Cambodge – Japon: économie et stratégie

Par Laurianne Bossé

Depuis la fin des années 80, plus spécifiquement depuis la fin du régime khmer, le Japon s’implique financièrement au Cambodge, multipliant les ententes et, surtout, les investissements. Dans le cadre des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), tribunal qui traduit en justice les dirigeants du régime khmer encore en vie, le Japon a contribué pour 87 millions de dollars américains, soit près de 30% de l’aide financière internationale. [1] Ainsi, l’État japonais s’implique de façon significative dans le processus de restauration de la paix au Cambodge, mais à quelles fins?

Du point de vue japonais, le Cambodge occupe une position clé, hébergeant une partie du Mékong et se situant dans le corridor économique sud de la région sud-est asiatique. [2] L’État cambodgien est également un point d’entrée important pour les relations japonaises avec l’ASEAN.

Ainsi, les relations bilatérales entre le Cambodge et le Japon ont été officialisées en 2007, mais depuis 2013, cette relation a évolué : on parle désormais d’un « Strategic Partnership », accord par lequel le Japon s’engage à contribuer 134 millions de dollars américains en nouveaux prêts en soutien à trois projets de développement. [3] La diplomatie japonaise d’après-guerre est donc passée de « Pacifisme passif » à « Pacifisme proactif », notamment par une aide financière via l’ONU, mais aussi en envoyant du personnel des Forces japonaises d’autodéfense pour contribuer au processus de paix. [4]

Mais qu’est-ce qui motive réellement le Japon à s’impliquer au Cambodge? Outre la position géostratégique de l’État dans la région et son importance comme membre de l’ASEAN, le Cambodge a également une croissance économique annuelle de 7%  et l’objectif de rejoindre la tranche supérieure des États à revenus intermédiaires d’ici 2030. [5] Ainsi, le Cambodge cherche à renforcer son économie et sa place dans le marché mondial.

Il est intéressant d’observer que l’octroi de l’aide publique au développement (APD) japonaise suit les idéaux et les intérêts occidentaux. [6] En effet, le Japon encourage une stratégie de développement qui met entre autres l’accent sur l’amélioration de la gouvernance. [7] Suite aux événements du régime khmer, le Japon s’est toujours impliqué activement dans le processus de pacification nationale et de reconstruction. 

Les intentions et la philosophie japonaises quant à l’APD se traduisent par la forme que prend cette aide, mais aussi les secteurs qu’elle touche. En effet, la majorité des fonds japonais sont en fait des subventions, et non des prêts. Ainsi, ces subventions, en 2010, comptaient pour près de 89,45% de l’APD totale japonaise. [8] C’est ce qui fait la particularité du Japon, notamment en comparaison de l’aide envoyée par la Chine. De plus, le Japon s’assure d’octroyer des subventions dans tous les secteurs des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) de l’ONU, soient en santé, en éducation, en agriculture et en développement rural, notamment. [9] Il est aussi pertinent de noter qu’en 2010, 30% de l’APD japonaise était destinée au secteur du transport et que la plupart des projets réalisés visaient le transport en zone rurale plutôt qu’en zone urbaine. [10] Ces chiffres attestent donc de la volonté du Japon de prioriser, non pas qu’une entente politique, mais plutôt une relation bilatérale durable, basée sur la confiance et la coopération.

L’évolution de la relation entre les deux États au statut de Partenariat stratégique en 2013 ne concerne pas que l’économie, mais aussi la coopération pour les questions de sécurité et de défense. En effet, les deux États se sont engagés à une coopération militaire et policière, ce qui n’avait jamais eu lieu auparavant. De plus, cette nouvelle relation s’accompagne aussi d’un pacte de liberté de survol entre le Cambodge et le Japon. [11]

Ces initiatives et ces ententes particulières ne sont pas sans raison. En effet, les velléités territoriales de la Chine dans les années récentes ne laissent aucun État asiatique impassible. Le Japon et le Cambodge ont tous deux leurs soucis territoriaux avec la puissance chinoise, dans la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale. Malgré le fait que, collectivement, l’ASEAN ne se soit pas prononcé sur les tentatives de conquête territoriale chinoises, il reste que plusieurs États s’inquiètent. Cela peut expliquer en partie le rapprochement du Cambodge et du Japon, l’équilibre géopolitique et géoéconomique de la région étant de moins en moins stable. [12]

Il est encore difficile de dire comment les choses changeront dans l’ASE. Malgré tout, si une chose semble sûre, c’est que le Japon et le Cambodge ont l’intention de poursuivre leurs relations diplomatiques, fondées sur un entendement et une confiance mutuels.

 

1 MOFA, p.62

2 MOFA, p.60

3 L. S. Onn, p.196-197

4 L. S. Onn, p.191

5 MOFA, p.60

6 Ky et al., p.339

7 MOFA, p.60

8 Ky et al., p. 339

9 Ibid.

10 Ibid.

11 L.S. Onn, p.197

12 Ibid.

 

Bibliographie

KY, Sereyvath, Cheon-Woo LEE, et Peter J. STAUVERMANN. 2012. « A Comparative Study on Characteristics of ODA of China-Japan-Korea to Cambodia. » Journal of East Asian Economic Integration 16, no. 4: 333-361.

Ministère des affaires étrangères du Japon (MOFA). Diplomatic Bluebook 2020. Octobre 2020. p.60-62. [https://www.mofa.go.jp/fp/pp/page22e_000932.html]

ONN, Leang Sim. 2018. « Cambodia-Japan relations: The bumpy and winding road to the strategic partnership and beyond. » dans Cambodia’s Foreign Relations in Regional and Global Contexts: 179-203.

 

Pour en savoir plus :

L’implication étrangère dans le processus de paix :

Dosch, Jorn. 2012. « The Role Of Civil Society In Cambodia’s Peace-Building Process: Have Foreign Donors Made A Difference? » Asian Survey 52, (6) (11): 1067-1088, https://www.proquest.com/scholarly-journals/role-civil-society-cambodias-peace-building/docview/1322711648/se-2?accountid=12543 

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