la situation politique de cette dernière. Singapour est une république parlementaire monocamérale, c’est-à-dire que le gouvernement dépend de la confiance du parlement et le pouvoir législatif n’est détenu que par une seule chambre. La cité-État a donc vu le jour sous l’élection du Parti d’action populaire (PAP) fondé par Lee Kuan Yew, qui encore aujourd’hui reste le parti dominant avec comme chef de parti et premier ministre, le fils de Lee Kuan Yew, Lee Hsien Long.

 

Développé dans l’article « Singapour, un régime démocratique autoritaire, mais durable. », plusieurs éléments font de Singapour une démocratie. Les élections récurrentes avec la présence d’une opposition qui demeure tout de même extrêmement faible, l’oriente vers la démocratie. Néanmoins la constante réélection du PAP depuis l’indépendance de Singapour et le fort contrôle qu’exerce le gouvernement sur la population sont des caractéristiques qui la rapprochent d’un régime autoritaire. C’est pourquoi Singapour a cette appellation de régime « semi » autoritaire.

 

Sur quel plan l’État est-il impliqué et à quel point ?

 

Très tôt, le gouvernement s’est impliqué et inséré dans l’économie. En effet, on peut considérer l’État comme le principal « architecte et régulateur » de l’économie, « il régule les terres, la main d’œuvre et les capitaux » [1][2]. La création d’entreprises qu’il conserve sous sa tutelle par l’intermédiaire du groupe Temasek Holdings, a permis au gouvernement d’avoir la main mise sur son secteur économique et de ne pas trop dépendre des multinationales étrangères.

 

Dès l’indépendance, le PAP a institutionnalisé les syndicats sous le National Trade Union Congress (NTUC), dont il nomme le secrétaire général, lui permettant d’empêcher toute possible insurrection et de repérer et licencier les travailleurs les plus rebelles. Il contrôle la main d’œuvre. L’implication de l’État ne s’arrête néanmoins pas là. En 2003, il lance le « Workforce Development Agency » (WDA), ayant pour but d’offrir des formations aux travailleurs qui ont des difficultés à trouver du travail ou qui l’ont déjà perdu plusieurs fois. De cette façon, il peut aussi orienter le sens de son développement économique, c’est-à-dire dans quel secteur il va produire plus de main d’œuvre pour développer son économie.

Figure 2. Prime Minister’s Office. A gauche le Premier Ministre adjoint Tharman Shanmugaratnam au lancement de Skillfuture Credit Marketplace, une campagne organisée par le WDA afin d’offrir des formations dans divers domaines. 2016

Le PAP assure aussi sa place dans le secteur financier avec le Banking Act de 1970. Cette loi oblige à toutes les compagnies bancaires ou d’assurances de faire approuver leur PDG par l’Autorité Monétaire de Singapour.

 

Comme expliqué dans l’article, « Singapour, le succès économique du 20ème siècle », le gouvernement singapourien a instauré un programme d’aide au logement qui lui a permis d’une certaine façon de prendre le contrôle des terres du territoire. Plus précisément, en 1966, l’État promulgue le « Land Acquisition Act », qui autorise l’acquisition obligatoire des terres par l’État à des fins de développement. L’ancien propriétaire se voit alors recevoir une compensation financière [3] pour le dédommager ?. En 1985, le gouvernement possédait déjà 75% des terres (4). Aujourd’hui, ce quota est passé à 90%, (5) faisant de l’État le premier distributeur des terres à Singapour.

 

 

En quoi l’État a été un facteur du succès économique de Singapour ?

 

La politique et les valeurs même du PAP favorisaient la croissance économique de la cité-État à l’instar d’idées sur la liberté d’expression ou de presse. Le fondateur du PAP avait en tête que le développement économique de Singapour primait sur le développement politique de la cité-État et que pour ce faire, une certaine stabilité politique était sine qua non (6). Le gouvernement a donc constamment renforcé l’idée que le toutes rébellions ou manque de « coopération » du peuple, ne seraient que des inhibiteurs à la prospérité de Singapour. La présence constante de ces idées sur lesquelles se sont fondées le PAP lui ont permis d’affirmer la légitimité de ces décisions et de dériver l’attention des questions de liberté d’expression ou de presses. La population, donc prompte à recevoir des directives et les appliquer sans revendications ou questionnement, a permis une assimilation rapide des lois et des règles.

Un autre élément mis en avant par les universitaires est la notion de « Kiasu » (7). Cette dernière est une mentalité intrinsèque à la culture singapourienne. Ce mot, dérivant du dialecte chinois hokkien signifiant « la peur de passer à côté » (8), explique cette résilience singapourienne de mettre en œuvre tous les moyens possibles pour atteindre leurs objectifs.

 

 

En conclusion l’État est un facteur non-négligeable dans la croissance économique de Singapour, c’est un joueur clef sur l’échiquier économique. Singapour est considéré comme un succès qui s’oppose à la théorie de la main invisible et inviterait l’intervention gouvernementale. Néanmoins divers facteurs comme la stabilité politique, du fait que le parti dominant reste le PAP après toutes ces années, et les valeurs transmises à la population ont permis à l’État de pouvoir dominer les affaires économiques sans révoltes.

 

(1) Grice et Drakakis-Smith, 354

(2) Siddiqui, 15,

(3) National Library board, En ligne

(4) Grice et Drakakis-Smith, 354

(5) Wiley, En ligne

(6) Martin-Jones, 122

(7) Martin-Jones, 138

(8) Martin-Jones, 138

 

Bibliographie

 

 

Cavallo, Judith. « Singapour, un régime démocratique autoritaire, mais durable » (blogue), 20 juin 2017. https://redtac.org/asiedusudest/2017/06/20/singapour-un-regime-democratique-autoritaire-mais-durable/

 

Grice, Kevin et Drakakis-Smith, David. 1985. “The Role of the State in Shaping Development: Two Decades of Growth in Singapore.” Transactions of the Institute of British Geographers 10(3) : 347–59. https://doi.org/10.2307/622183

 

History Singapore. 2019. « Land Acquisition Act is enforced 17th of June 1967 ». Singapour : National Library Board. En ligne. https://eresources.nlb.gov.sg/history/events/1f669eff-bc82-49d1-a27c-2624e4cab8c6

 

Martin-Jones, David. 1997. “Economic development, Asian values and the political ordering of contemporary Singapore.” Humboldt Journal of Social Relations 23(½) :121–45. http://www.jstor.org/stable/23263492.

 

Perspective Monde. 2016. « Singapour ». Lettres et sciences humaines. Université de Sherbrooke. En ligne. http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/pays/SGP/fr.html

 

Purves Andrew. 2016. “Urban Land Rent: Singapore as a Property State”. Land & Liberty. Londres: Land & Liberty. https://www.landandliberty.net/urban-land-rent-singapore-as-a-property-state/

 

Siddiqui, Kalim. 2010. « The Political Economy of Development in Singapore ». Research in Applied Economics 2(2): 1-26. https://doi.org/10.5296/rae.v2i2.524.

 

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