La transformation de la langue vietnamienne par la Chine et la France

Par Débora Yi

Bien qu’elle soit parlée couramment au 21e siècle par plus de 70 millions de personnes[1], la langue vietnamienne n’a pas eu de statut officiel depuis l’occupation de la Chine jusqu’à la colonisation de la France.

Carte ethnolinguistique de l'Indochine

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L’influence de la Chine dans l’administration et la langue vietnamiennes

Écrits chinois

Écrits en caractères chinois https://www.thatsmandarin.com/

Lorsque la Chine a envahi le Vietnam en 111 avant notre ère, l’idéologie du confucianisme et la langue chinoise ont été introduites dans la société vietnamienne. Ainsi, une administration mandarinale a été créée, dont les membres étaient recrutés par des concours; c’est-à-dire par des examens sur la littérature et la philosophie confucéennes. Il était donc difficile pour les paysans de se préparer pour ces examens, alors l’administration était principalement composée de mandarins. Afin d’imposer leur langue, les Chinois ont exigé que tous les documents, livres et manuels scolaires soient écrits en chinois, et l’enseignement dans les écoles était aussi dans cette langue. Cette langue de prestige était utilisée par les élites comme moyen de communication, mais le peuple vietnamien s’en servait seulement pour l’administration, l’éducation et la littérature, et non dans les conversations quotidiennes. Il y avait une situation de diglossie au Vietnam durant l’occupation chinoise, signifiant qu’une langue considérée prestigieuse dominait la langue naturelle des interlocuteurs dans une société, en limitant l’usage de celle-ci dans des fonctions inférieures[2].

À partir du 10e siècle, la langue chinoise a été modifiée pour s’adapter à la phonologie du vietnamien, résultant à une prononciation différente. Cette forme qui a conservé la syntaxe et le vocabulaire chinois a été appelée sino-vietnamienne. Alors, il y avait de nouveau deux langues parlées au Vietnam à l’époque du féodalisme national: le sino-vietnamien, considéré comme langue officielle et celle la plus valorisée, et le vietnamien vernaculaire, utilisé à l’oral. Une forme écrite, le chu nôm, est apparu au 13e siècle, mais elle était réservée aux élites. Ainsi, une division des classes s’est produite comme lors de l’occupation chinoise : le vietnamien vernaculaire était parlé par la classe inférieure des paysans, artisans et militaires, tandis que le sino-vietnamien était la langue utilisée par la classe supérieure, les mandarins, dans leurs fonctions officielles[3].

 

La romanisation de la langue vietnamienne par la France

Texte en quoc ngu

Texte en quoc ngu https://www.vietnam-tour.biz/

Ensuite, l’arrivée des Français au 19e siècle en Indochine a provoqué la mise en place d’une politique française au Vietnam. Afin d’éliminer les traces de la culture chinoise, les examens triennaux ont été abolis, et les caractères chinois dans la langue écrite ont été remplacés par le quôc ngu[4]. Cette romanisation de la langue vietnamienne, donc une transcription alphabétique a été réalisée par le missionnaire français Alexandre de Rhodes.   D’abord, le quôc ngu était réservé aux Catholiques, puis a été diffusé à la population vietnamienne à la fin du 19e siècle. En effet, cette écriture romanisée a été inventée pour les missionnaires catholiques en tant qu’un outil de communication écrite avec les dirigeants vietnamiens chrétiens[5]. De plus, le français est devenu la langue principale d’enseignement dans les écoles et le vietnamien est enseigné comme une langue étrangère à l’école secondaire. En bref, le français était la langue de prestige, parlée par les colonisateurs et le symbole du pouvoir et de l’éducation, alors que les autochtones parlaient le vietnamien. Il peut être remarqué que la situation de diglossie persistait au Vietnam, par le français qui a remplacé le chinois. La langue vietnamienne était donc utilisée à la maison, mais beaucoup de mots ont été empruntés du français[6].

 

Les mots empruntés du français dans la langue vietnamienne

Mots vietnamiens empruntés du français

Mots vietnamiens empruntés du français https://line.17qq.com/

Dans la langue vietnamienne, il existe des tons, qui sont des différences de hauteur mélodique. Les mots français qui ont été intégrés dans le vocabulaire vietnamien ont donc été attribués de tons pour une adaptation phonologique. Par exemple, le mot « café » est devenu « càphê », le mot « salade » est transformé en « xàlách », et le mot « apéritif » est adapté en « áp pê ri típ ». Effectivement, une ressemblance dans les syllabes peut être remarquée entre les termes français et vietnamiens. Selon une étude entre 2003 et 2005 sur la perception des Vietnamiens sur les mots français présents dans la langue vietnamienne, 70% des locuteurs âgés de plus de 40 ans connaissaient l’origine française des termes utilisés lors de l’enquête, tandis que seulement 30% des locuteurs entre 15 et 40 ans l’ont identifiée. Alors, cela signifie qu’environ 70% des mots empruntés utilisés quotidiennement par les locuteurs entre 15 et 40 ans sont considérés comme des mots purement vietnamiens[7]. De la sorte, l’attribution de tons aux syllabes des mots empruntés de la langue française a contribué à une assimilation réussie dans le lexique vietnamien.

 

[1] Britannica, The Editors of Encyclopaedia. 2013.

[2] Dorais, L.-J. 1979.

[3] Dorais, L.-J. 1979.

[4] Dorais, L.-J. 1979.

[5] Jacques, R. 1998.

[6] Dorais, L.-J. 1979.

[7] Huynh, S. 2008.

 

Bibliographie

Britannica, The Editors of Encyclopaedia. (2013). « Vietnamese language ». Encyclopedia Britannica. https://www.britannica.com/topic/Vietnamese-language.

Dorais, L.-J. (1979). Diglossie et lutte de classes au Vietnam. Anthropologie et Sociétés, 3 (3), 35–57. https://doi.org/10.7202/000933ar

Huynh, S. (2008). L’assimilation des mots d’emprunts français à la langue vietnamienne : la question des tons. Cahiers de linguistique – Asie orientale, 37 (2), 223-240. https://www.persee.fr/doc/clao_0153-3320_2008_num_37_2_1854

Jacques, R. (1998). Le Portugal et la romanisation de la langue vietnamienne. Faut-il réécrire l’histoire?. Revue française d’histoire d’outre-mer, 85 (318), 21-54. https://doi.org/10.3406/outre.1998.3600

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