La « démocratisation » du Cambodge

Le système politique cambodgien représente aujourd’hui toutes les caractéristiques d’une autocratie. Sa dérive autoritaire est l’une des plus remarquable, sinon la plus remarquable en Asie du Sud-Est. La démocratie cambodgienne, déjà lézardée, s’est complétement écroulée est a révélé au grand jour les véritables structures politiques du pays (Philip 2018).

Comment est-ce que le Cambodge a adopté ce système politique et qu’en est-il de l’État de santé de cette démocratie ?

Une démocratisation forcée

Rassemblement pré-électoral du PPC (Photo: Michael Gold, 2015)

La démocratie cambodgienne n’est ni le fruit de l’écroulement d’un régime autoritaire, ni celui de la progression graduelle d’idéaux démocratiques dans son système politique. Celle-ci a été imposée à la suite des « Accords de Paris sur le Cambodge » en 1991 dont le but initial était de mettre fin à la guerre civile entre l’État du Cambodge et une coalition regroupant les khmères rouges ainsi que les forces du Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif ou le FUNCINPEC (Un 2011).

Entre 1993 et 2003, le système politique cambodgien a toutefois adopté certaines caractéristiques typiques aux régimes démocratiques. Des élections relativement compétitives ont été tenues et l’espace publique a connu un essor lors de ces années où on a notamment témoigné d’une croissance des libertés de presse (Un 2011). De plus, les élections tenues durant cette période ont bénéficié d’un taux de participation élevé (plus de 80%) et d’une compétitivité remarquablement unique dans l’histoire politique du cambodge (Un 2004).

En effet, le Parti du peuple cambodgien (PPC) n’a pas réussi à remporter la majorité du vote populaire lors des élections de 1998 et 2003 – 42.4% en 1998 et 47% en 2003 – et ces résultats ont démontré qu’une proportion considérable des cambodgiens a soutenue le FUNCINPEC (Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif). Cela a naturellement mis plus de pression sur le PPC et son Premier ministre, Hun Sen, qui a déclaré sans ambiguïté son désire de gouverner le Cambodge pour des décennies.

Pour maintenir son emprise sur le pouvoir, le PPC s’est initialement appuyé sur l’influence qu’il exerce sur les organismes étatiques pour fomenter la violence à l’égard des partis de l’opposition (Un 2004). Malgré cela, les cambodgiens ont délivré une défaite surprenante au PPC en 1993, suite à laquelle le Parti a dû recourir à la violence pour regagner le pouvoir. Sur le plan international, cela a miné la légitimité du PPC et a contribué à son isolement.

En outre, les partis de l’opposition ont à maintes reprises sollicité le soutient de la communauté internationale afin de contester la légitimité du PPC.  Cela est d’autant plus visible dans le cas du Parti de Sam Rainsy, qui a démontré à maintes reprises sa capacité à tisser des alliances avec les puissances occidentales, spécifiquement avec les États-Unis, afin de forcer plus de démocratisation de la sphère politique cambodgienne (Un 2004).

L’internationalisation de la politique cambodgienne a servi, dans un premier temps, à altérer les pratiques autoritaires du PPC en le forçant à adopter un cadre démocratique, et dans un second temps, l’a poussé à adopter ses stratégies électorales qui s’appuient davantage sur la surveillance et la corruption plutôt que la violence et l’intimidation (Heder 1995).

2018 : « Victoire » totale du PPC ?

Graphique réalisé par Than Veasna and Leang Phannara (2018)

Les chiffres du dernier scrutin sont saisissants. Un taux de participation de 82% et une victoire totale du PPC, soit 100% des sièges parlementaires de remportés. Clairement, la légitimité de ces chiffres demeure discutable (Philip 2018), d’autant plus que plusieurs témoignages pointent au fait que plusieurs citoyens dans les zones rurales ont été forcé à aller voter.

« Nous avons peur d’être sanctionnés au cas ou notre index ne serait pas taché d’encre quand nous reviendrons au travail mardi »

Lyeen Shinath – Syndicaliste dans l’usine chinoise de Roo Hsing.

Finalement, c’est la dissolution du parti de l’opposition, le Parti du sauvetage national du Cambodge, sous prétexte de collusion avec les États-Unis dans le but de renverser le PPC qui a sonné le glas de la démocratie cambodgienne (Philip 2018).

Quel futur pour la démocratie ?

Hun Sen qui dépose son bulletin de vote en 2018 (photo: Heng Sinith)

Le PPC est aujourd’hui un parti politique sans réelle opposition, le parlement est contrôlé uniquement par celui-ci, l’économie est cannibalisée par la famille Sen et les élections ne sont présentes que pour apaiser les démocraties occidentales (Philip 2018). Sur la scène internationale, le Cambodge bénéficie du soutien considérable de la Chine, qui est aujourd’hui son partenaire commercial principal et le premier investisseur dans le pays, devant les cambodgiens eux-mêmes (Philip 2018). En retour, Hun Sen s’assure qu’aucune critique des politiques chinoises ne soit communiquée. À date, aucun pays occidental n’a publiquement proclamé l’illégitimité du régime du PPC, malgré le fait que les élections de 2018 constituent une violation des Accord de Paris de 1991 qui exigent du Cambodge la tenue d’élections libres devant permettre  l’établissement de démocratie libérale sur la base du pluralisme politique  (Rainsy 2019).

Pour toutes fins pratiques, le Cambodge est aujourd’hui sous un système de parti unique comme il était le cas avant les élections de 1993 organisées par les Nations unies. Sous ces conditions, il est difficile d’envisager un futur prometteur pour la démocratie cambodgienne.

 

Bibliographie :

Heder, Steve. 1995. « Cambodia’s Democratic Transition to Neoauthoritarianism ». Current History: 425-429.

 

Un. Kheang. 2011. « Cambodia: Moving away from democracy? ». International Political Science          Review 5: 546-562.

 

Un, Kheang. 2005. « Patronage politics and hybrid democracy: political change in Cambodia ».    Asian Perspective. 29 (2): 203-230.

 

Philip, Bruno. « Cambodge : fausse démocratie, vraie tyrannie ». 2018. En ligne :             https://www.lemonde.fr/international/article/2018/06/29/cambodge-fausse-     democratie-vraie-tyrannie_5323144_3210.html (Page consultée le 23 mars 2020).

 

Philip, Bruno. « Cambodge : forte participation aux législatives, le parti au pouvoir revendique la            victoire ». 2018. En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2018/07/29/au-      cambodge-la-participation-aux-elections-legislatives-a-atteint-80_5337279_3210.html         (Page consultée le 23 mars 2020).

 

Rainsy, Sam. « Les nations démocratiques doivent réagir pour le Cambodge comme elle l’ont fait            pour le Venezuela ». 2019. En ligne : https://www.liberation.fr/debats/2019/01/31/les-  nations-democratiques-doivent-reagir-pour-le-cambodge-comme-elle-l-ont-fait-pour-le-            venezuela_1706409 (Page consultée: le 23 mars 2020).

 

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