Le soft power sud-coréen au Cambodge

Par Karel Sauvageau

Pour des pays émergents, ou encore pré-émergents comme le Cambodge, le succès international du dragon asiatique sud-coréen est envié, c’est même devenu un modèle économique à suivre. Le Cambodge, l’un des cinq pays péninsulaires de la région, avec son lourd passé politique et social et ses difficultés économiques est dirigé par un gouvernement répressif et autoritaire, avec le même individu, Hun Sen, au pouvoir depuis maintenant 35 ans[1]. Les investissements du pays démocratique qu’est la Corée du Sud, géant économique mondial et grande puissance asiatique, ne peuvent qu’être un atout pour le développement du pays.


Figure 1 : https://fr.123rf.com/photo_59846640_puzzle-avec-le-drapeau-national-de-la-cor%C3%A9e-du-sud-et-du-cambodge-sur-un-fond-de-carte-du-monde-illust.html.

Économie

Les deux pays ont signé en 2020[2] un accord de libre-échange (ALE) bilatéral afin de mettre fin à la double imposition et d’attirer de plus amples investisseurs[3] sud-coréens au Cambodge. Bien que la Corée du Sud ait déjà signé un ALE avec l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN), elle considère plus avantageux ce nouvel accord directement avec le Cambodge. Cela notamment parce qu’il y a dans ce pays un manque en infrastructures sociales, ce qui est une porte ouverte aux investissements. Dans le contexte de la pandémie, afin d’assurer la prospérité des échanges commerciaux entre les deux pays, ces derniers ont conclu un nouvel accord de libre-échange le 3 février 2021 qui permettrait une augmentation de 25% du volume de leurs échanges[4]. Le Cambodge est le dernier pays membre de l’ASEAN à avoir rejoint l’association, soit en 1999[5] et il serait « la deuxième destination la plus importante de l’aide au développement de la Corée du Sud »[6].

Dans le renforcement de sa coopération économique avec le Cambodge, la Corée du Sud s’attend de la part de ce dernier à une aide soutenue quant à son ambition d’accueillir des sommets à Séoul, notamment celui prévu pour le Partnering for Green Growth and the Global Goals 2030[7], une initiative internationale visant à lutter contre les changements climatiques. Aussi, la Corée du Sud demande le soutien du Cambodge dans les efforts pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne en échange d’un soutien continu pour le développement économique du Cambodge.

Le succès de la croissance économique de la Corée du Sud s’est construit sur la base d’une importante politique d’exportation et cela a mené à l’implantation de sociétés sud-coréennes en Asie du Sud-Est. Le fait que le Cambodge puisse offrir « de la main-d’œuvre encore moins chère que ses pays voisins »[8] s’est révélé être une opportunité d’affaires stratégique. Le premier ministre du Cambodge, Hun Sen, a d’ailleurs explicitement exprimé son intention d’appliquer à son pays le modèle économique de développement sud-coréen. Le gouvernement sud-coréen promeut le succès économique du pays afin de faire valoir sa culture et son image avec des organisations, comme la Korea Trade-Investment Promotion Agency (KOTRA), ayant pour objectif premier la création de liens commerciaux. Au Cambodge, le KOTRA est la section commerciale de l’ambassade de la Corée du Sud et sert de plateforme commerciale. Dans le secteur de la construction, la Corée du Sud a su faire bénéficier le Cambodge de machineries encore plus spécialisées que la Chine. De plus, c’est Hyundai Agro qui s’y étant implanté a permis l’importation de mangues du Royaume en Corée du Sud[9].


Figure 2 : https://english1.president.go.kr/BriefingSpeeches/Briefings/488.

Religion

La promotion du nation branding sud-coréen au Cambodge ne s’est pas fait uniquement par des flux d’entreprises, mais également par la présence d’églises protestantes. Les églises sud-coréennes ont pu mettre plus facilement à profit leur volonté de convertir la population cambodgienne, étant donnée l’influence culturelle qu’ont fait bénéficier les exportations de la vague sud-coréenne en Asie du Sud-Est. Effectivement, une étude menée dans le pays a démontré que ces églises se sont servies de la popularité de la culture de la Corée du Sud et de son image d’un pays développé venant porter main forte aux pays en développement comme stratégie d’influence. Ainsi, le soft power sud-coréen au Cambodge serait notamment le résultat d’un « outil de prosélytisme » qui s’est appuyé sur une « aide apportée aux plus pauvres » dans le contexte d’une quête de la « modernité asiatique »[10].

Subventionnées par Séoul, les missionnaires de l’Église du Plein Évangile ont été en mesure d’implanter des paroisses et d’organiser des cours de coréen ouverts à tous les Cambodgiens. Étant un accompagnement direct de la politique étrangère de la Corée du Sud, leurs discours s’appuyaient sur l’aide au développement dans des contextes de bouleversements liés au traumatisme de la guerre. La situation du Cambodge suite au génocide des Khmers rouges a facilité l’intégration de cette Église sud-coréenne à Phnom Penh à la fin des années 1990. Puis, en 2004[11], l’Église a ouvert une première école maternelle à Boeng Salang et ensuite une école élémentaire en 2010[12], ceci faisant partie de sa mission dans le cadre d’un programme social d’aide au développement de la Corée du Sud. Le résultat a été de l’aide directe sous la forme de biens matériels et spirituels aux populations démunies. En guise de crédibilité, l’élément central du message véhiculé a été le fait que la Corée du Sud ait pu se sortir de la pauvreté en peu de temps. C’est ainsi que le combat contre la précarité et le chômage s’est lié à la prière.


Figure 3 : https://books.openedition.org/irasec/docannexe/image/215/img-1.jpg.

Émigration

Les Cambodgiens qui apprennent le coréen peuvent intégrer plus facilement les entreprises sud-coréennes qui se sont installées dans le pays. Or, étant donné les meilleures conditions de travail et de vie du pays de l’Asie de l’Est, cette influence sud-coréenne s’est aussi transformée en une vague d’émigration. C’est encore plus significatif de voir qu’aujourd’hui de plus en plus de jeunes Cambodgiens choisissent les cours donnés en coréen plutôt que les cours donnés en khmer, cela dans le but de pouvoir immigrer en Corée du Sud et ainsi supporter financièrement leurs familles. Chaque année, ce sont plus de 4000 nouveaux travailleurs cambodgiens[13] qui entrent au pays du matin calme[14].

 

Ainsi, la mobilisation de l’outil du soft power sud-coréen a connu une importance croissante au Cambodge, que ce soit au niveau économique, religieux ou encore par des flux migratoires.

 

[1] Coface for trade, Études économiques, Cambodge.

[2] KBS World, Discussion pour un ALE entre la Corée du Sud et le Cambodge.

[3] Direction générale du Trésor de la France, Cambodge – Indicateurs et conjoncture.

[4] Cambodge Mag, Cambodge & Commerce : Vers un accord de libre-échange avec la Corée du Sud.

[5] Courmont et Mottet, L’Asie du Sud-Est Contemporaine, 7.

[6] Yonhap News Agency, La Corée du Sud et le Cambodge vont travailler à l’amélioration de leurs relations économiques.

[7] Yonhap News Agency, Hun Sen: Cambodia expects more investment from S. Korea.

[8] Kim, Le Soft Power Sud-Coréen en Asie du Sud-Est : Une théologie de la prospérité en action, 39.

[9] Kanagaraj, Cambodia-South Korea relationship set to see stronger trade growth.

[10] Kim, 57-58.

[11] Kim, 63.

[12] Kim, 72.

[13] Narin, In Poor Cambodian Town, a Job in South Korea Changes Lives.

[14] Le pays du matin calme est le nom que les Chinois ont donné à la Corée du Sud il y a environ trois mille ans.

 

Bibliographie

Cambodge Mag. « Cambodge & Commerce : Vers un accord de libre-échange avec la Corée du Sud » 6 février, 2021. https://www.cambodgemag.com/post/cambodge-commerce-vers-un-accord-de-libre-échange-avec-la-corée-du-sud.

Coface for trade. « Études économiques, Cambodge » février, 2021. https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Cambodge.

Courmont, Barthélémy et Mottet, Éric. L’Asie du Sud-Est Contemporaine. Asies Contemporaines. Québec (Québec) : Presses de l’Université du Québec, 2020.

Direction générale du Trésor de la France. « Cambodge – Indicateurs et conjoncture » 3 décembre, 2020. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/KH/indicateurs-et-conjoncture.

Kanagaraj, Poovenraj. « Cambodia-South Korea relationship set to see stronger trade growth ». CapitalCambodia, 2019. https://capitalcambodia.com/un-secretary-antonia-guterres-wants-people-globally-to-battle-the-evils-of-corrution-in-the-interests-of-social-harmony/.

KBS World. « Discussion pour un ALE entre la Corée du Sud et le Cambodge » 22 juin, 2020.http://world.kbs.co.kr/service/contents_view.htm?lang=f&board_seq=386558.

Kim, Hui-yeon. Le Soft Power Sud-Coréen en Asie du Sud-Est : Une théologie de la prospérité en action. Bangkok : Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 2014. http://www.doi.org/10.4000/books.irasec.194.

Narin, Sun. «  In Poor Cambodian Town, a Job in South Korea Changes Lives ». Voice of America (VOA) News, 2019. https://www.voanews.com/east-asia-pacific/poor-cambodian-town-job-south-korea-changes-lives.

Vantha, Phoung. « Cambodia and South Korea Discuss More Business between the Two Countries ». Cambodianess, 2020. https://cambodianess.com/article/cambodia-and-south-korea-discuss-more-business-between-the-two-countries.

Yonhap News Agency. « La Corée du Sud et le Cambodge vont travailler à l’amélioration de leurs relations économiques » 15 mars, 2019. https://fr.yna.co.kr/view/AFR20190315000300884.

Yonhap News Agency. « Hun Sen: Cambodia expects more investment from S. Korea » 4 février, 2020. https://en.yna.co.kr/view/AEN20200204008200315.

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