Le port du jilbab en Indonésie : entre religion et politique

par Anaïs Jacquot

Bien que le port du jilbab en Indonésie ne soit pas obligatoire pour toutes, ce foulard de tête porté par les femmes ne représente pas qu’une religion, mais procure également un certain pouvoir politique. Même si l’Islam a commencé son expansion sur le sol indonésien entre le 13e et 16e siècle, le port du jilbab n’y a été adopté que vers la fin du 20e siècle [1]. Depuis, dans la société moderne indonésienne, ce vêtement se fait de plus en plus populaire auprès de toutes les tranches d’âge chez les femmes, contrairement aux années 1970 alors qu’il n’était porté que durant les heures de classes. Aujourd’hui, le jilbab n’est plus seulement symbole de son allégeance à l’Islam, puisque sa présence montante dans le monde de la mode indonésienne en fait aussi une partie intégrante de l’habit quotidien de politiciennes, de banquières et même d’artistes [2]. Mais pourquoi les femmes le portent-elles et en quoi cela influence-t-il la scène politique?

Pourquoi porter le jilbab?

Alors que le port d’un couvre-tête est encore peu commun en Indonésie et que sous Sukarno, président du pays de 1945 à 1967, l’image de la femme indonésienne qui représente la nation est celle d’une femme aux cheveux découverts montés en un chignon orné d’accessoires et portant un sac à main. C’est à cette époque que les femmes musulmanes adoptent le krudung, une adaptation du hijab qui ne couvre qu’en partie les cheveux et ne cache pas le cou [3] avant d’adopter le jilbab. Comme mentionné plus haut, le port du jilbab était principalement visible dans les écoles durant les années 1970, mais à partir des années 1980, une polémique sur le sujet vit le jour, impliquant le port de celui-ci et l’uniforme des écoles dans lesquels il ne faisait pas partie [4]. Après une certaine période, maintenant fin années 1990, une nouvelle règle s’impose dans les écoles : « pour cause de considérations religieuses et de traditions locales, une école peut avoir l’autorité sur la conception de son uniforme, spécialement pour les étudiantes, mais incluant tous les étudiants de l’établissement » [5]. C’est suite à cette règle que, même si les étudiantes d’écoles publiques n’étaient pas obligées de porter le jilbab, contrairement à celles allant dans des établissement privés islamiques, le style de ce vêtement évolua en ce qu’il est aujourd’hui et gagna en popularité auprès des étudiantes vieillissantes [6].

Le port du krudung [Bincang Syariah]

En ce qui attrait aux raisons du port du jilbab chez les femmes, celles-ci ne s’arrêtent pas qu’à l’obligation par l’Islam. En effet, avec la modernisation de la société indonésienne, le voile gagne en popularité grâce à l’expansion de la religion et cela en fait la raison principale de son port. Toutefois, cette popularité est également liée au style du jilbab et à l’allure qu’il donne à celles qui le portent, certaines trouvant même qu’elles sont d’autant plus belles lorsqu’elles en sont adornées. Cependant, il est vrai que ce vêtement fait également partie intégrante de l’identité musulmane, en faisant parfois un symbole difficile à enlever, même s’il n’est pas nécessairement obligatoire [7]. Chaque femme a donc ses propres raisons pour porter le jilbab, mais elles sont toutes majoritairement reliées à leur croyance religieuse.

La place du jilbab en politique

Concernant la scène politique indonésienne et la place que le port du jilbab peut y avoir, les femmes en sont conscientes depuis maintenant plusieurs décennies et divers évènements démontrent que celles-ci n’ont pas qu’accepté les politiques instaurées par l’État pour les femmes. Elles ont en fait cherché différentes façons d’intégrer leurs idées et leurs programmes à ceux du gouvernement au fil des années [8]. Par exemple, le groupe Nasyiatul Aisyiyah, devenu autonome en 1965, s’est servi de l’Islam comme point d’ancrage pour améliorer les conditions féminines durant le ‘New Order Regime’ de 1965 à 1998 [9]. Aujourd’hui, les femmes du monde politique vont aussi porter le jilbab parce qu’il leur donne l’image de quelqu’un qui est religieux et améliore leur profil public [10]. Ceci fut utilisé comme stratégie politique en 2009 par le parti Golkar, dont le dirigeant décida de prendre des photos de ses candidats et de leurs femmes voilées pour mettre sur ses pancartes électorales, en contraste avec ses opposants, dont le président en place à l’époque, Susilo Bambang Yudhoyono. D’ailleurs, suite à cette tactique du parti Golkar, le président Yudhoyono, dont la femme ne portait pas le jilbab, et le vice-président Jusuf Kalla, dont la femme le portait, avaient décider de ne plus faire campagne ensemble. Le parti Golkar alla même jusqu’à faire des pancartes dépictant seulement les femmes voilées des candidats pour être plus populaire auprès de l’électorat [11]. Le jilbab n’est donc peut-être pas obligatoire, il influence toutefois de plus en plus l’environnement politique alors qu’il ne cesse de gagner en popularité dans les dernières années.

Pancarte de campagne politique mettant en valeur des femmes portant le jilbab [Ed Wray, New York Times, 2009]

Bibliographie

Endang Turmudi (2016), « The Passion of Jilbab : Socio-Cultural Transformation of Indonesian Muslim Women », International Journal of Scientific and Research Publications 6(5): 287-292.

Norimitsu Onishi (2009), « Head Scarf Emerges as Indonesia Political Symbol », The New York Times, https://www.nytimes.com/2009/07/03/world/asia/03jilbab.html, consulté le 26 février 2021.

Nuraini Juliastuti (2007), « The Politics of Moslem Clothing in Indonesia », p.1-13.

Pingki Indianti (2018), « The Analysis of style and Cultural influence on the development of Islamic fashion in Indonesia, Case study: Muslimah clothing in the 19-21th Century », Annual International Conference on Islamic Studies 2018.

Siti Syamsiyatun (2007), « Muslim Women’s Politics in Advancing Their Gender Interests: A Case-Study of Nasyiatul Aisyiyah in Indonesia New Order Era », Al-Jāmi‘ah 45(1): 57-89 .

Taylor, Jean Gelman (2008), « Identity, nation and Islam », IIAS Newsletter vol.46 Winter 2008, p.12-13.

Références

[1] Pingki 2018, p.2.

[2] Endang 2016, p.287.

[3] Taylor 2008, p.12-13.

[4] Nuraini 2007, p.2.

[5] Nuraini 2007, p.4.

[6] Nuraini 2007, p.5.

[7] Endang 2016, p.289.

[8] Siti 2007, p.67.

[9] Siti 2007, p.71-72.

[10] Endang 2016, p.289.

[11] Norimitsu 2009.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés