La Malaisie : Vers un basculement en faveur de la Chine ?

L’Asie du Sud-Est : un enjeu géostratégique sino-américain.

La Malaisie : Vers un basculement en faveur de la Chine ?

 

La période post-guerre froide ainsi que les nombreux accords notamment commerciaux entre la Malaisie et la Chine ont inévitablement rapproché les deux pays, tandis que l’influence des États-Unis a conjointement diminué dans la région. La Malaisie détient un atout majeur puisque c’est un pays côtier du détroit de Malacca, qui est un passage stratégique dans la région constituant la principale route d’approvisionnement en pétrole de la Chine.  Les relations entre Kuala Lumpur et Pékin sont en nette amélioration : les deux pays partagent de nombreux intérêts communs autant politiques qu’économiques. Tandis que pour Washington, malgré une relation économique importante avec la Malaisie, le passage de Donald Trump à la Maison- Blanche a affaibli l’influence des États-Unis dans la région. Ainsi, la situation actuelle nous incite à nous interroger sur la question suivante : l’évolution de la Malaisie au sein de la rivalité sino-américaine reflète-t-elle de la tendance régionale d’une perte d’influence de Washington dans la région de l’Asie du Sud-Est au profit de l’expansion de Pékin ? 

Une multitude d’intérêts et un rapprochement logique entre Kuala Lumpur et Pékin.

            La relation entre la Malaisie et la Chine est marquée par la convergence d’une pluralité d’intérêts qui a aujourd’hui rapproché les deux gouvernements. L’apport du gouvernement chinois en Malaisie est avant tout politique : Pékin est un soutien inconditionnel du parti politique au pouvoir à Kuala Lumpur, le parti de United Malays National Organisation (UMNO). Même après le scandale de corruption du Premier ministre Najib Razak, en 2013 le président chinois a publiquement affiché son soutien au parti détenteur du monopole de la gouvernance en Malaisie[1].

Au-delà de la concurrence avec les États-Unis, la Chine voit en la Malaisie des intérêts économiques et stratégiques majeurs. La Malaisie est en passe de devenir un pays à haut revenu puisque le niveau de richesse rapporté à la population malaisienne classe le pays au deuxième rang parmi les pays membres de l’ASEAN après Singapour[2]. L’atout géopolitique principal de la Malaisie réside dans l’existence du détroit de Malacca, un bras de mer partagé entre la côte est de la Malaisie et l’ile indonésienne de Sumatra. Le détroit de Malacca est l’un des passages maritimes les plus importants au monde puisqu’environ deux tiers des flux de pétrole et de gaz du monde y transitent[3]. La Chine est donc dépendante du détroit de Malacca puisqu’étant devenue un pays très énergivore la majorité de ses besoins énergétiques circule par le détroit de Malacca. On considère désormais que 60% des navires transitant dans le détroit sont chinois[4].

 

Figure 1. L’importance commerciale du détroit de Malacca[5].

Ainsi, pour Pékin il existe un véritable « dilemme de Malacca » : le gouvernement chinois est conscient que si le détroit de Malacca venait à être bloqué, l’économie chinoise serait fortement déstabilisée[6]. Cette donnée géographique contraint ainsi Pékin à s’allier avec les États riverains du détroit, dont la Malaisie afin d’assurer la libre circulation au sein du détroit. C’est dans cette optique qu’en 2005, à Kuala Lumpur, la Chine a ratifié des partenariats économiques ainsi que des accords maritimes avec la Malaisie et l’Indonésie[7].

Cependant, malgré des intérêts communs et les bénéfices économiques et politiques issus de la relation entre Kuala Lumpur et Pékin, la Malaisie, à l’instar des états d’Asie du Sud-Est, demeure pragmatique et tente de respecter une diplomatie flexible vis-à-vis des grandes puissances afin de ne pas être trop dépendant de sa relation avec la Chine[8].

Washington et l’Asie du Sud-Est, une instabilité diplomatique exacerbée par l’administration Trump.

L’administration Obama considérait les États d’Asie du Sud-Est comme les « pivots » de la stratégie diplomatique et stratégique américaine en Asie. Malgré les limites de la stratégie dites des « pivots », celle-ci elle avait comme mérite une certaine vision de long terme. Le passage de Trump à la Maison-Blanche a fracturé cette stratégie. Cette administration diplomatique marquée par une instabilité permanente a brouillé la lisibilité de la stratégie sur le long terme des États-Unis. Ce manque de visibilité de la diplomatie américaine a incité les pays de l’ASEAN à être méfiants et à douter de la fiabilité de Washington en tant qu’allié[9]. Ainsi, les errements des États-Unis ont conduit la première puissance occidentale à perdre de l’influence en dehors de ses frontières, au profit de leur rival chinois[10]. Le symbole de l’isolationnisme américain sous Trump est le désengagement des États-Unis du traité multilatéral de libre-échange le Trans-Pacifique Partnership (TPP)[11], « L’annonce de l’administration Trump est donc une victoire pour Pékin, qui voit le terrain se dégager, et on peut aisément imaginer que de nombreux membres du TPP vont se rapprocher de la Chine »[12].

La situation de la Malaisie au sein de la rivalité sino-américaine reflète un avantage de Pékin face à Washington. Plus largement cette tendance semble s’illustrer ailleurs dans le monde : la politique d’isolement sous la présidence de Trump ainsi que le récent retrait catastrophique des troupes en Afghanistan sont divers facteurs qui illustrent une importante perte de prestige pour les États-Unis. Malgré cela, les relations internationales sont en constante évolution. Le souhait affiché par l’administration de Joe Biden de se maintenir dans la région de l’Asie du Sud-Est peut ainsi modifier dans les prochaines années notre lecture des tensions sino-américaines en Asie.

 

 

 

 

 

 

 

TAGS : Malaisie, Chine, États-Unis, détroit de Malacca.

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie.

 

Courmont, Barthélémy. « La relation sino-américaine d’Obama à Trump. » L’Europe en Formation 1, n°382 (2017) : 83-95. https://doi.org/10.3917/eufor.382.0083.

 

Delfolie, David, Nathalie Fau et Elsa Lafaye de Micheaux. Malaisie – Chine : une « précieuse » relation. Bangkok : Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 2016. doi :10.4000/books.irasec.111.

 

Fau, Nathalie. « Les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de Malacca ». Géoéconomie 67, n°4 (2013) : 123-140. https://doi.org/10.3917/geoec.067.0123.

 

Figure 1. Horizons-Malacca. Provenant de L’Humanité. « Malacca, cœur de toutes les rivalités en Asie du Sud-Est ». 29 janvier, 2016. https://www.humanite.fr/malacca-coeur-de-toutes-les-rivalites-en-asie-du-sud-est-597463.

 

Lafaye de Micheaux, Elsa. « Chine-Malaisie (vue de Malaisie) : menace ou relation consensuelle inscrite dans la continuité ? ». Revue de la régulation 2, n° 15 (2014). doi : 10.4000/regulation.10760.

 

Mauldin, William. “Donald Trump Withdraws U.S. From Trans-Pacific Partnership TPP agreement was aimed at curbing China’s advantages”. The Wall Street Journal, 23 janvier, 2017. http://prasad.dyson.cornell.edu/doc/WSJ.23Jan17.pdf.

Ministère de l’Économie, des finances et de la relance. Situation économique et financière. Paris : ministère de l’Économie, des finances et de la relance. Direction générale du trésor, 2018. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/MY/situation-economique-et-financiere.

Roche, Yann. « Les puissances en mers du Sud-Est asiatique ». Dans L’Asie du Sud-Est à la croisée des puissances, sous la direction de Serge Granger et Dominique Caouette, 97-112. Montréal : Les presses de l’Université de Montréal, 2019.

[1] Elsa Lafaye de Micheaux, « Chine-Malaisie (vue de Malaisie) : menace ou relation consensuelle inscrite dans la continuité ? », Revue de la régulation 2, n° 15 (2014), doi : 10.4000/regulation.10760.

[2] Ministère de l’Économie, des finances et de la relance, Situation économique et financière. (Paris : ministère de l’Économie, des finances et de la relance. Direction générale du trésor, 2018), https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/MY/situation-economique-et-financiere.

[3] Nathalie Fau, « Les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de Malacca », Géoéconomie 67, n°4 (2013), https://doi.org/10.3917/geoec.067.0123.

[4] Fau, « Les enjeux économiques du détroit de Malacca ».

[5] Figure 1. Horizons-Malacca. Provenant de L’Humanité. « Malacca, cœur de toutes les rivalités en Asie du Sud-Est ». 29 janvier, 2016. https://www.humanite.fr/malacca-coeur-de-toutes-les-rivalites-en-asie-du-sud-est-597463.

[6] Fau, « Les enjeux économiques du détroit de Malacca ».

[7] Ibid

[8] David Delfolie, Nathalie Fau et Elsa Lafaye de Micheaux, Malaisie – Chine : une « précieuse » relation (Bangkok : Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 2016), doi : 10.4000/books.irasec.111.

[9] Yann Roche, « Les puissances en mers du Sud-Est asiatique », dans L’Asie du Sud-Est à la croisée des puissances, dirs. Serge Granger et Dominique Caouette (Montréal : Les presses de l’Université de Montréal, 2019).

[10] Roche, « Les puissances en mers du Sud-Est asiatique ».

[11] William Mauldin, “Donald Trump Withdraws U.S. From Trans-Pacific Partnership TPP agreement was aimed at curbing China’s advantages”, The Wall Street Journal, 23 janvier, 2017, http://prasad.dyson.cornell.edu/doc/WSJ.23Jan17.pdf.

[12] Barthélémy Courmont, « La relation sino-américaine d’Obama à Trump », L’Europe en Formation 1, n°382 (2017) : 93, https://doi.org/10.3917/eufor.382.0083.

 

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